Gottlos Abendland

Rien que l’Europe tout entière, son histoire — jusqu’à ses sources mythologiques —, son présent, sa variété, ses défis : voilà le sujet de l’essai filmique de Felix Tissi. Élément de restriction de la focale : Europe, la déesse grecque, parle en voix off avec Dieu de sa situation, ses plaisirs, ses malaises, elle se plaint de son absence, ou de sa présence trop multiforme. Une belle idée, sur le papier ; mais nous avons l’impression que le thème religieux de l’Europe est plus une occasion saisie qu’un véritable sujet d’approfondissement. Aussi parce que plusieurs chapitres se suivent dans la structure de Gottlos Abendland, touchant d’autres thèmes comme la migration, l’exploitation des ressources, la bureaucratie, les grandes différences de coutumes, etc. Une liste réfléchie, certainement bien choisie, mais qui pour chaque chapitre ne réussit qu’à effleurer le début d’un approfondissement, exactement comme pour la relation « occasionnelle » d’Europe à Dieu. Gottlos Abendland est un film plein d’occasions, comme un livre réduit à sa table de matière et à sa préface. Oui, « occasion » et « occident » partagent la même racine, mais puisque le trait caractéristique de l’Europe est certainement sa complexité, Felix Tissi lui fait-il justice avec son approche panoramique ?

« Panorama », voilà une autre invention européenne, qui après l’encyclopédisme a su se développer jusqu’à ce qu’on appelle aujourd’hui « globalisation ». Mais l’obsession si européenne pour le global, pour le catalogue, pour l’inventaire, une fois résumée dans le temps d’un long-métrage, s’apparente plus au délire qu’à l’analyse ou à l’originalité. Par contre, du côté des images — dont un panorama ne peut se passer —, le voyage filmique que nous faisons avec Gottlos Abendland est riche et impressionnant. Pierre Reicher à la caméra sera le dépositaire de mes principales louanges pour une œuvre qui aurait pu dire, exprimer davantage en accordant la centralité aux images plutôt qu’aux mots de la voix off. On aurait peut-être perdu le fil quelquefois, en l’absence d’informations, et on se serait peut-être posé plus de questions que l’on aurait reçu de réponses — et n’est-ce pas là justement une des essences de l’Europe ? La piste sonore signée par Fred Frith est également assez suggestive : elle semble rester toujours sur une tonalité de mystère, ce qui finalement sert à contrebalancer le registre déclaratif et démonstratif du contenu verbal du film.

Gottlos Abendland nous promène un peu partout sans vouloir défendre une véritable thèse, préférant une approche critique très généraliste. Le chemin filmique vaudra le parcours, peut-être plus pour ce que chacun de nous peut cogiter par soi-même, particulièrement en réaction à la piste visuelle. En ce qui concerne le « gottlos » du titre (un adverbe ?) il restera un choix peu crédible, bien que notre Europe demeure dans les faits encore bien sécularisée — et j’ajouterai : Dieu merci !  

Info

Gottlos Abendland | Film | Felix Tissi | CH 2019 | 71' | Solothurner Filmtage 2020

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First published: October 17, 2019