At the festival Black Movie Genève
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How to Save a Dead Friend | Marusya Syroechkovskaya
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Sous les figues
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Quand on commence une phrase en disant « mine de rien, … », on sait qu’une surprise va suivre. Dans ce film au dispositif minimaliste, c’est ce qui arrive. En effet, rien n’arrive, initialement, ou presque rien, c’est-à-dire le quotidien des travailleurs saisonniers dans un champ de figuiers. Erige Sehiri nous parle de travail, d’un travail de nécessité, mal payé, il y a bien de l’exploitation, quoique rien d’inhumain. Mais elle nous parle surtout de ce qui se dit, des moments d’échange, du tissu social qui précède et traverse la journée de travail. De l’aube au coucher de soleil, nous accompagnons une dizaine de figures à travers leur parole. Chuchotée, adressée, chantée, criée, la parole forge le paysage des grands figuiers, crée des espaces clos, puis ouverts, construit un véritable réseau de relations : relations de pouvoir, d’amitié, de trahison, d’amour. La confession et la délation font la trame d’une communauté, qu’on retrouvera seulement réunie à la fin du film. C’est une communauté pleine de secrets, sans secrets. Le drame de la confiance et de la méfiance – la première s’imposant par nécessité spontanée, la deuxième par une sorte de destin inéluctable – grandit dans un crescendo passionnant. La dimension plate du small talk prend alors une ampleur sociale tridimensionnelle, qui nous raconte une Tunisie patriarcale, injuste, corrompue. Mais aussi une société d’individus passionnés, allègres, doux. Il n’y a pas de victime qui ne soit aussi un petit peu bourreau. Un vent d’humanisme semble embrasser tout le monde, sans exception, tout en en révélant la petitesse. Seule une fille saura briller par sa résistance aux intrigues de sa communauté : elle payera son envie de vérité par l’isolement. Réaliste, complexe, Sous les figues raconte le drame minimaliste de l’humain par la riche fresque de l’humain-trop-humain.
Text: Giuseppe Di Salvatore
Sous les figues | Film | Erige Sehiri | TUN-CH-DE 2022 | 92’ | Solothurner Filmtage 2023, Black Movie Genève 2023
Stone Turtle
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Screenings at the festival Black Movie Genève 2023
Ghosts can take many forms: the dead, whose voiceless images remain like shards, at the margins of everyday life, those whose life was always just memory: figments of remote past, of the screen; figures of the myth. The invisible among us, those whose pain and loneliness we choose to unsee. In Woo Ming Jin’s Stone Turtle all these ghosts seem to gather together on the titular island, under the premise, as one character notes at one point, that they’d «rather be alive on an island of ghosts, than dead in the land of the living». The temporality of revenge – climactic, culminational, resolutive – blends here with the cyclical, open-ended time of old folk legends. Structurally, the gamble is ambitious but it works, against all odds, leading to a dark, fairy-tale version of Groundhog Day. Thematically perhaps Stone Turtle reaches a little too far: Woo’s attempt to align feminist and migrant struggles with mythic materials past and present (from Malaysian lore to Marvel comics) seems at times strained, though certainly in vogue (cue Apichatpong Weerasethakul, though an even better example might be Suwichakornpong’s Krabi, 2562). Stylistically however its rather unique strain of magical realism pays off, thanks mostly to Asmara Abigail’s intense yet oddly removed performance. Echoes of Angela Carter’s Bloody Chamber run through the plot as bursts of (gendered) violence and moments of documentary-style observation mix with Ghibli-esque animation by Paul Williams. A film to watch twice because only the second viewing makes it clear that the ultimate turtle island is cinema itself: a strange, deceptively close land, populated by figures forever caught between life and death.
Text: PM Cicchetti
Stone Turtle | Film | Woo Ming Jin | MAL-IND 2022 | 91’ | Black Movie Genève 2023
Avec amour et acharnement
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Screenings in Swiss cinema theatres
Des hautes sphères métaphysiques de High Life, Claire Denis descend dans les bas-fonds de l’énième triangle amoureux du cinéma, à qui il manque la grandeur du cinéma. Avec amour et acharnement est un petit film, car malgré la grande maîtrise de la réalisation et les solides performances des acteurs, l’histoire devient de plus en plus invraisemblable, tout en restant radicalement naturaliste – difficile alchimie ! En fait, Denis garde jusqu’au bout une attention aiguë pour les détails psychologiques (très réussis), tandis que la figure féminine, Sara, se voit confier le registre de l’irrationnel de façon assez caricaturale. Par son écriture, la réalisatrice insiste sur ce registre en bloquant l’amant, François, dans un rôle sans épaisseur, et nous oblige à en savoir toujours plus que ses personnages, pendant qu’ils se plient aux caprices d’une dramatisation très, trop voulue. Il faudra se contenter de la beauté des détails, les grimaces, les pauses, les contrechamps : magnifiques ! Des petits plaisirs pour cinéphiles.
Text: Giuseppe Di Salvatore
Avec amour et acharnement | Film | Claire Denis | FR 2022 | 116’ | Silver Bear for Best Director at the Berlinale 2022
Fogo-Fátuo
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Screenings at the festival Black Movie Genève 2023
C’est l’histoire d’Alfredo, prince aux désirs révolutionnaires qui, au cours de sa formation de sapeur-pompier, croise la route de l’instructeur Alfonso et découvre d’autres désirs, tabous dans sa famille bête et coincée. C’est donc le récit d’une éducation (ou plutôt d’un déniaisement), au cours duquel l’envie d’Alfredo de sortir de sa caste est mise à l’épreuve d’autres corps, aux deux sens du terme, puisqu’il se frotte à la fois au corps collectif des pompiers et au corps singulier d’un pompier, charmé et agacé par ce blanc bec qui vient lui dire à lui, sujet racisé, qu’il veut changer le monde avec ses jolies idées. Ce n’est pas la philosophie dans le boudoir, mais l’histoire de l’art dans les vestiaires (à son arrivée, les collègues d’Alfredo reconstituent à poil quelques chefs d’œuvre de l’art pictural que le prince, qui prétend s’y connaître en tableaux, est sommé d’identifier ; ce sera un zéro pointé) avec comme apostille un bref traité sur l’art de conjuguer la critique postcoloniale à la branlette. Ce n’est pas pour autant un film donneur de leçons, car comme son protagoniste, à travers toutes ses pirouettes (narratives : le film se permet quelques allers-retours entre 2069, lorsqu’Alfredo se meurt et se souvient, et le présent, lorsque le prince est jeune et vit ; corporelles : les personnages chantent, dansent, se caressent et s’aiment) Fogo-Fátuo se cherche tout en sachant qu’il ne se trouvera pas, destin réservé à ceux qui toute leur vie durant se contentent de rester là où on leur dit d’être. Assis confortablement sur son déséquilibre, il prend son temps sans nous permettre de prendre notre pied, ultime pied de nez qui nous rappelle que la jouissance, ça ne se commande pas et que le cinéma n’a pas vocation à contenter son public.
Text: Emilien Gür
Fogo-Fátuo | Film | João Pedro Rodrigues | PT-FR 2022 | 67’
Jungle rouge
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Screenings at the Solothurner Filmtage 2023
Un film politiquement spectaculaire
C’est dans la jungle de la guerre civile colombienne, enchanteresse par la luxuriance de sa végétation et ses cascades d’eau fraîche, que Raul Reyes, numéro deux de la hiérarchie des FARC – Forces armées révolutionnaires de Colombie d’obédience marxiste - mène une poignée de camarades à la lutte triomphale contre les pouvoirs politiques gangrénés par l’État et ses milices paramilitaires liées aux narcotrafiquants. C’est dans cette même jungle boueuse et harassée de pluie diluviennes que ce même leader définitivement égaré dans sa folie de puissance est abattu le 1er mars 2008 à la frontière équatorienne.
Juan Lozano, cinéaste colombien établi à Genève, est l’auteur depuis les années 2000 de deux longs métrages documentaires, d’une série d’animation et de courts métrages, qui sont pour l’essentiel chevillés à son pays. C’est dans cette Colombie stigmatisée par une guerre civile de plus de cinquante années, qu’il conçoit Jungle rouge qui a valeur d’exorcisme à l’endroit de cette histoire d’une violence endémique qui fit près de 300'000 victimes, sans compter plus de 50'000 disparus et quelques 6 millions de déplacés (voir à ce propos le remarquable film Tacacho de Felipe Monroe). Le récit basé sur une partie de la correspondance de Raul Reyes trouvée dans son ordinateur est celui d’une lente et inexorable descente dans l’enfer d’une lutte armée en voie de décomposition.
C’est dans un huis-clos étouffant que le spectateur est invité de pénétrer, au sein duquel les rapports de pouvoir, les liens souvent délétères entre les femmes et les hommes, soit la vie quotidienne des guérilleros, vont leur train. Quelques épisodes, telles l’arrivée d’une poignée de journalistes et de quelques touristes en mal d’exotisme, des attaques de l’armée, des tentatives de désertion et la fuite d’un campement à un autre, confèrent au film les nécessaires rebonds rythmés par une bande son sachant en dramatiser les actions. Mais l’idée-force de Juan Lozano est de procéder à la mise à nu de ce qui est devenu le mythe de la révolution communiste en s’associant à Zoltan Horvath, cinéaste animateur suisse. Car Jungle rouge est un film d’animation conçu à partir de prises de vues réelles d’actrices et d’acteurs, qui jouent en studio, devant un écran vert, les scènes qui seront incrustées dans des décors virtuels. Le travail consiste dès lors à déréaliser la mise en scène, mettant à l’abri le projet de toute reconstitution vériste des événements. Les contours des images pixellisées paraissent fluctuants, et les couleurs épousent de façon apparemment approximative les décors et les personnages qui s’y déplacent. Cependant, l’animation produit un effet de réel, une forme paradoxale d’amplification de la vraisemblance des actions dont Juan Lozano et Zoltan Horvath s’ingénient à réduire les traits caractéristiques à l’essentiel. Certes, on dira que la psychologie des personnages sait parfois être nuancée, même Raul Reyes exprime des sentiments filiaux, voire amoureux, mais le travail d’animation a la vertu de littéralement les défigurer. La palette graphique arrache les masques, déréalise les visages et les corps ; elle en altère la représentation, produisant des effets de distanciation résolument favorables à une lecture critique de la lutte des FARC.
C’est par le détour d’une mise en scène jouant ainsi parfaitement de l’artificialité que Jungle rouge parvient remarquablement à faire état d’un impressionnant et implacable réalisme. Cette réalisation iconoclaste relève à n’en point douter de l’urgence de nommer la tragédie qui fut celle d’un pays aujourd’hui convalescent.
Text: Jean Perret
Jungle Rouge | Film | Juan Lozano, Zoltan Horvath | CH-FR 2022 | 92’ | Filmar en América latina Genève 2022, Solothurner Filmtage 2023
Garçonnières
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Screenings in Swiss cinema theatres and at the Solothurner Filmtage 2023
Enquête sur la masculinité comme espace autre, Garçonnières est avant tout un exercice d’(auto)ethnographie : la réalisatrice et anthropologue Céline Pernet approche, grâce à la caméra, des espaces et des dynamiques sociales desquels elle dit s’être longtemps sentie exclue. Elle porte un regard ouvert, générationnel, disposé au contrepoint ironique, tout en restant à l’écart des clichés de la comédie de genre. L’élan (il s’agit de l’élément qui m’a le plus frappé dans le film) est celui du désir. Désir de comprendre, justement, mais également désir tout court : la fascination érotique (féminine !) devient volonté de découverte. Il en résulte une série d’entretiens tournés dans des espaces domestiques, au cours desquels la réalisatrice propose à ses sujets d’aborder des thèmes tels que le rapport au corps, au sexe, à la paternité et aux applications de rencontre. Un montage ample et souvent dialogique lie les conversations en un chœur profondément humain, ponctué de vignettes qui dépeignent (avec une certaine tendresse) des espaces conventionnellement masculins, ainsi que des extraits de films de famille de la réalisatrice, qui en parallèle aux entretiens suit ainsi une subtile piste autobiographie. On y sent un écho lointain du cinéma-vérité de Rouch et Morin : avant tout dans les ondulations continues du discours, lorsque les sujets interviewés reconnaissent, tantôt en les rejetant, tantôt en arrondissant les angles, des éléments patriarcaux ou de critique féministe dans leurs propres paroles. De petites touches de réflexion idéologique (pour qui les cherche) dans un film qui reste au fond un geste personnel d’ouverture humaine et de partage.
Text: PM Cicchetti
Garçonnières | Film | Céline Pernet | CH 2022 | 80’ | Visions du Réel Nyon 2022, Solothurner Filmtage 2023
Anhell69
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Screenings in Swiss cinema theatres
A hearse carrying a coffin with the “corpse” of Colombian director Theo Montoya travels through highways and streets of Medellin in a ghostly journey of remembrances of his childhood, the birth of his love for auteur cinema, his sexuality and those members of the queer community he befriended during the casting sessions of a B-movie he never made: a metaphor for a ferocious city whose spectral inhabitants constitute an army of living dead.
All along the itinerary Theo Montoya's voice-over reanimates these snippets of memories and builds a series of notes that end up creating a sort of requiem for truncated lives and desires. While watching Anhell69 one has the impression that the would-to-be movie has won a quality hard to attain as only pure “fiction”, now transformed into the anguished depiction of an uncertain future.
What Montoya puts before our eyes is the portrait of a fatherless generation, a threnody for a submerged world populated by - to use a Canettian term - packs of temporary survivors of a dystopic city where every corner seems to be under the spell of the phantom of Pablo Escobar. To add more meaning to his voyage, Montoya entrusted the steering of the car to Victor Gaviria, one of the more influential directors on young Colombian filmmakers.
Anhell69, a title derived of the blend of “angel” and “hell”, is the name of an Instagram profile of Camilo Najar, one of the film’s protagonists, a 21-year-old graphic design student who died some days after the interview. The film is always confronted with different faces of death: of Theo Montoya´s fictitious one; of people who ceased to be; of zombies wandering around. When interviewed the members of the queer community reveal a fragility that seems to attenuate and even disappear when they indulge in wild parties, but which is expressed with painful beauty in those moments when they seek protection and try to conjure their fate by embracing one another, until their “no future” destiny comes to them implacably, and then a few weeks, months or years later they will die, victims of drug abuse and violence.
This gloomy and unsettling essay on a kidnapped country where its young protagonists are potential prey for all kind of haters (narcos, guerrilla, military) is, according to Montoya, a “trans film”, not only in terms of sexual identity but also its transgression of narrative standards. Punctuated by shots of the travelling corpse, its opaque narration, fragments of interviews, images of the vampire picture he tried to make, and views of Medellin (produced thanks to its dependence on a recurring dronephilia), this fictional story inside a documentary film creates a dark canvas of uneasiness that is hard to forget.
Confronting archival footage of the signing of the peace agreement between the guerrillas and the government, terrorism and civil protests with the confessions of the young people during the casting, Montoya talks about a tragic personal experience and its imprint on the film that never was and the one he is building as a B movie of ghosts in honor of the quick and the dead.
Text: Jorge Yglesias
Anhell69 | Film | Theo Montoya | COL-ROM-FR-DE 2022 | 75’ | Black Movie Festival Genève 2023
Albert Anker - Malstunden bei Raffael
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Screenings in Swiss cinema theatres
Schon der Auftakt ist ein Hammer: Endo Anaconda liest in seiner heiseren Blues-Stimme aus einem Brief von Vincent van Gogh an seinen Bruder Theo vor: «Lebt Anker noch? Ich denke oft an seine Arbeiten, ich finde sie so tüchtig und fein empfunden». Im Hintergrund spielt jemand leise Klavier – ein Stück von Grieg auf dem originalen Instrument, das immer noch in Albert Ankers (1831–1910) gut erhaltenem, stattlichen Bauernhaus steht. Dann folgen wir dem bärtigen Sänger eine enge Treppe hoch, über knarzende Dielen ins Atelier des Malers, dessen Wände mit Skizzen, Fotos, Gipsmoulagen und Memorabilien volltapeziert sind. Und schon gesellt sich Nina Zimmer, Direktorin des Kunstmuseums Bern, dazu, die mit kunsthistorisch versiertem Blick mal auf einen japanischen Holzschnitt zeigt, mal in Ankers Bücherwand greift, mal mit dem ebenfalls angereisten Auktionator Eberhard Kornfeld über Ankers Bezug zu den Impressionisten plaudert.
Locker wechselt das Gespräch zwischen den Protagonisten – auch dem Pianisten Oliver Schnyder – hin und her, während die Kamera über Details wie die selbstgemachten Pinsel streift – für den feinsten soll Anker nur die Wimper eines Rehs verwendet haben – oder auf einzelne Werke fokussiert. Dabei erfahren wir, wie aus dem Theologen der Maler wurde, der fortan zwischen Ins und Paris pendelte, der den Fluchtpunkt einzelner Bilder auf die Augenhöhe von Kindern legte, der zu Lebzeiten 800 Werke verkaufte und der sich nach seinem Tod Malstunden bei Raffael wünschte. Doch immer wieder reisst uns Endo Anaconda aus der Idylle krachend ins Heute, etwa wenn er sich vor einer Fotografie des gealterten Ankers in dessen Selbstzweifel einschwingt: «Ja längts de für ä Vater, für wele Vater o immer, für dä im Himmel oder dr Liblechi ... bin i ä guätä Vater gsi … Da chunnt är mir nach.» Endo Anaconda, der Sänger der Berner Mundartband ‹Stiller Has›, ist kurz vor Vollendung des Films gestorben, doch er hat diesem noch die entscheidende Dringlichkeit verliehen. Der Film ist ein Glücksfall!
Gastbeitrag von Claudia Jolles, in Kooperation mit Kunstbulletin (NEU!)
Text: Claudia Jolles
Albert Anker – Malstunden bei Raffael | Film | Heinz Bütler | CH 2022 | 92’ | CH-Distribution: Filmcoopi