Jungle rouge

Text: Jean Perret

Un film politiquement spectaculaire

C’est dans la jungle de la guerre civile colombienne, enchanteresse par la luxuriance de sa végétation et ses cascades d’eau fraîche, que Raul Reyes, numéro deux de la hiérarchie des FARC – Forces armées révolutionnaires de Colombie d’obédience marxiste - mène une poignée de camarades à la lutte triomphale contre les pouvoirs politiques gangrénés par l’État et ses milices paramilitaires liées aux narcotrafiquants. C’est dans cette même jungle boueuse et harassée de pluie diluviennes que ce même leader définitivement égaré dans sa folie de puissance est abattu le 1er mars 2008 à la frontière équatorienne.

Juan Lozano, cinéaste colombien établi à Genève, est l’auteur depuis les années 2000 de deux longs métrages documentaires, d’une série d’animation et de courts métrages, qui sont pour l’essentiel chevillés à son pays. C’est dans cette Colombie stigmatisée par une guerre civile de plus de cinquante années, qu’il conçoit Jungle rouge qui a valeur d’exorcisme à l’endroit de cette histoire d’une violence endémique qui fit près de 300'000 victimes, sans compter plus de 50'000 disparus et quelques 6 millions de déplacés (voir à ce propos le remarquable film Tacacho de Felipe Monroe). Le récit basé sur une partie de la correspondance de Raul Reyes trouvée dans son ordinateur est celui d’une lente et inexorable descente dans l’enfer d’une lutte armée en voie de décomposition.

C’est dans un huis-clos étouffant que le spectateur est invité de pénétrer, au sein duquel les rapports de pouvoir, les liens souvent délétères entre les femmes et les hommes, soit la vie quotidienne des guérilleros, vont leur train. Quelques épisodes, telles l’arrivée d’une poignée de journalistes et de quelques touristes en mal d’exotisme, des attaques de l’armée, des tentatives de désertion et la fuite d’un campement à un autre, confèrent au film les nécessaires rebonds rythmés par une bande son sachant en dramatiser les actions. Mais l’idée-force de Juan Lozano est de procéder à la mise à nu de ce qui est devenu le mythe de la révolution communiste en s’associant à Zoltan Horvath, cinéaste animateur suisse. Car Jungle rouge est un film d’animation conçu à partir de prises de vues réelles d’actrices et d’acteurs, qui jouent en studio, devant un écran vert, les scènes qui seront incrustées dans des décors virtuels. Le travail consiste dès lors à déréaliser la mise en scène, mettant à l’abri le projet de toute reconstitution vériste des événements. Les contours des images pixellisées paraissent fluctuants, et les couleurs épousent de façon apparemment approximative les décors et les personnages qui s’y déplacent. Cependant, l’animation produit un effet de réel, une forme paradoxale d’amplification de la vraisemblance des actions dont Juan Lozano et Zoltan Horvath s’ingénient à réduire les traits caractéristiques à l’essentiel. Certes, on dira que la psychologie des personnages sait parfois être nuancée, même Raul Reyes exprime des sentiments filiaux, voire amoureux, mais le travail d’animation a la vertu de littéralement les défigurer. La palette graphique arrache les masques, déréalise les visages et les corps ; elle en altère la représentation, produisant des effets de distanciation résolument favorables à une lecture critique de la lutte des FARC.

C’est par le détour d’une mise en scène jouant ainsi parfaitement de l’artificialité que Jungle rouge parvient remarquablement à faire état d’un impressionnant et implacable réalisme. Cette réalisation iconoclaste relève à n’en point douter de l’urgence de nommer la tragédie qui fut celle d’un pays aujourd’hui convalescent.

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Screenings at the Solothurner Filmtage 2023

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Jungle Rouge | Film | Juan Lozano, Zoltan Horvath | CH-FR 2022 | 92’ | Filmar en América latina Genève 2022, Solothurner Filmtage 2023

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First published: September 22, 2022