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Sous les figues
Quand on commence une phrase en disant « mine de rien, … », on sait qu’une surprise va suivre. Dans ce film au dispositif minimaliste, c’est ce qui arrive. En effet, rien n’arrive, initialement, ou presque rien, c’est-à-dire le quotidien des travailleurs saisonniers dans un champ de figuiers. Erige Sehiri nous parle de travail, d’un travail de nécessité, mal payé, il y a bien de l’exploitation, quoique rien d’inhumain. Mais elle nous parle surtout de ce qui se dit, des moments d’échange, du tissu social qui précède et traverse la journée de travail. De l’aube au coucher de soleil, nous accompagnons une dizaine de figures à travers leur parole. Chuchotée, adressée, chantée, criée, la parole forge le paysage des grands figuiers, crée des espaces clos, puis ouverts, construit un véritable réseau de relations : relations de pouvoir, d’amitié, de trahison, d’amour. La confession et la délation font la trame d’une communauté, qu’on retrouvera seulement réunie à la fin du film. C’est une communauté pleine de secrets, sans secrets. Le drame de la confiance et de la méfiance – la première s’imposant par nécessité spontanée, la deuxième par une sorte de destin inéluctable – grandit dans un crescendo passionnant. La dimension plate du small talk prend alors une ampleur sociale tridimensionnelle, qui nous raconte une Tunisie patriarcale, injuste, corrompue. Mais aussi une société d’individus passionnés, allègres, doux. Il n’y a pas de victime qui ne soit aussi un petit peu bourreau. Un vent d’humanisme semble embrasser tout le monde, sans exception, tout en en révélant la petitesse. Seule une fille saura briller par sa résistance aux intrigues de sa communauté : elle payera son envie de vérité par l’isolement. Réaliste, complexe, Sous les figues raconte le drame minimaliste de l’humain par la riche fresque de l’humain-trop-humain.
Sous les figues | Film | Erige Sehiri | TUN-CH-DE 2022 | 92’ | Solothurner Filmtage 2023, Black Movie Genève 2023
Jungle rouge
Screenings at the Solothurner Filmtage 2023
Un film politiquement spectaculaire
C’est dans la jungle de la guerre civile colombienne, enchanteresse par la luxuriance de sa végétation et ses cascades d’eau fraîche, que Raul Reyes, numéro deux de la hiérarchie des FARC – Forces armées révolutionnaires de Colombie d’obédience marxiste - mène une poignée de camarades à la lutte triomphale contre les pouvoirs politiques gangrénés par l’État et ses milices paramilitaires liées aux narcotrafiquants. C’est dans cette même jungle boueuse et harassée de pluie diluviennes que ce même leader définitivement égaré dans sa folie de puissance est abattu le 1er mars 2008 à la frontière équatorienne.
Juan Lozano, cinéaste colombien établi à Genève, est l’auteur depuis les années 2000 de deux longs métrages documentaires, d’une série d’animation et de courts métrages, qui sont pour l’essentiel chevillés à son pays. C’est dans cette Colombie stigmatisée par une guerre civile de plus de cinquante années, qu’il conçoit Jungle rouge qui a valeur d’exorcisme à l’endroit de cette histoire d’une violence endémique qui fit près de 300'000 victimes, sans compter plus de 50'000 disparus et quelques 6 millions de déplacés (voir à ce propos le remarquable film Tacacho de Felipe Monroe). Le récit basé sur une partie de la correspondance de Raul Reyes trouvée dans son ordinateur est celui d’une lente et inexorable descente dans l’enfer d’une lutte armée en voie de décomposition.
C’est dans un huis-clos étouffant que le spectateur est invité de pénétrer, au sein duquel les rapports de pouvoir, les liens souvent délétères entre les femmes et les hommes, soit la vie quotidienne des guérilleros, vont leur train. Quelques épisodes, telles l’arrivée d’une poignée de journalistes et de quelques touristes en mal d’exotisme, des attaques de l’armée, des tentatives de désertion et la fuite d’un campement à un autre, confèrent au film les nécessaires rebonds rythmés par une bande son sachant en dramatiser les actions. Mais l’idée-force de Juan Lozano est de procéder à la mise à nu de ce qui est devenu le mythe de la révolution communiste en s’associant à Zoltan Horvath, cinéaste animateur suisse. Car Jungle rouge est un film d’animation conçu à partir de prises de vues réelles d’actrices et d’acteurs, qui jouent en studio, devant un écran vert, les scènes qui seront incrustées dans des décors virtuels. Le travail consiste dès lors à déréaliser la mise en scène, mettant à l’abri le projet de toute reconstitution vériste des événements. Les contours des images pixellisées paraissent fluctuants, et les couleurs épousent de façon apparemment approximative les décors et les personnages qui s’y déplacent. Cependant, l’animation produit un effet de réel, une forme paradoxale d’amplification de la vraisemblance des actions dont Juan Lozano et Zoltan Horvath s’ingénient à réduire les traits caractéristiques à l’essentiel. Certes, on dira que la psychologie des personnages sait parfois être nuancée, même Raul Reyes exprime des sentiments filiaux, voire amoureux, mais le travail d’animation a la vertu de littéralement les défigurer. La palette graphique arrache les masques, déréalise les visages et les corps ; elle en altère la représentation, produisant des effets de distanciation résolument favorables à une lecture critique de la lutte des FARC.
C’est par le détour d’une mise en scène jouant ainsi parfaitement de l’artificialité que Jungle rouge parvient remarquablement à faire état d’un impressionnant et implacable réalisme. Cette réalisation iconoclaste relève à n’en point douter de l’urgence de nommer la tragédie qui fut celle d’un pays aujourd’hui convalescent.
Jungle Rouge | Film | Juan Lozano, Zoltan Horvath | CH-FR 2022 | 92’ | Filmar en América latina Genève 2022, Solothurner Filmtage 2023
Garçonnières
Screenings in Swiss cinema theatres and at the Solothurner Filmtage 2023
Enquête sur la masculinité comme espace autre, Garçonnières est avant tout un exercice d’(auto)ethnographie : la réalisatrice et anthropologue Céline Pernet approche, grâce à la caméra, des espaces et des dynamiques sociales desquels elle dit s’être longtemps sentie exclue. Elle porte un regard ouvert, générationnel, disposé au contrepoint ironique, tout en restant à l’écart des clichés de la comédie de genre. L’élan (il s’agit de l’élément qui m’a le plus frappé dans le film) est celui du désir. Désir de comprendre, justement, mais également désir tout court : la fascination érotique (féminine !) devient volonté de découverte. Il en résulte une série d’entretiens tournés dans des espaces domestiques, au cours desquels la réalisatrice propose à ses sujets d’aborder des thèmes tels que le rapport au corps, au sexe, à la paternité et aux applications de rencontre. Un montage ample et souvent dialogique lie les conversations en un chœur profondément humain, ponctué de vignettes qui dépeignent (avec une certaine tendresse) des espaces conventionnellement masculins, ainsi que des extraits de films de famille de la réalisatrice, qui en parallèle aux entretiens suit ainsi une subtile piste autobiographie. On y sent un écho lointain du cinéma-vérité de Rouch et Morin : avant tout dans les ondulations continues du discours, lorsque les sujets interviewés reconnaissent, tantôt en les rejetant, tantôt en arrondissant les angles, des éléments patriarcaux ou de critique féministe dans leurs propres paroles. De petites touches de réflexion idéologique (pour qui les cherche) dans un film qui reste au fond un geste personnel d’ouverture humaine et de partage.
Garçonnières | Film | Céline Pernet | CH 2022 | 80’ | Visions du Réel Nyon 2022, Solothurner Filmtage 2023
Albert Anker - Malstunden bei Raffael
Screenings in Swiss cinema theatres
Schon der Auftakt ist ein Hammer: Endo Anaconda liest in seiner heiseren Blues-Stimme aus einem Brief von Vincent van Gogh an seinen Bruder Theo vor: «Lebt Anker noch? Ich denke oft an seine Arbeiten, ich finde sie so tüchtig und fein empfunden». Im Hintergrund spielt jemand leise Klavier – ein Stück von Grieg auf dem originalen Instrument, das immer noch in Albert Ankers (1831–1910) gut erhaltenem, stattlichen Bauernhaus steht. Dann folgen wir dem bärtigen Sänger eine enge Treppe hoch, über knarzende Dielen ins Atelier des Malers, dessen Wände mit Skizzen, Fotos, Gipsmoulagen und Memorabilien volltapeziert sind. Und schon gesellt sich Nina Zimmer, Direktorin des Kunstmuseums Bern, dazu, die mit kunsthistorisch versiertem Blick mal auf einen japanischen Holzschnitt zeigt, mal in Ankers Bücherwand greift, mal mit dem ebenfalls angereisten Auktionator Eberhard Kornfeld über Ankers Bezug zu den Impressionisten plaudert.
Locker wechselt das Gespräch zwischen den Protagonisten – auch dem Pianisten Oliver Schnyder – hin und her, während die Kamera über Details wie die selbstgemachten Pinsel streift – für den feinsten soll Anker nur die Wimper eines Rehs verwendet haben – oder auf einzelne Werke fokussiert. Dabei erfahren wir, wie aus dem Theologen der Maler wurde, der fortan zwischen Ins und Paris pendelte, der den Fluchtpunkt einzelner Bilder auf die Augenhöhe von Kindern legte, der zu Lebzeiten 800 Werke verkaufte und der sich nach seinem Tod Malstunden bei Raffael wünschte. Doch immer wieder reisst uns Endo Anaconda aus der Idylle krachend ins Heute, etwa wenn er sich vor einer Fotografie des gealterten Ankers in dessen Selbstzweifel einschwingt: «Ja längts de für ä Vater, für wele Vater o immer, für dä im Himmel oder dr Liblechi ... bin i ä guätä Vater gsi … Da chunnt är mir nach.» Endo Anaconda, der Sänger der Berner Mundartband ‹Stiller Has›, ist kurz vor Vollendung des Films gestorben, doch er hat diesem noch die entscheidende Dringlichkeit verliehen. Der Film ist ein Glücksfall!
Gastbeitrag von Claudia Jolles, in Kooperation mit Kunstbulletin (NEU!)
Albert Anker – Malstunden bei Raffael | Film | Heinz Bütler | CH 2022 | 92’ | CH-Distribution: Filmcoopi
Retour à Reims (Fragments)
Screenings at the Solothurner Filmtage 2023
La devanture des images
En deux amples mouvements chapitrés et un épilogue, Jean-Gabriel Périot plonge dans l’histoire familiale d’une narratrice, la voix d’Adèle Haenel en off, revenant après une absence de trente années dans la ville de ses parents. Inspiré de l’essai éponyme de Didier Éribon (Fayard 2009), décrivant son retour à Reims après le décès de son père, il est rappelé combien il lui avait été nécessaire d’échapper à une condition sociale humiliante pour engager un parcours d’intellectuel, au loin d’une mère femme de ménage et plus tard ouvrière et dont la propre mère fut pendant la guerre une « poule à boche », tondue à la libération. Quant au père marié à 21 ans, deux enfants à 24 ans et guère capable d’en prendre soin, il fut détesté.
Fort d’un choix d’extraits du livre, l’ambition du réalisateur est de faire rendre à une histoire de famille prolétaire l’histoire du peuple de France dans le prisme des luttes de classes, du militantisme politique et syndical, des enthousiasmes idéologiques et des convictions militantes, des déconvenues et des désespérances collectives. La force de la démarche qui a vertu de leçons politiques est de monter en un récit cohérent des images issues de sources hétérogènes. On s’amuse à reconnaître furtivement des plans de Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo, de la Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin et dans la foulée de Le Joli Mai (1962) de Chris Marker et Pierre Lhomme… ou encore Jean-Paul Belmondo très jeune faisant la fête dans un bistrot de quartier. À force de fragments de fictions et de documentaires, de reportages et d’enquêtes des années 1940 aux images des gilets jaunes du temps présent, le cinéaste articule un discours réflexif et soutenu. Les questions mises en perspective sont graves et fondatrices des inquiétudes contemporaines, qui voient les traditions de la classe des travailleurs liée aux partis de gauche et particulièrement communiste, se diluer pour nourrir progressivement, par effets répétés d’humiliation, le sol de l’extrême droite.
Le propos est brillant, il apporte une lecture synthétique de l’histoire des 80 dernières années. Mais ce qui fait saillie par-delà le commentaire docte, sont ces moments au cours desquels des ouvriers et ouvrières prennent véritablement place dans le récit. Leurs visages, leurs voix dans l’expression sans artifice de leurs expériences de vie, acquièrent une dimension dramatique qui leste d’une émotion sans fard le flux du montage. C’est le jeu de la voix off et in qui se manifeste en une complémentarité nécessaire. L’évidence de la violence de l’exploitation dans les usines est dramatique, quand ce père dit ne plus pouvoir toucher ni sa fille, ni sa femme, tellement ses mains sont bouffées par des produits toxiques. À ce moment, l’évidence de vérité du témoignage confère au récit une ampleur considérable. L’évidence de ces plans aménage une déflagration dans le flux du texte lu. Une trace indélébile de l’histoire ouvrière dont le seul texte ne saurait donner l’entière dimension.
Retour à Reims hésite, par trop, à faire pleinement confiance en ses images, Jean-Gabriel Périot cédant parfois à la redondance du texte avec les images en réduisant des scènes filmées à une fonction illustrative. L’équilibre texte et image est fragile, leur lien est fait d’influences réciproques, de tensions exigeantes. Et parfois, salutairement, des scènes prennent de façon cinglante leur ascendant sur la lecture, faisant valoir une espèce de revanche à l’endroit d’une dramaturgie corsetée par un texte omniscient.
C’est ce parler vrai ou frais, comme dit Raymond Depardon, qui instille des traces du réel au cœur de l’architecture de Retour à Reims. Mais que serait une suite à donner à Retour à Reims, fait d’un retour approfondi dans les images de ces temps-là. On pense à une traversée iconoclaste de ce territoire, à la manière de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi ou de Haroun Farocki, proposant dans la chair même des plans une lecture anthropologique et forcément politique des codes et des systèmes symboliques à l’œuvre. Ceci pourrait se dérouler sans doute dans le silence qui gronde au dos de ces images.
Retour à Reims (Fragments) | Film | Jean-Gabriel Périot | FR 2021 | 80’ | Geneva International Film Festival 2021, Solothurner Filmtage 2023
Farewell Paradise
Screenings at the Solothurner Filmtage 2023
Wer seine Eltern mit der Vergangenheit konfrontiert, muss damit rechnen, dass es unangenehm wird. Vor allem, wenn die Familie schon seit Jahrzehnten kein idyllisches Bild mehr ergibt. Die glücklichen Kindheitserinnerungen zu Beginn von Sonja Wyss’ Dokumentation Farewell Paradise sind daher zwangsweise trügerischer Natur. Mit ihrer sonnenstrahlenden, bonbonfarbenden Sorglosigkeit hängen sie einer Zeit nach, die im starken Kontrast zu dem grauen, kargen Setting steht, das die Regisseurin als Gesprächsraum gewählt hat, um sich gemeinsam mit ihren Eltern und Geschwistern auf eine Spurensuche nach der Wahrheit zu begeben. Konkret geht es um die Trennung von Mutter und Vater, die das friedliche Miteinander der sechsköpfigen Schweizer Familie auf den Bahamas zunächst ins Schwanken und schliesslich zu Fall brachte, jedoch nicht ohne die Strapazen und temporären Neuanfänge, nicht ohne die ganze Bandbreite an Höhen und Tiefen, Beschönigungen und Verletzungen, die ein solches Unterfangen im Allgemeinen mit sich bringt. Das Faszinierende an diesem schlichten, unaufgeregten und ungemein privaten Film ist jedoch weniger das Drama, von dem er erzählt, als vielmehr die meditative Wirkung, die er erzeugt. Das entspannte Tempo im Schnitt wird verstärkt durch kontemplative Landschaftsaufnahmen, die den Bezug zur Realität herstellen wollen und darüber hinaus eine seltsame Harmonie erzeugen, die sich den Erinnerungen der Töchter und der Eltern anzupassen und aufzuerlegen scheint. Selbst in den intimsten und schmerzlichsten Momenten bleibt daher Raum für Reflexion und Perspektivwechsel, in Freiheit und auf Augenhöhe. Dass es der Regisseurin auf diese Weise gelingt, einen Diskussionsraum zu schaffen, der weder das Fehlverhalten des Vaters anklagt noch der Mutter eine blosse Opferrolle zuweist, macht diesen Film zu einer formal spannenden Versuchsanordnung, die zwar im letzten Akt der Nostalgie verfällt, aber dennoch als anregendes Experiment im Umgang mit persönlicher Vergangenheitsbewältigung in Erinnerung bleibt.
Farewell Paradise | Film | Sonja Wyss | CH-NL 2020 | 93‘ | Solothurner Filmtage 2021, Solothurner Filmtage 2023
Zahorí
Screenings in Swiss cinema theatres
Mora (Lara Tortosa) has a wild spirit. Despite growing up in the boundary free beauty of the Argentinian West, she experiences her world as tethered, like her old friend Nazareno’s (touchingly played by Santos Curapil) horse Zahorí is to a pole. She is tethered by rules, institutional learning, sexism, superstition and ideological Buddhist parents who have moved to this barren place, carving a simple existence from thick volcanic ash. Mora negotiates her adolescence in these desolate surrounds, oozing a temporality that is more cowboy than TikTok.
We come to understand the characters through the swelling land roughly corniced by the Patagonian mountainscape. Shots track and linger upon Mora, her little brother Himeko (Cirilo Wesley), Nazareno and two Christian Soldiers, all marching to a different drum. They walk between scattered dwellings with playful curiosity, reverie or retrieval. I’m reminded of Gus Van Sant’s Gerry (2003) where the camera mediates its relationship with the landscape entirely through two walking figures—but the formers contact with the wilderness is constituted far less violently.
The spectre of Argentina’s strong missionary past descends, almost as ridiculous as a scene from the Book of Mormons, the intrusion ultimately corrupting the contiguity of body, spirit and nature that Nazareno possesses and Mora frantically cultivates. The importation of other faiths fails in principle and practice: Buddhist vegetarians go hungry and Christians falter at the unburied in their refusals to accept the cycle of desert life.
Zahorí is a meditation on death as loss and freedom. Everyone contemplates it, even the scarab beetles predict our finitude. Relationships die. Animal bones lace every turn. Like Mora, the frenzied Zahorí charges the plains, finally coming to rest; the true tether, "life itself", becoming ashes.
Zahorí is Marí Alessandri’s debut feature as both Director and Writer. She provides a feminine and innocent view of these harsh lands through Mora, a contemporary Calamity Jane who straddles her freedom to walk in the shoes of a fading Gaucho. A film to be viewed on the big screen in order to soak up the changing ambience of light, wind and inky depths of night with flashes of chiaroscuro (Joakim Chardonnens). A very fine contribution by an astute filmmaker who understands how to embody place.
Zahorí | Film | Mari Alessandrini | CH-ARG-CHL-FR 2021 | 105' | Locarno Film Festival 2021, Filmar en América latina Genève 2021
A ciel ouvert
L’amour semble renaître entre le cinéma suisse et le travail, après des années où il paraissait s’être refroidi. Quelques signes étaient déjà là, mais avec cette édition des Journées de Soleure [2022], ceci est devenu une évidence. Une dizaine de titres du programme abordent ce thème sous différents angles. Et je ne me réfère pas au métier d’agriculteur, dont les représentations cinématographiques abondent, parfois un peu édulcorées, mais plutôt aux autres professions que nous avons finalement appris à définir comme essentielles. Ce nouvel intérêt a de nombreuses causes : la crise environnementale, la désindustrialisation, la transformation numérique ou la précarité endémique, pour n’en citer que quelques-unes. La pandémie nous a également permis de redécouvrir des professions dont nous pensions qu’elles avaient peu à nous apprendre.
Il va sans dire que le documentaire joue un rôle majeur dans ce processus de redécouverte. À ciel ouvert, réalisé par Charlie Petersmann et sélectionné pour le Prix de Soleure, nous emmène dans les bas-fonds d’un grand chantier de la Suisse romande et nous montre la réalité des maçons. Ce sont tous des migrants, beaucoup sont ici en Suisse de manière temporaire, certains n’arrivent pas à s’enraciner, d’autres semblent avoir trouvé le bon chemin. Ce sont des hommes qui travaillent dur, qui ont fait des choix de vie courageux ; mais leur masculinité, malgré les stéréotypes, est synonyme de fragilité. Pour certains, la profession est une vocation, pour d’autres une nécessité, un compromis avec la vie. Comme le dit l’un des protagonistes, « ils ont eu plus de chance que d’autres ». Le monde extérieur au chantier semble indifférent à leurs destins, parfois il y semble même hostile. Bien qu’il s’agisse de l’une des catégories les plus fortes du point de vue syndical, ces hommes, pour une raison ou une autre, ont presque tous du mal à profiter du bien-être qu’ils contribuent à produire, car le coût de la vie ronge leur salaire tant convoité et mérité. L’isolement social fait le reste.
Dans À ciel ouvert, il est peu question de contrats et d’abus. La principale préoccupation du réalisateur est de souligner la séparation entre le chantier de construction et le contexte social qui l’entoure. L’apparition rapide d’un syndicaliste dans le film représente le seul contact entre ce monde et leur environnement. Le tourniquet qui régule l’entrée des ouvriers du bâtiment fait office de seuil. Ce n’est qu’après avoir franchi ce seuil que les maçons semblent exister. Le chantier d’À ciel ouvert est un théâtre et nous, les spectateurs, sommes appelés à assister à la performance qui s’y déroule. Les histoires, les sourires, l’humanité des protagonistes nous touchent, mais nous sommes également fascinés par le spectacle des corps et des machines en mouvement, des matériaux transformés, des coulées de ciment, des symphonies mécaniques, etc. La mise en scène prend soin de ne pas négliger la photogénie des armatures en béton ou les géométries produites par les échafaudages. À l’intérieur du chantier, on peut encore sentir l’odeur du 20ème siècle, en partie rassurante et en partie non. À ciel ouvert confirme une fois de plus la grande valeur du cinéma documentaire suisse et, en particulier, celui produit en Suisse romande.
À ciel ouvert | Film | Charlie Petersmann | CH 2022 | 75’ | Solothurner Filmtage 2022