Les Olympiades

[…] Audiard sait filmer les corps, souvent nus, sensuels, mais sans complaisance érotique, dans une fluidité entre espaces privés et publics assez rare, et peut-être peu réaliste.

[…] Et la dramaturgie insiste sur la pluralité des lignes narratives, en nous libérant de l’obsession de la perspective exclusive d’un seul caractère.

« Artistically correct » serait l’épithète à inventer pour ce dernier film de Jacques Audiard, en référence aussi au politically correct de certains choix dans l’écriture du film (co-écrit avec Céline Sciamma et Léa Mysius). Plus que le multiculturalisme du XIIIème arrondissement de Paris – présent plutôt sous la forme d’héritage, ou de connotation de la « génération des parents » – il s’agit de montrer une génération où une fille de province apparaît bien moins intégrée et parisienne qu’une fille aux traits chinois et un jeune homme avec la peau noire. Ces derniers, ainsi, brillent en étant les champions incontestés de cet individualisme émancipé et libertaire made in France qui s’avère finalement être un terrain de solitude. Rien d’original, et plutôt une vérité cristallisée depuis longtemps dans la réalité de la classe moyenne urbaine en France. Mais une vérité qui finit par apparaître presque nouvelle dans la misère d’un paysage cinématographique occupé presque exclusivement à célébrer la bourgeoisie et son obsession pour (la valeur de) la famille, ou bien à jeter un regard indigné, mais au fond paternaliste, aux discriminations sociales des banlieues. La surprise (seulement) française de voir un jeune noir s’approprier le cliché de l’« intello », ou une jeune Chinoise s’approprier le cliché de la fille sexuellement émancipée, révèleraient le retard un peu élitiste dont le cinéma français souffre. Nous avons dès lors la sensation qu’un film comme Les Olympiades est important, de ce point de vue, tout en étant quelque chose qui devait, tôt ou tard, être fait. On l’attendait, d’une certaine façon.

Voilà le fil rouge « consensuel » de Jacques Audiard, qui fera le bonheur des uns et le malaise des autres. Un fil rouge qui semble également s’imposer pour ce qui est des choix artistiques des Olympiades. L’universalisme du noir et blanc ne peut que plaire et profite aux corps et aux visages. Le paysage urbain, quant à lui, est peu présent à l’écran sinon à travers l’affirmation des tours du XIIIème, trait moderniste et certainement inhabituel pour (l’image de) Paris et son esthétique standardisée ; il libère les personnages de la condamnation au petit théâtre parisien. Audiard sait filmer les corps, souvent nus, sensuels, mais sans complaisance érotique, dans une fluidité entre espaces privés et publics assez rare, et peut-être peu réaliste. Et la dramaturgie insiste sur la pluralité des lignes narratives, en nous libérant de l’obsession de la perspective exclusive d’un seul caractère – une pluralité soulignée par la distinction en chapitres, qui heureusement n’empêche pas le récit de garder une certaine linéarité. Car cette linéarité est fondamentale pour mesurer l’évolution des caractères eux-mêmes, aspect décisif dans l’économie du film, qui semble se donner la tâche d’imposer à chaque personnage un parcours d’apprentissage. Émilie, Camille, Nora, Amber (dont le jeu est fort convaincant !) : ils/elles deviendrons tou.te.s plus sages, plus mûr.e.s, plus adultes, moins seul.e.s, moins individualistes. On y trouve presque le besoin d’être édifiant, un peu alourdi pour un happy end décidemment inattendu (ou c’est mon préjugé par rapport aux films français qui ne jouent pas explicitement la carte de l’humour ?). À la fin, nous resterons hésitants, entre l’acceptation du plaisir édifiant de l’apprentissage et un sentiment de déception pour avoir suivi un parcours fort riche de nuances, qui pourtant rend le tout finalement un peu trop simple.

Si la récente histoire du festival de Cannes a décrété Jacques Audiard comme une sorte de concurrent idéal de Michael Haneke, nous pouvons rester insatisfait de son style consensuel face à une héroïque volonté d’éviter toute intention édifiante du côté du réalisateur autrichien ; ou bien apprécier le plaisir aigre-doux d’un Audiard artistically correct, presque humble artisan de ce qu’il fallait faire, face au style désormais un peu conventionnel d’un auteur qui se plaît à déplaire.

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Les Olympiades | Film | Jacques Audiard | FR 2021 | 105’ | Zurich Film Festival 2021

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First published: October 13, 2021