Ilan Dubi | Avant l'Océan
« L’eau est froide en Atlantique » - « Je suis pas frileux »
Text: Morgane Frund
Se détourner avant l’océan, c’est ce que raconte le film d’Ilan Dubi pour son diplôme à l’écal de Lausanne. On suit Léon et Olivia à travers une nuit bleue pendant laquelle se cristallisent leurs rêves et leurs désillusions. « J’ai voulu essayer d’écrire un personnage qui renonce à ses désirs petit à petit, le temps d’une nuit », m’écrit-il.
Tourné dans le noir avec un équipement très léger, le film ressort en force de sa sobriété. Ilan Dubi et son chef opérateur César Cadène ont cherché dans l’éclairage urbain leurs sources de lumière. En quête d’un équilibre entre obscurité et information dans l’image, le film s’oriente via un rapport sensible aux ténèbres. « Nous étions endoloris par la nuit comme Olivia et Léon. D’ailleurs le travail d’image s’est centré sur cette expérience de la nuit que nous voulions retransmettre. »
« Demain soir je dois être à l’océan. J’ai rendez-vous. »
Les dialogues aussi sont ténus, et nous livrent des fragments d’histoire au compte-goutte. Des informations que l’on pourrait croire essentielles nous sont retirées et pourtant le cœur du récit reste. Nous ne savons pas vraiment où nous sommes ni où nous allons, mais c’est bien là l’enjeu d’Avant l’océan. « Je trouve dans ces brèves répliques, au vocabulaire adolescent, une simplicité qui me touche. J’aime voir ces adolescents et ces mots communs, presque plats, marquant une intériorité emprisonnée. » Le film sait trouver le vocabulaire juste pour ses personnages. Ce n’est pas dans les grands mots qu’il trouve sa poésie, mais dans les paroles courtes qui savent abriter les profond abîmes.
Cette économie de réplique n’était pourtant pas sans difficulté pour l’écriture. Le personnage de Léon ne verbalise jamais le basculement qui s’opère en lui. Il fallait alors l’aborder de façon détournée. « Il y a une vraie différence entre la phrase écrite et dite », retient Ilan Dubi. Toujours très attaché aux mots, il se souhaite cependant d’apprendre de cette expérience et d’être plus à l’écoute sur ce qu’ils racontent une fois qu’ils ont quitté le papier.
Cette prise en compte de la résonnance physique de son histoire, le film l’acquiert cependant au moment de faire incarner ses personnages. « Au départ Léon était très jeune et Olivia plus âgée et mature. J’ai voulu effacer ce contraste d’âge qui pourrait passer par des caractéristiques corporelles (taille, pilosité, voix…) en cherchant des acteurices plus ambiguës. ». Finalement, c’est dans leur présence et leur façon d’être au monde que le contraste entre Léon et Olivia opère surtout. Entre elleux, tout crie qu’iels ne sont pas au même endroit, même quand iels sont dans la même pièce.
La force de ce binôme réside aussi dans le traitement de leur relation. Aux yeux du monde, iels font tour à tour semblant d’être l’amoureux-se de l’autre. Mais une fois seul-e-s, leur lien échappe à cette catégorisation rapide. Quand Léon offre un collier à Olivia avant son départ, les deux adolescent-e-s semblent convenir ensemble que ces codes ne leur correspondent pas. Léon admire Olivia et quelque part, il aurait bien voulu être elle. Ce lien affectif la fait exister au-delà d’un simple intérêt amoureux. Elle est une figure d’identification. Figure que Léon ne pourra finalement pas suivre, puisqu’il n’est pas elle.
Le film rallume la salle par sa dernière image où Léon marche en pleins jour. La lumière met fin à l’illusion. La mélancolie du renoncement est là, palpable.
Mais Avant l’océan ne brise pas les rêves. Olivia réalise le sien, et Léon trouvera sa place ailleurs. Il n’y a pas de mal à ne pas être au même endroit.