Explore by #Solothurner Filmtage
Zahorí
Screenings in Swiss cinema theatres
Mora (Lara Tortosa) has a wild spirit. Despite growing up in the boundary free beauty of the Argentinian West, she experiences her world as tethered, like her old friend Nazareno’s (touchingly played by Santos Curapil) horse Zahorí is to a pole. She is tethered by rules, institutional learning, sexism, superstition and ideological Buddhist parents who have moved to this barren place, carving a simple existence from thick volcanic ash. Mora negotiates her adolescence in these desolate surrounds, oozing a temporality that is more cowboy than TikTok.
We come to understand the characters through the swelling land roughly corniced by the Patagonian mountainscape. Shots track and linger upon Mora, her little brother Himeko (Cirilo Wesley), Nazareno and two Christian Soldiers, all marching to a different drum. They walk between scattered dwellings with playful curiosity, reverie or retrieval. I’m reminded of Gus Van Sant’s Gerry (2003) where the camera mediates its relationship with the landscape entirely through two walking figures—but the formers contact with the wilderness is constituted far less violently.
The spectre of Argentina’s strong missionary past descends, almost as ridiculous as a scene from the Book of Mormons, the intrusion ultimately corrupting the contiguity of body, spirit and nature that Nazareno possesses and Mora frantically cultivates. The importation of other faiths fails in principle and practice: Buddhist vegetarians go hungry and Christians falter at the unburied in their refusals to accept the cycle of desert life.
Zahorí is a meditation on death as loss and freedom. Everyone contemplates it, even the scarab beetles predict our finitude. Relationships die. Animal bones lace every turn. Like Mora, the frenzied Zahorí charges the plains, finally coming to rest; the true tether, "life itself", becoming ashes.
Zahorí is Marí Alessandri’s debut feature as both Director and Writer. She provides a feminine and innocent view of these harsh lands through Mora, a contemporary Calamity Jane who straddles her freedom to walk in the shoes of a fading Gaucho. A film to be viewed on the big screen in order to soak up the changing ambience of light, wind and inky depths of night with flashes of chiaroscuro (Joakim Chardonnens). A very fine contribution by an astute filmmaker who understands how to embody place.
Zahorí | Film | Mari Alessandrini | CH-ARG-CHL-FR 2021 | 105' | Locarno Film Festival 2021, Filmar en América latina Genève 2021
A ciel ouvert
L’amour semble renaître entre le cinéma suisse et le travail, après des années où il paraissait s’être refroidi. Quelques signes étaient déjà là, mais avec cette édition des Journées de Soleure [2022], ceci est devenu une évidence. Une dizaine de titres du programme abordent ce thème sous différents angles. Et je ne me réfère pas au métier d’agriculteur, dont les représentations cinématographiques abondent, parfois un peu édulcorées, mais plutôt aux autres professions que nous avons finalement appris à définir comme essentielles. Ce nouvel intérêt a de nombreuses causes : la crise environnementale, la désindustrialisation, la transformation numérique ou la précarité endémique, pour n’en citer que quelques-unes. La pandémie nous a également permis de redécouvrir des professions dont nous pensions qu’elles avaient peu à nous apprendre.
Il va sans dire que le documentaire joue un rôle majeur dans ce processus de redécouverte. À ciel ouvert, réalisé par Charlie Petersmann et sélectionné pour le Prix de Soleure, nous emmène dans les bas-fonds d’un grand chantier de la Suisse romande et nous montre la réalité des maçons. Ce sont tous des migrants, beaucoup sont ici en Suisse de manière temporaire, certains n’arrivent pas à s’enraciner, d’autres semblent avoir trouvé le bon chemin. Ce sont des hommes qui travaillent dur, qui ont fait des choix de vie courageux ; mais leur masculinité, malgré les stéréotypes, est synonyme de fragilité. Pour certains, la profession est une vocation, pour d’autres une nécessité, un compromis avec la vie. Comme le dit l’un des protagonistes, « ils ont eu plus de chance que d’autres ». Le monde extérieur au chantier semble indifférent à leurs destins, parfois il y semble même hostile. Bien qu’il s’agisse de l’une des catégories les plus fortes du point de vue syndical, ces hommes, pour une raison ou une autre, ont presque tous du mal à profiter du bien-être qu’ils contribuent à produire, car le coût de la vie ronge leur salaire tant convoité et mérité. L’isolement social fait le reste.
Dans À ciel ouvert, il est peu question de contrats et d’abus. La principale préoccupation du réalisateur est de souligner la séparation entre le chantier de construction et le contexte social qui l’entoure. L’apparition rapide d’un syndicaliste dans le film représente le seul contact entre ce monde et leur environnement. Le tourniquet qui régule l’entrée des ouvriers du bâtiment fait office de seuil. Ce n’est qu’après avoir franchi ce seuil que les maçons semblent exister. Le chantier d’À ciel ouvert est un théâtre et nous, les spectateurs, sommes appelés à assister à la performance qui s’y déroule. Les histoires, les sourires, l’humanité des protagonistes nous touchent, mais nous sommes également fascinés par le spectacle des corps et des machines en mouvement, des matériaux transformés, des coulées de ciment, des symphonies mécaniques, etc. La mise en scène prend soin de ne pas négliger la photogénie des armatures en béton ou les géométries produites par les échafaudages. À l’intérieur du chantier, on peut encore sentir l’odeur du 20ème siècle, en partie rassurante et en partie non. À ciel ouvert confirme une fois de plus la grande valeur du cinéma documentaire suisse et, en particulier, celui produit en Suisse romande.
À ciel ouvert | Film | Charlie Petersmann | CH 2022 | 75’ | Solothurner Filmtage 2022
Taming the Garden
On dit des arbres qu’ils entretiennent des liens entre eux, qu’ils sont sensibles à leur environnement et à leur coexistence. Je me suis laissé dire qu’ils se rapprochaient même parfois les uns des autres ! Et si d’aventure cela n’était que fariboles anthropomorphes, il ne s’agirait dès lors que d’organiser de toutes pièces le déplacement d’arbres vers d’autres arbres.
Même s’il s’agit d’envisager des centaines de kilomètres par voie de terre et de mer, qu’à cela ne tienne ! Il suffit de déraciner de leur sol natal des arbres centenaires aux branches tentaculaires et à la frondaison foisonnante, de les charger sur de larges remorques et sur d’aussi larges barges pour les conduire par voie terrestre et maritime lentement et sûrement dans un parc paradisiaque. Quoique ce parc parfaitement entretenu, dont les pelouses voient émerger une série de petites pipes d’arrosage, paraît être un territoire aseptisé pour collectionneur monomaniaque. Les arbres y apparaissent fragiles, tenus qu’ils sont, comme les mâts de voiliers, par des haubans métalliques.
Salomé Jashi, cinéaste géorgienne formée à Londres dont c’est le deuxième long métrage, ne dit rien de ce parc ni de son propriétaire, ni non plus des conditions d’acquisition des arbres. C’est au sein des campagnes que la réalisatrice porte essentiellement son attention, parmi les villageois et les travailleurs confrontés à ces extractions spectaculaires. Mais là aussi, Salomé Jashi ne tient pas à tout montrer. Quelques étapes significatives quant à la technique de déracinement sont certes filmées, mais point celles du chargement des arbres sur les véhicules réquisitionnés. Ainsi, Taming the Garden tient du documentaire traditionnel par son souci descriptif, sans recours, bien sûr, à des entretiens ou à des commentaires en voix off. Mais le film est tout autant une méditation qui porte sur les liens établis entre la nature et la culture.
La réalisatrice filme les coulisses de ces bouleversements, écoute des villageois modestes et aisés, entre chez eux afin de saisir les conflits sous-jacents nourris par la perte d’un patrimoine naturel et les bienfaits d’une route aménagée pour le bien-être de la communauté, certes, mais également pour l’enlèvement d’un arbre.
Moments de réflexion, d’émotion, de pensées en ce temps géorgien et, partant, mondialisé dans le global village duquel toutes les folies, les outrances, les violences sont possibles à force de moyens financiers et politiques engagés. Ces arbres, qui sont flottants sur la mer – image spectaculairement ridicule et cauchemardesque – sont frères et sœurs des zoos humains d’hier, des migrations humaines imposées, des animaux des zoos, des ménageries diverses, des jardins exotiques, de tous ces gestes d’accaparement des biens du monde végétal, animal et humain. La voix du film témoigne à cet endroit d’une inquiétude amusée, d’un étonnement inquiet.
Taming the Garden | Film | Salomé Jashi | CH-DE-GEO 2021 | 92’ | Locarno Film Festival 2021, Human Rights Film Festival Zürich 2021
Suot tschêl blau
Film-autel grisé de bleu
Sous le ciel bleu, du réalisateur romanche Ivo Zen auquel on doit une petite dizaine de documentaires et de fictions réalisés depuis 2000, est une promesse de bleu. Le bleu acier du ciel d’hiver de Haute-Engadine dans la région de Samedan donne le vertige. Tellement puissant, immensément immaculé à perte de vue, il inocule l’impérieux besoin pour certains de prolonger l’expérience de cet accomplissement en une dimension plus étourdissante encore. Années 1980 et 1990, la cocaïne, l’héroïne et d’autres drogues sont consommées jusqu’à des excès mortifères. La promesse du cinéaste tient en cette tentative de lier la beauté inquiétante (aux dires de certains) du ciel et les états léthargiques des stupéfiants, parmi une poignée de jeunes adultes au sein de cette commune grisonne d’environ 3’000 habitants.
L’autre proposition forte du film tient en sa mise en scène d’une espèce d’autel, une table de bois massif située sous les voûtes du musée de la localité, sur laquelle les parents et amis déposent des objets ayant appartenus aux disparus : une paire de bottes de cowboy, une guitare, une boule de billard… Objets de mémoire douloureuse plus de trente ans plus tard, ils invitent à des évocations, des échanges, des silences. Des villageois sont réunis à la Croce Bianca à l’invitation d’Ivo Zen et assistent à un concert de jazz dont la musique méditative accompagne le film. Le bistrot du village avait été fréquenté par cette jeunesse trébuchante et il est impressionnant de constater à quel point l’expression des chagrins passés est difficile et l’impuissance à prendre la mesure du mal-être éprouvé des victimes, avérée.
Ivo Zen avait raconté dans Zaunkönig – Tagebuch einer Freundschaft (2016) son deuil d’un ami proche mort d’une consommation abusive de drogue. Ici, il élargit le cercle à un groupe d’une vingtaine de personnes qui avait décidé de « changer quelque chose » et dont les ambitions échouèrent pathétiquement, jusqu’à que mort s’en suive. Ces événements sont inscrits avec pertinence dans la mouvance des mouvements contestataires qui prirent à Zurich une ampleur spectaculaire (AJZ, Platzspitz, Dynamo, Rote Fabrik, etc.), et dont Samedan paraît être une très modeste réplique.
À vouloir tracer ce récit avec des personnages parfois émouvants – particulièrement ce père qui mit tant de temps à accepter la mort de son fils – Ivo Zen cherche à voir clair au fond du bleu du ciel et autour de l’autel mémoriel. Il s’y engage avec délicatesse afin de ne point bousculer les sensibilités ni questionner les valeurs de cette communauté mise en émoi – plus qu’en question – par ces gens disparus au nirvana égotique de leurs vies terrestres.
Suot tschêl blau – Sous le ciel bleu | Film | Ivo Zen | CH 2020 | 70’ | Visions du Réel Nyon 2020, Solothurner Filmtage 2021
Wake Up on Mars
ONLINE STREAMING (Switzerland) by Filmexplorer's Choice on filmingo.ch and cinefile.ch
Le traumatisme. La trame du temps qui se déchire. Le trou noir qui abolit l’espérance et menace l’identité. Et parfois, comme c’est le cas pour les deux adolescentes que l’on découvre endormies dans le plan inaugural de Wake Up on Mars, les corps qui s’effondrent sous le poids de leur propre sidération. À l’image de centaines d’enfants de familles exilées en attente de régularisation, Ibadeta et Djeneta Demiri sont victimes du « syndrome de résignation », un coma profond qui survient à la suite d’un grand choc émotionnel. Roms du Kosovo et persécutés comme tels, les Demiri ont fui leur terre d’origine et trouvé un point de chute en Suède où les attendait une autre forme d’injustice, celle des politiques migratoires de plus en plus dures et restrictives. Par deux fois, elles ont vu leurs demandes d’asile rejetées, épisodes douloureux à la suite desquels Ibadeta a développé le syndrome catatonique. Deux ans auparavant, le mal avait déjà frappé Djeneta, après que cette dernière eut été témoin de l’agression de son petit frère Furkan, au Kosovo.
Sans rien occulter du quotidien de cette famille, partagé entre les difficiles démarches d’obtention d’un statut de résident et une attention de tous les instants portée aux jeunes filles clouées à leurs lits de sommeil, la caméra de Dea Gjinovci s’attarde sur le plus jeune de la fratrie, Furkan. À l’enfermement intérieur de ses sœurs, le garçon de dix ans oppose un désir d’aventure et de fuite imaginaire, symbolisé par un projet de construction de vaisseau spatial qu’il destine à l’emmener sur Mars. Une part importante du métrage est consacrée à cette quête, le garçon de dix ans se mettant à collecter des matériaux de récupération autour de chez lui, où forêts de contes et cimetières de voitures se côtoient. La cinéaste restitue ce paysage sensuel et mental avec une compréhension intuitive de la lumière et un grand sens de l’image. Très vite, nous comprenons que l’entreprise de Furkan n’a rien d’une lubie. Elle est une manière de conjurer l’angoisse de cette double attente (de la régularisation, du réveil de ses sœurs), de s’échapper du contexte suffoquant qu’elle impose à tous les membres de la famille, et aussi, comme il le laisse entendre au détour d’une phrase — « je pense que tout est de ma faute » — de mettre fin au cercle pernicieux de la culpabilité.
Articulé autour de ces deux pôles — l’un de recréation fictionnelle, l’autre de captation documentaire — Wake Up on Mars évite les pièges de la métaphore trop explicite ou du tract militant. L’écriture expose intelligemment le cadre de cette maladie peu connue, notamment par le biais de fragments radiophoniques qui reviennent sur sa perception par la société suédoise, entre circonspection de la science et méfiance de certains hommes politiques. Devant cette famille qui fait preuve d’une abnégation et d’une persévérance sans faille, le regard de Dea Gjinovci parvient à trouver la juste distance, celle de l’accompagnement. À cet égard, le basculement dans le fantastique, à la toute fin du film, témoigne du caractère fort et absolu de son geste de cinéaste, et réconforte quant à la capacité inouïe qu’a l’enfance de tracer un chemin de lumière dans la noirceur en apparence la plus totale.
Wake Up on Mars | Film | Dea Gjinovci | CH-FR 2020 | 75’ | Visions du Réel Nyon 2020, Solothurner Filmtage 2021, Human Rights Film Festival Zürich 2021
Deine Strasse
Screenings at Locarno Film Festival 2021
Si un non-lieu est un espace à l’identité incertaine, qu’aucun élément saillant ne distingue d’un autre, celui de la périphérie de Bonn paraît faire exception. Il est fendu par une route que l’on découvre dans la profondeur de l’image tout au début du film de Güzin Kar. Le ciel est plombé de gris, le plan est fixe. Il ne s’y passe parfaitement rien. Mais le temps du non-événement, dont la réalisatrice maîtrise remarquablement le déroulement, est paradoxalement perceptible. Les détails de ce tronçon sont établis, 556 mètres de long pour 6 mètres de large, circulation limitée à 50 km/h. Alentours des dépôts, des garages, des magasins, des bureaux, quelques immeubles d’habitation… C’est là, dans cette banlieue désespérante de banalité que furent assassinées cinq personnes et gravement blessées quatorze autres par l’action perpétrée par un groupe de néonazis mécontents de leur voisinage avec des familles turques. C’était le 29 mai 1993 qu’il mit le feu à leur maison.
Dès lors, le temps fit doublement son œuvre. Celui de l’oubli de ce fait enchâssé parmi d’autres violences de cette nature commises en Allemagne. Par ailleurs, ce fut la manifestation d’un temps bien plus tard qui fit date. Celui qui a trait à un sursaut de mémoire quand il s’est agit de donner à cette rue en le nom de la plus jeune victime de l’incendie : Saime-Genç. Elle avait quatre ans.
L’accomplissement exemplaire de ce film tient à sa sobriété. Les informations factuelles sont déclinées par Sibylle Berg d’une voix grave dont le sérieux met ce récit à l’abri de tout appesantissement pathétique. Mais le texte, rédigé par réalisatrice, a une dimension plus intime en s’adressant personnellement, sur le mode du tutoiement, à Saime. Les images sont muettes, sinon à prêter attention à des sons indistincts d’ambiance. Elles racontent l’usure de structures abandonnées à la rouille et l’émergence des constructions fonctionnelles propres à un territoire périurbain. À peine au loin quelques silhouettes dans les images cadrés avec une intelligence anthropologique par Felix von Muralt. Les plans détaillent en profondeur ces paysages d’ordre et de désordre qui ont valeur de subtile métaphore quant à l’intrication de modes de vie et de visions du monde au sein desquelles les pires ignominies font leur lit.
Mise à distance de l’effroi, émotion contenue, mémoire aux aguets, Deine Strasse a la dimension d’un récit exemplaire porté par une vigueur politique et une inspiration poétique impressionnantes. Poésie de la désespérante évidence de « l’asphalte et de l’habitude » au creux de laquelle hurlent en silence Saime et toute sa famille.
Deine Strasse | Film | Güzin Kar | CH 2020 | 7’ | Internationale Kurzfilmtage Winterthur 2020, Solothurner Filmtage 2021, Locarno Film Festival 2021