After | Anthony Lapia

The team of FILMEXPLORER’s Live Radio at the Bildrausch Filmfest 2023 meets Anthony Lapia on the Stadtkino Piazza in Basel to discuss his first feature «After». Hear the PODCAST!

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After | Anthony Lapia

Interview by Ruth Baettig, Emilien Gür, Nicolas Bézard | Editing: Olivier Legras

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« Berlin est aux techno kids ce qu’était l’Inde pour les hippies », entend-on dans After, premier film du cinéaste français Anthony Lapia qui veut faire la fête et de la politique et si possible en même temps, non parce que cette dernière expression est dans l’air du temps, mais parce que celui-ci file et qu’il y a urgence à faire son portrait avant que tout ne se soit envolé, Berlin, l’Inde, la techno, les drogues, les rêves et la révolte, cet éphémère tellement essentiel que le cinéma n’arrive jamais pleinement à capter, impuissance qui invite à la désinvolture et à la gravité. Or, il faut bien ces deux qualités pour faire un film, et After les cumule : objet sympathique, il livre sa vérité sur notre époque en gardant de se prendre trop au sérieux, formulée avec le même panache et la même légèreté que la réplique « Berlin est aux techno kids ce qu’était l’Inde pour les hippies », qui dit bien ce qu’elle dit.

La phrase est captée en passant, le film ne s’attarde pas sur la conversation du petit groupe de clubbeurs.euses saisie au vol, trop occupé qu’il est à foncer tête baissée vers le bout de la nuit, dans une soirée techno parisienne où des individus esseulés essaient de faire collectif. Il n’y a pas de héros, aucun personnage ne sort du lot. Le protagoniste du film, dans sa première partie, c’est ce magma humain qu’on appelle la fête, filmé à coups de gros plans afin d’en saisir la matière au plus près : des lèvres qui se rapprochent d’une oreille, des visages qui se frôlent, des mains qui se tendent l’une vers l’autre pour un salut ou un échange de pilules, fraternels toujours. La musique, les images, leur rythme c’est-à dire le montage, tout est agité, joyeux et surtout bienveillant. On n’est pas de sortie pour « chopper », mais pour prendre soin les un.e.s des autres et oublier le quotidien avec son refrain bien connu, métro boulot dodo, étouffé sous le son des basses qui font boum boum boum comme un cœur sinon amoureux, du moins exalté.

Soudain, alors que le film menaçait d’étouffer au fond du club, un appel d’air. On quitte la boîte pour un appartement, celui d’une fille qui a emmené un mec chez elle. On avait vu leurs visages sculptés par les flashs et les ombres dans la boîte, on les redécouvre dans la nuit claire, presque américaine, d’un salon. Ils faisaient corps avec la masse, ils sont redevenus des individus, chacun.e avec sa petite histoire. Elle est avocate, il est chauffeur uber, il est révolté, elle est désillusionée, et jusqu’à la tombée de la nuit ils ne font que parler de qui ils sont, de ce qu’ils souhaitent, de ce en quoi ils croient, ne croient plus du tout ou peut-être quand même un peu, tant les rêves des lendemains qui chantent sont tenaces. C’est aussi beau qu’une rencontre et c’en est une, justement, avec ses échanges décousus et ses silences retenus. Quand les esprits sont à court de pensées, les corps apprennent à se connaître avec une douceur qu’il fait beau voir (enfin de la tendresse, bordel), sous le regard d’une reproduction d’un portrait de la Renaissance affiché au mur, dont les larges pupilles semblent elles aussi dilatées sous l’effet de la MDMA.

C’est aussi la temporalité du film qui se dilate, à force d’allers retours entre l’appartement et le club, auquel nous ramène le montage, cut cut cut et soudain un autre cut, une coupure de courant dans le salon, le noir total envahit l’écran. Elle reste assise sur le canapé, il avance dans l’obscurité à tâtons, comme le temps dans le film, haché, discontinu, intraçable, et puis arrive sans qu’on l’ait vu venir, le matin. Elle dort encore, il se réveille, s’habille, laisse un mot et s’en va, croise dans le hall une autre jeune fille, l’ex-copine de celle qui sommeille dans l’appartement, également aperçue dans le club (hier ? ou était-ce déjà aujourd’hui ?). Échange de regards à peine gêné, et la vie continue. Montée en voiture, enclenchement de la radio, les variations Goldberg de Bach interprétées par Glenn Gould, on connaît pire comme musique, qui en plus d’être sublime tombe bien, rappel subtil que le quotidien et sa routine reprennent leurs droits, c’est-à-dire leurs variations. Le jour se lève, baignant dans une lumière à la blancheur surréelle, comme si c’est la nuit qui continuait, blanche. Paris désert, et tout à coup des éclats de voix : une révolte ou une manifestation, on ne sait pas vraiment, dans tous les cas une contestation du système qui avait déjà été fustigé durant la nuit. D’ailleurs, la fête continue : ultime plan du film, une after party sur fond blanc, boum boum boum. Tiens-toi bien ordre néolibéral, c’est la révolte et la fête qui auront le dernier mot.

 

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After | Film | Anthony Lapia | FR 2023 | 69’ | Bildrausch Filmfest Basel 2023

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First published: June 04, 2023