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Retour à Reims (Fragments)
Screenings at the Solothurner Filmtage 2023
La devanture des images
En deux amples mouvements chapitrés et un épilogue, Jean-Gabriel Périot plonge dans l’histoire familiale d’une narratrice, la voix d’Adèle Haenel en off, revenant après une absence de trente années dans la ville de ses parents. Inspiré de l’essai éponyme de Didier Éribon (Fayard 2009), décrivant son retour à Reims après le décès de son père, il est rappelé combien il lui avait été nécessaire d’échapper à une condition sociale humiliante pour engager un parcours d’intellectuel, au loin d’une mère femme de ménage et plus tard ouvrière et dont la propre mère fut pendant la guerre une « poule à boche », tondue à la libération. Quant au père marié à 21 ans, deux enfants à 24 ans et guère capable d’en prendre soin, il fut détesté.
Fort d’un choix d’extraits du livre, l’ambition du réalisateur est de faire rendre à une histoire de famille prolétaire l’histoire du peuple de France dans le prisme des luttes de classes, du militantisme politique et syndical, des enthousiasmes idéologiques et des convictions militantes, des déconvenues et des désespérances collectives. La force de la démarche qui a vertu de leçons politiques est de monter en un récit cohérent des images issues de sources hétérogènes. On s’amuse à reconnaître furtivement des plans de Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo, de la Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin et dans la foulée de Le Joli Mai (1962) de Chris Marker et Pierre Lhomme… ou encore Jean-Paul Belmondo très jeune faisant la fête dans un bistrot de quartier. À force de fragments de fictions et de documentaires, de reportages et d’enquêtes des années 1940 aux images des gilets jaunes du temps présent, le cinéaste articule un discours réflexif et soutenu. Les questions mises en perspective sont graves et fondatrices des inquiétudes contemporaines, qui voient les traditions de la classe des travailleurs liée aux partis de gauche et particulièrement communiste, se diluer pour nourrir progressivement, par effets répétés d’humiliation, le sol de l’extrême droite.
Le propos est brillant, il apporte une lecture synthétique de l’histoire des 80 dernières années. Mais ce qui fait saillie par-delà le commentaire docte, sont ces moments au cours desquels des ouvriers et ouvrières prennent véritablement place dans le récit. Leurs visages, leurs voix dans l’expression sans artifice de leurs expériences de vie, acquièrent une dimension dramatique qui leste d’une émotion sans fard le flux du montage. C’est le jeu de la voix off et in qui se manifeste en une complémentarité nécessaire. L’évidence de la violence de l’exploitation dans les usines est dramatique, quand ce père dit ne plus pouvoir toucher ni sa fille, ni sa femme, tellement ses mains sont bouffées par des produits toxiques. À ce moment, l’évidence de vérité du témoignage confère au récit une ampleur considérable. L’évidence de ces plans aménage une déflagration dans le flux du texte lu. Une trace indélébile de l’histoire ouvrière dont le seul texte ne saurait donner l’entière dimension.
Retour à Reims hésite, par trop, à faire pleinement confiance en ses images, Jean-Gabriel Périot cédant parfois à la redondance du texte avec les images en réduisant des scènes filmées à une fonction illustrative. L’équilibre texte et image est fragile, leur lien est fait d’influences réciproques, de tensions exigeantes. Et parfois, salutairement, des scènes prennent de façon cinglante leur ascendant sur la lecture, faisant valoir une espèce de revanche à l’endroit d’une dramaturgie corsetée par un texte omniscient.
C’est ce parler vrai ou frais, comme dit Raymond Depardon, qui instille des traces du réel au cœur de l’architecture de Retour à Reims. Mais que serait une suite à donner à Retour à Reims, fait d’un retour approfondi dans les images de ces temps-là. On pense à une traversée iconoclaste de ce territoire, à la manière de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi ou de Haroun Farocki, proposant dans la chair même des plans une lecture anthropologique et forcément politique des codes et des systèmes symboliques à l’œuvre. Ceci pourrait se dérouler sans doute dans le silence qui gronde au dos de ces images.
Retour à Reims (Fragments) | Film | Jean-Gabriel Périot | FR 2021 | 80’ | Geneva International Film Festival 2021, Solothurner Filmtage 2023
Dear Future Children
They want to change the course of History, but they probably should start changing the mind of their neighbour first. In a nutshell, this is the essence of my impression of Dear Future Children, and this is the reason why I would not like to be the future children of two of the three activists in focus here, because I will play with harder fascism their romantic game of playing the global hero, the anarchist, the victim, the rebel. I mean, playing the disastrous game of confronting police can be a necessity in countries where the opinion of the majority has no meaning anymore, but in weak democracies such as in Chile or Hong-Kong, one should use one’s own education to find more efficacious strategies, first of all addressing oneself directly to the conformist masses that, against their interests, tend to accept liberticide and authoritarian regimes.
The case of the Ugandan story is different, insofar as its young hero is more involved in campaigning than in violent struggles, and yet she also appears frustrated by her own speaking, asking for more action. Action however, dear activists, is a Sisyphus’ job when it is not coupled with strong collective consciousness and motivation, exactly as command or prohibition are. One should never cease to use words instead of stones. Therefore, the constructive example of the Ugandan girl is a moment of hope in a film that otherwise conveys a desperate message, for it constitutes the portrait of an educated and informed young generation that acts out of despair and neglects intelligence – no more David against Goliath, but little Goliaths against the Leviathan…
Dear Future Children tells the sad story of some well-intentioned but anachronistic beautiful souls, of a generation that is (already) as old-fashioned as Bakunin or the Che (and Böhm himself, his young age notwithstanding, actually uses the quite conservative filmic language of mass journalism and its cliched emotions). This is a sad reality that one would like to forget, hoping for a future where humanism and democracy will be a matter of intelligence. The film also tells the story of other young people around the world, that work to concretely defend the well-being of the planet: as the almost isolated Ugandan girl is the representative of another category of people that founds communities, creates parties, proposes solutions, speaks with the political rivals, connects with real people and gives the example. Through what I see as an essential distinction, the idea itself of “activism” should be sharply redefined, so as to avoid the catastrophic misunderstanding according to which changes should come from rioting in the streets.
Dear Future Children | Film | Franz Böhm | DE-UK-AT 2021 | 89’ | FIFDH Genève 2021
Traverser
Screenings in August 2021 at the Festival Cinémas d'Afrique Lausanne 2021
Côte d’Ivoire, Libye, Turin, Paris. Voilà les étapes de la migration de Inza Junior, surnommé « Bourgeois ». Mais dans les récits et dans l’expression des visages à l’écran il y a aussi le désert, la Méditerranée, les Alpes. Traverser ne puise pas dans les avantages narratifs du road movie, car il photographie plutôt une situation, celle des migrants, dont la réalité quotidienne peu racontée au cinéma est faite (aussi) d’attente, de rétention — au sens littéral et figuré —, d’inertie, de patience. L’espoir et l’endurance, ici, l’emportent sur l’aventure et la découverte, la violence étant une menace constante, qui peut s’imposer de l’extérieur comme surgir de l’intérieur, à travers les innombrables occasions de déviance auxquelles les jeunes migrants sont naturellement exposés.
Après Vivre riche (2017) et sa photographie d’une jeunesse ivoirienne souvent bien scolarisée mais à la recherche désespérée d’une fortune instantanée, dépourvue de futur ou de plans de vie, avec Traverser Joël Akafou nous restitue la photographie d’une jeunesse à la recherche d’un plan de vie, bien informée sur la migration, sans illusions naïves, mais décidée à réagir aux injustices sociales de son pays d’origine. Dans la suspension forcée et indéterminée de la bureaucratie italienne, la caméra d’Akafou suit toujours de près son protagoniste absolu. Celui-ci, indépendamment de sa « performance » bien consciente devant la caméra, représente efficacement toute une partie de migrants qui quittent non pas la violence de la guerre, mais la violence de la corruption et de l’autoritarisme — l’autre et le plus universel visage du colonialisme globalisé. En cela Traverser sait dépasser la spécificité africaine, car Bourgeois — et le surnom ici est très parlant — devient également le porte-parole indirect aussi d’une bonne partie des migrants internes en Europe, provenant souvent du Sud ou de l’Est. Et notamment du sud de l’Italie, celui que peuvent exprimer les appartements tristounets de la périphérie de Turin.
Il n’y a pas de choix cinématographiques particulièrement intéressants dans Traverser — il faut le dire. Son style reportage, par contre, rend bien, surtout à Turin, la désolation des longues périodes de limbes qui constituent le pain quotidien du voyage des migrants. Et — ici il y a un autre élément d’originalité du film — nous découvrons comment dans l’indifférence et l’hostilité ambiantes, il est possible de rester debout dans ces limbes non seulement par les fragiles initiatives des volontaires, mais surtout par la solide endurance des femmes, qu’elles soient dans le pays d’origine, dans le pays de premier accueil ou dans le pays de destination. Leur travail silencieux et l’énorme quantité d’argent qu’elles sont capables de mobiliser non seulement rendent ces traversées encore plus absurdes, mais révèlent aussi une plus grande illusion par rapport à celle de l’Eldorado européen : l’illusion produite par l’image de supériorité et de salut projetée sur leurs hommes. Comme le disait Chris Marker en filmant le visage d’une femme en Guinée-Bissau : « Toutes les femmes détiennent une petite racine d’indestructibilité. Et le travail des hommes a été toujours de faire en sorte qu’elles en s’aperçoivent le plus tard possible ».
Traverser | Film | Joël Richmond Mathieu Akafou | FR-BFA-BE 2020 | 77’ | Visions du Réel 2020, Black Movie Genève 2021, Festival Cinémas d'Afrique Lausanne 2021
Choisir à vingt ans
La Guerra di Algeria, prima, durante e immediatamente dopo. Ma è indirettamente che Villi Hermann ci racconta la follia fratricida di questa guerra, andando a scegliere le persone come lui, come lui a Parigi in quegli anni, persone che hanno scelto la diserzione, trovando tutti riparo in Svizzera, ma quasi tutti confrontati infine alla prigionia. Con il suo approccio personale, quasi intimo, Hermann racconta un pezzo di storia svizzera e semplicemente la storia di persone comuni e del loro gesto di resistenza civica, fino all’esperienza volontaria in Algeria nell’immediato dopoguerra, a cui Hermann in persona ha partecipato.
Uno degli aspetti più intriganti di questo film è il suo montaggio – firmato da Jean Reusser – che compone con intelligenza e senza semplificazioni un mosaico complesso alla cui fisionomia ultima ci avviciniamo lentamente, attraverso un discorso cinematografico di pura polifonia.
Choisir à vingt ans | Film | Villi Hermann | CH-ALG 2017 | 100’ | Locarno Festival 2017 | Solothurner Filmtage 2018, Solothurner Filmtage 2021
Online streaming at the Solothurner Filmtage 2021
Und morgen die ganze Welt
Was treibt junge Menschen heute in den Widerstand? Und wie weit darf, muss und kann so ein Protest gehen? Um diese zentralen Fragen kreist Und morgen die ganze Welt und stellt dabei mitunter zweifelhafte Thesen auf. Denn die junge Frau, Luisa, um die es in Julia von Heinz’ energiegeladenem Politdrama geht, ist nicht nur in der Grauzone zwischen Mitmachen und Kämpfen gefangen, sondern vielmehr in ihren Gefühlen zu einem gut aussehenden Antifa-Typen, der ihr bei ihrem ersten Einsatz gegen rechts zu Hilfe kommt. Ein derartiger Ansatz bringt jedoch Probleme mit sich, zum einen im Hinblick auf die Motive, die tatsächlich hinter Luisas Radikalisierung stecken, sowie in Bezug auf die Glaubwürdigkeit der Figur insgesamt. Und was zunächst als eine wachsame Kritik am heutigen Verständnis von Politik und Gesellschaft beginnt, entwickelt sich zunehmend zu einer seltsamen Dreiecksgeschichte zwischen modernen Revoluzzern, die letztlich viel weniger resolut sind, als sie gerne sein würden. Vor allem aber, dass die Jurastudentin aus gutem Hause irgendwann im Alleingang mit einem Jagdgewehr ihres Vaters auf die Nazis zielt, um anschliessend, wie es so schön heisst, die Flinte ins Korn zu werfen, verärgert eher, als dass es auch nur entfernt plausibel erscheint. So wie Luisa nicht hören will, was ihre beste Freundin ihr zu sagen hat, als die beiden sich in ihren politischen Aktionen immer weiter voneinander wegbewegen, so scheint auch von Heinz mit allzu sturem Blick auf ihre Figuren zu schauen.
Worin der Film dafür umso mehr überzeugt, ist in der Vermittlung einer latenten inneren Unruhe, einer Nervosität, die sich von den Protagonisten ausgehend mittels kluger Kameraführung und gekonnter Schnitte auf das Geschehen überträgt und deutlich macht, wie dringlich die Lage ist. Bei von Heinz, die in ihrer Jugend selbst jahrelang bei der Antifa war, sind die Autonomen heute noch so unerschrocken wie damals in den Achtzigern. Die Diskussionen, die zwischendurch unter den Linken geführt werden, gehen dagegen nie unter die Haut. Vieles bleibt an der Oberfläche, wird nur kurz angerissen, manches ganz ausgelassen, und auch die Nebenrollen bleiben jede für sich eindimensional und flach. Eine derartige Typisierung und Verkürzung in der Charakterzeichnung führt schliesslich dazu, dass die Jugendromanze unweigerlich in den Vordergrund rückt und einer Wut im Bauch den Platz streitig macht, die eingangs verspricht, was sie erst ganz am Ende, im Abspann, als es bereits zu spät ist, einzulösen vermag.
Und morgen die ganze Welt | Film | Julia von Heinz | DE 2020 | 111’
Contradict
ONLINE STREAMING (Switzerland) by Filmexplorer's Choice on cinefile.ch and filmingo.ch
A group of rappers sings in the streets of Accra to collect money for America (USA): in fifteen years – they predict – America will sink into poverty and Ghana will be finally able to take advantage of its natural and human riches. This is one of the opening scenes of Contradict and it synthetises the spirit of the film: ironic, visionary, politically committed, and musically inventive. This is a portrait of the younger generation of Ghanaians, through the film’s focus on the Ghanaian music scene.
The film has twice a performative output: in representing the musicians it collaborates with the production of some of their new songs – which will also travel in a concert tour to Switzerland; and in putting forward the political commitment of its protagonists it works as a political instrument itself.
Now, this double performativity is also the result of a very long process of exchange and also a strong collaborative form between the Swiss initiators of the project, Peter Guyer and Thomas Burkhalter, and the Ghanaian artists. Even the editing process – often the last moment for the documentarist to impose his/her view on the film – has been the result of a collaborative work. A certain narrative disorientation results, even if the documentary material that is presented is highly informative and exceptionally interesting for the musical and social aspects. This is probably the price to pay for the coherent realisation of an ideal of transparency, or neutrality, of the “white intervention” in an African country.
Contradict | Film | Peter Guyer, Thomas Burkhalter | CH 2019 | 89’ | Solothurner Filmtage 2020