Bonjour la langue

Tourné ou plutôt improvisé en trois jours et avec trois fois rien, « Bonjour la langue » est un clin d’œil, un pied de nez ou une réponse en bonne et due forme (qui le sait ? pas moi en tous cas) à « Adieu au langage ».

Text: Emilien Gür

Le cinéma, c’est quoi ? Des regards qui se croisent, des yeux humides, une larme qui coule. Ce sont des cages d’escalier, des portes qui se ferment, un train qui s’en va. C’est une ligne d’horizon, une chevauchée fantastique, un reste ou un début d’espoir. C’est la fureur de vivre, beaucoup de tapage, un peu de silence. Le cinéma, c’est un coït qu’on ne montre pas, une caresse que l’on filme, le monde qu’on érotise pour qu’il s’accorde à nos désirs. C’est un plan séquence qui s’éternise, un fondu enchaîné qui enchaîne, un jump cut suivi d’un upper cut dans ta gueule. C’est une main qui se sert de popcorn, une autre qui déchire le billet à l’entrée, et bonne séance messieurs dames. Le cinéma, c’est un passe-temps de vaurien, un rituel païen, un mythe populaire auquel ne croient plus que les nantis (parce que tu sais combien coûte un billet aujourd’hui ?). Ce sont des râles, des soupirs, des je t’aime. C’est essentiel et futile, tragique et comique, élégant et vulgaire. Ce sont des baisers volés, des mains qui se frôlent, un cœur qui bat. Le cinéma, c’est une ménagère qui se prostitue, une vespasienne où on s’encule, une existence partagée entre une salle porno et une boîte de nuit lesbienne. C’est plus grand que la vie, ça la regarde passer, lui donne son sens sans jamais la prendre au sérieux. C’est l’art du XXe siècle dont le XXIe a hérité des restes, et ma foi il faut bien s’en contenter. C’est une scène de corrida en technicolor, une explosion atomique en noir et blanc, du sang de la peinture qui coule, ROUGE. Le cinéma, ça se portait mieux dans les salles de quartier que dans les multiplex ou les galeries d’art, et d’ailleurs comment ne pas voir dans cette polarisation le symptôme d’une société où les écarts se creusent chaque jour d’avantage entre les riches et les pauvres, les seigneurs et les gueux, les baiseurs et les baisés (parce que la culture, je vais te dire, est non seulement une arme, mais aussi une forme de CAPITAL). Et voilà, je deviens nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue. Vieux con avant l’heure ? Peut-être. Mais je m’égare.

Avant de s’en aller, Paul Vecchiali a dit au revoir au cinéma, à la vie et à Jean-Luc Godard dans un dernier film posthume dédié à ce dernier. Tourné ou plutôt improvisé en trois jours et avec trois fois rien, Bonjour la langue est un clin d’œil, un pied de nez ou une réponse en bonne et due forme (qui le sait ? pas moi en tous cas) à Adieu au langage. Au lieu de communiquer avec son chien (en avait-il seulement un ?), Vecchiali converse avec son fils (prodigue, bien sûr, et adoptif, forcément), joué par Pascal Cervo (l’une des plus belles gueules du cinéma français du moment, avec ses yeux plein de malice et son sourire gêné). Le film est tellement fauché qu’il en est sincèrement touchant, mais ce n’est pas sa seule qualité. J’y reviendrai peut-être une autre fois, mais pas maintenant. Car qui connait Paul Vecchiali ? « Il n'y a plus que les sous-cinéphiles de la Lettre du cinéma pour s'intéresser longuement à lui », disait Louis Skorecki. « Vecchiali, c'est le seul cinéaste à aller au bout de la vie, au bout de la mort », disait-il également. Il avait raison.

 

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Bonjour la langue | Film | Paul Vecchiali | FR 2023 | 80’ | Locarno Film Festival 2023
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First published: August 18, 2023