Marona's Fantastic Tale

[…] L’éphémère en toile de fond et du solide en relief : voilà la structure de cette biographie de chien. Celle-ci prend une force existentielle, dès le début du film, en épousant un point de vue animal qui est maintenu efficacement à distance de celui des hommes.

[…] Le registre descriptif de la narration est alors toujours bouleversé par une explosion des formes et la création d’atmosphères apparemment oniriques, qui en réalité ne font que rendre avec précision la situation ou l’état d’esprit de Marona.

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Text: Giuseppe Di Salvatore | Reading: Luna Schmid | Concept & Editing : Jorge Cadena

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Marona est le dernier nom d’une petite chienne sans nom ou, mieux, aux plusieurs noms. Autant de noms que de maîtres : et ces derniers se succèdent au rythme inexorable de la fascination pour, et de l’abandon de, la petite chienne. L’histoire de Marona, dans l’ensemble, est l’histoire de l’inconstance affective des humains par rapport aux chiens ; l’histoire d’un monde fait de distractions, celui des humains, face à des êtres réduits au rang d’objet, destiné à devenir déchet. Mais en deçà de cet horizon de pessimisme anthropologique, Marona’s Fantastic Tale raconte également la solidarité, l’amour, la fidélité, à travers des petites histoires d’une grande intensité. L’éphémère en toile de fond et du solide en relief : voilà la structure de cette biographie de chien. Celle-ci prend une force existentielle, dès le début du film, en épousant un point de vue animal qui est maintenu efficacement à distance de celui des hommes.

En effet, ce film d’animation d’Anca Damian mélange systématiquement deux perspectives, la canine et l’humaine. D’un côté, il faut dire que la perspective de la petite chienne n’est pas simplement l’occasion de parler des êtres (humains aussi) fragiles et dépendants, mais elle est bel et bien prise à la lettre : Damian fait preuve d’une grande empathie et nous livre toute une série d’observations aiguës sur le point de vue des animaux. Cela contribue à créer une véritable distance avec le cosmos des hommes, dont on sentira, justement, le vertige existentiel. De l’autre côté, la perspective humaine ne passe pas seulement par la description des différents types de maîtres et de leurs mondes — dans laquelle Damian se plaît à introduire des éléments de critique sociale ; elle est présente dans la figure de Marona elle-même, au moins par deux aspects. La voix de Marona est celle d’une jeune femme (Lizzie Brocheré, née en 1985), ce qui fait glisser l’autobiographie de la chienne vers une probable autobiographie de l’autrice ; et l’enchaînement des « histoires d’amour » de Marona ressemble fortement à la confession intime de la vie sentimentale d’une femme — ce qui pousserait à une lecture allégorique du film. À ce propos, le regard éthologique sur les hommes permet de mélanger cynisme et sincères élans sentimentaux pour décrire les relations femmes-hommes, puis les relations familiales.

Si ces variations sentimentales sur le thème de la distance — homme/animal, homme/femme, parents/enfants — prennent de la force et convainquent cinématographiquement, c’est en premier lieu grâce au magnifique travail d’animation. Avec un style éclectique qui s’adapte aux différentes étapes de l’histoire — fort inhabituel pour le cinéma d’animation —, Damian exploite à fond les capacités fantastiques de l’animation. Le registre descriptif de la narration est alors toujours bouleversé par une explosion des formes et la création d’atmosphères apparemment oniriques, qui en réalité ne font que rendre avec précision la situation ou l’état d’esprit de Marona. La géographie urbaine et en général tous les contours du monde de Marona se plient à l’expression de ses sentiments, lesquels pour chaque épisode de sa vie sont dominés par le caractère de son maître. Celui-ci — le compagnon, l’aimé, etc. — n’est pas une personne à l’intérieur d’un monde objectif, il est le monde tout entier, lui donnant ainsi toutes les couleurs, les lignes, les mouvements. Son animation se prête ainsi magnifiquement à la volonté de rendre cette transfiguration du monde par les relations totalisantes que Marona vit avec ses maîtres.

Je ne sais pas si je dirais que Marona’s Fantastic Tale est un film pour enfants. Justement, peut-être ne l’est-il pas au sens où il n’a pas de message produit par les adultes pour les enfants. Mais s’il n’est peut-être pas un film pour enfants, il est tout à fait un film pour enfants, au sens où il sait parfaitement cueillir à la fois la distance vertigineuse et l’assimilation totalisante à l’autre (parent, compagnon, etc.) qui constituent la spécificité de la sensibilité enfantine. Marona est une chienne, une fille, une jeune femme, mais elle est également enfant, voire l’enfant.

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Screenings in January 2023 at Kino Cameo Winterthur

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Marona’s Fantastic Tale | Film | Animation | Anca Damian | RO-FR-BE 2019 | 92’ | Fantoche 2019

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First published: September 10, 2019