Sur le pont

Ils voulaient réaliser un film sur la naissance et sur la mort. La naissance immémoriale a laissé finalement place à la projection de la mort, c’est-à-dire aux imaginations et expériences de préparation des patients des unités de soin palliatif ou à domicile. Les sujets qui ont participé à ce projet collaboratif lancé par les frères Fred et Sam Guillaume, ont su regarder la mort dans les yeux, avec une sérénité et un calme que le film a mis au centre de son récit documentaire. C’est justement ce qui frappe avec Sur le pont qui formule une médiation audacieuse-car-lucide sur la mort. Le travail d’animation crée une esthétique véritablement métaphysique, aux espaces épurés qui rappellent le cosmos pictural de Edward Hopper. Le choix du train en tant que figure du corps qui amène les derniers voyageurs à une destination suspendue sur un pont apparemment sans appui, renforce le sens du destin que les protagonistes vivent à la fin de leur vie. Les espaces des wagons sont trop larges, comme dans un rêve qui élargit les dimensions du véhicule pour en faire un salon baigné dans une lumière contrastée de fin de journée. La lente déstructuration du train fera du pont une décoration du ciel, anticipation de l’au-delà, où imagination documentaire et fantaisie animée coïncident. Je ne sais pas si c’est cette combinaison d’acceptation sereine et de destin mortel, ou bien la force de l’esthétique créée par les frères Guillaume, mais Sur le pont démontre l’acuité « réaliste » de l’animation, au moins au sens d’un réalisme émotif. L’expérience collective de la mort que le film rassemble, et son baume consolatoire, n’excluent pas l’expérience existentielle dans laquelle ce film est capable de nous plonger – une expérience qui restera longuement gravée dans notre mémoire cinéphile car porteuse de l’au-delà immémorial, à son tour témoin de l’excellence de nos vies. Et le film se terminera, justement, par une sorte de naissance cinématographique en guise d’hymne à la vie.