Plaire, aimer et courir vite

[…] La fatalité ne se présente dès lors pas, comme dans le mélodrame classique, dans une tension entre la société et l'individu, mais bien plutôt dans la confrontation de l'individu à sa propre mort.

[…] A peu d'exception près d'ailleurs, la musique est plutôt au service de moments heureux, qui constituent des envolées en dehors du temps et qui relayent le SIDA, un instant, dans l'ombre de l'oubli.

[…] La réappropriation de motifs mélodramatiques dans «Plaire, Aimer et courir vite» vise donc moins à renforcer le tragique de la situation – les moments tristes sont au contraires traités avec une certaine distance ou relayés dans le hors champ – qu'à insister sur la possibilité du bonheur, de la jouissance, au sein d'un environnement mortifère.

Plaire, aimer et courir vite ou le mélodrame inversé

Le genre et les motifs du mélodrame sont souvent invoqués, dans l'imaginaire critique, pour discréditer la qualité d'un film, en tant qu'ils supposeraient certaines facilités formelles ou scénaristiques, propres à susciter de vives émotions chez le spectateur. Parmi les procédés qui le définissent, on peut mentionner le recours à des personnages types, une conception manichéenne du monde, une tendance à l’emphase, aussi bien formelle — le gros plan, la musique, le décor — que narrative, éléments qui viennent renforcer un sentiment de pitié envers le ou les protagonistes. Le mélodrame, enfin, peut avoir une teneur politique, en ce qu'il représente le mode de vie, les contradictions internes, les difficultés de personnes qui sont socialement objets du regard du dominant — et non pas sujets de celui-ci.

Si l'intérêt du mélodrame n’est plus à prouver — aussi bien par des œuvres pleinement inscrites dans le genre, comme All That Heaven Allows (1955) ou Written on the Wind (1956) de Douglas Sirk, que par celles qui se réapproprient des motifs du mélodrame, comme les premiers longs-métrages d'Antonioni, jusqu'à Il Grido (1957) —, des films récents continuent de confirmer le potentiel de ce genre : c’est le cas de Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré.

L'histoire prend place à Paris au début des années 1990, période au cours de laquelle le virus du SIDA, tout juste identifié, décime une partie importante de la population homosexuelle. Jacques Tondelli (en référence à l'écrivain italien, Pier Vittorio Tondelli, mort dans ces mêmes années du SIDA), qui n'a jamais su « vivre à deux », s'éprend d'un jeune breton, Arthur (Vincent Lacoste), double du réalisateur, en proie à de multiples aventures sexuelles. Mais cette idylle naissante, amorcée dans un cinéma, et qui se prolonge jusqu'à l'aube, ne pourra toutefois véritablement se déployer, en raison des barricades que Jacques (Pierre Delalongchamp) s'impose. Plus âgé, et surtout séropositif, il ne parvient guère, face à l'approche de la mort, à se projeter dans cette relation, d'autant plus que la représentation qu'il a de lui-même est celle d'un homme vulnérable. La fatalité ne se présente dès lors pas, comme dans le mélodrame classique, dans une tension entre la société et l'individu, mais bien plutôt dans la confrontation de l'individu à sa propre mort.

En inscrivant son film dans le registre mélodramatique, Christophe Honoré actualise la portée politique de ce genre en mettant en scène des hommes homosexuels, sans cependant leur conférer véritablement une posture de marginaux, la norme étant, lorsque l'orientation sexuelle est précisée, l'homosexualité. Un lieu utopique qui se soustrait au regard masculin hétérosexuel est ainsi créé et permet de mieux se centrer sur les difficultés des personnes pour qui le SIDA est une réalité quotidienne ; il apparaît aussi bien dans les discours que par ses effets : des corps ravagés d'abord, puis inanimés ensuite.

Cependant, malgré le tragique de la situation, ni Arthur, ni Mathieu (que Denis Podalydès incarne avec brio), et encore moins Jacques, n'adoptent une attitude de victime — ce qui les différencie des personnages mélodramatiques. Au contraire, bien que sans espoir, ils tentent d'agir. Jacques, notamment, refuse cette position en avouant à Arthur toujours vouloir sortir vainqueur d'une relation. Oscillant donc entre un abandon complet à ses sentiments et l'envie de ne pas dépendre affectivement d'Arthur, il ne cesse de se contredire. Cette tension s'exprime admirablement lorsqu'il se décide, impulsivement, à rejoindre son amant en Bretagne. Dans la voiture, les magnifiques paroles des Gens qui doutent d'Anne Sylvestre semblent le faire revenir sur sa décision : il se rétracte, en pleurs, et opère un demi-tour. Malgré la présence de plusieurs éléments mélodramatiques (pleurs, plan rapproché, musique), c'est moins la tonalité de la musique que le texte qui initie ce retour en arrière, freinant le potentiel pathétique de la scène. À peu d'exception près d'ailleurs, la musique est plutôt au service de moments heureux, qui constituent des envolées en dehors du temps et qui relayent le SIDA, un instant, dans l'ombre de l'oubli.

La réappropriation de motifs mélodramatiques dans Plaire, Aimer et courir vite vise donc moins à renforcer le tragique de la situation — les moments tristes sont au contraire traités avec une certaine distance ou relayés dans le hors champ — qu'à insister sur la possibilité du bonheur, de la jouissance, au sein d'un environnement mortifère. Ainsi, Christophe Honoré propose une représentation moins traumatique de ces années SIDA — permise aussi par l'écart temporel — que Hervé Guibert, présent en arrière-plan dans l'œuvre, pour qui la maladie avait anéanti toute possibilité de se qualifier autrement que comme condamné.

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Plaire, aimer et courir vite | Film | Christophe Honoré | FR 2018 | 132’

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First published: October 31, 2018