Tony Driver

Text: Emilien Gür

Voilà un film que la grâce d’une seule image parvient à sauver : celle d’un homme qui s’en va traverser la frontière du Mexique aux États-Unis. La caméra d’Ascanio Petrini l’a suivi de près durant l’entièreté du récit, et pour la première fois, elle le laisse s’éloigner. La musique s’est arrêtée ; on n’entend plus que le vent souffler ; le personnage disparaît progressivement à l’horizon. Ainsi s’achève Tony Driver.

Ce plan fait saillie, car soudain se trouve problématisé l’entremêlement entre documentaire et fiction qui nourrit le film. Ascanio Petrini nous avait jusqu’à présent raconté l’histoire rocambolesque de Pasquale Donatone — citoyen italien expulsé du territoire américain après y avoir vécu quarante ans — dans sa tentative de regagner les États-Unis pour y retrouver ex-femme et enfants. Le cinéaste avait choisi de donner à son récit les allures d’un remake comique de Paris, Texas. Le geste qui inspire ce parti pris est le suivant : s’emparer du réel et lui donner des airs de fiction. L’idée est ingénieuse, mais non pas inventive. Tony Driver ne crée rien de nouveau ; il s’agit d’un documentaire qui rejoue tout simplement des codes esthétiques et narratifs issus d’un certain cinéma de fiction.

L’image qui clôt le film vient justement infléchir cette dynamique. Elle insuffle du doute dans ce qui jusqu’alors n’avait constitué qu’en une mise en scène certes habile, mais par trop maîtrisée du réel. Une question émerge : Pasquale Donatone s’en va-t-il pour de bon ? Franchira-t-il illégalement la frontière ? Nous nous arrêtons alors de jouir d’un réel fictionnalisé pour interroger le statut de ce plan, sans savoir s’il appartient encore à la mise en scène organisée par Ascanio Petrini ou s’il s’en détache. Tandis que les codes de la fiction avaient jusqu’alors été plaqués sur l’écriture d’un documentaire, les deux pôles sont soudainement mis en tension. C’est dans cet espace que s’invente le cinéma du réel, compris non comme la simple hybridation de la fiction et de son envers, mais comme un dialogue fertile entre les deux termes, où l’un questionne sans cesse l’autre pour mieux le réinventer. Ce n’est qu’au bout d’une heure et dix minutes que nous parvenons à ce moment d’invention, dont la durée se limite à quelques secondes. Oh, cinéma du réel, pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il aura fallu prendre.

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Tony Driver | Film | Ascanio Petrini | IT-MEX 2020 | 73' | Visions du Réel 2020, Grand Angle

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First published: May 05, 2020