Fauna

[…] « Fauna » est un film de rapprochement, entre humains et animaux, et entre deux lieux spécifiques, apparemment si distants et qui se révèlent intimement proches.

[…] Dans un film si maîtrisé et construit, les émotions ne manquent pas. Au contraire, elles ressortent encore plus puissantes, parce qu’elles émergent d’un récit qui s’articule autour d’une respiration au long souffle.

Il y a des paysages face auxquels on se croirait dans une autre époque. Sans trace de plastique, de béton, d’asphalte. Fauna s’ouvre dans un tel paysage naturel ; plus précisément, nous pourrions être dans l’Arcadie rêvée au début du XVIIIème siècle avec son idylle pastorale. En effet, à l’époque déjà, il s’agissait d’un rêve, d’une projection, et un plan séquence magistral nous fais reculer à l’intérieur d’un laboratoire d’expérimentation animale, où le paysage se retrouve encadré par une fenêtre parfaitement étanche. Voilà les deux pôles à l’intérieur desquels le film de Pau Faus prend place : nature et biotechnologie, harmonie avec la nature et son exploitation.

Mais il n’y a rien du pamphlet, de la dénonciation facile, ou de la nostalgie des bons temps perdus dans ce film. Rien de tout cela. Entre les deux pôles, le film œuvre à faire émerger les nuances et la complexité de deux mondes apparemment antagonistes. C’est le réel que le réalisateur catalan écoute, et le réel, si on sait l’écouter, raconte toujours une histoire complexe ou, mieux, des histoires, au pluriel, dont les nuances en constituent l’essence. Fauna prend le temps de parler non pas, ou non seulement, « des animaux aujourd’hui », mais de suivre des animaux particuliers, dans une localité particulière, en Catalogne, où la recherche d’avant-garde côtoie l’un des plus anciens métiers du monde, l’élevage de moutons. L’écoute du réel qui nous ramène constamment de l’universel au particulier, pourtant, est bien balancée par des gestes cinématographiques qui se veulent symboliques et nous ramènent à l’universel – des touffes d’herbe arrachées des fissures du béton du laboratoire jusqu’au contact de la tondeuse électrique sur la peau des moutons.

L’écho des machines se poursuit entre les deux mondes, mais également un écho très humain, qui soude scientifiques et bergers, tous également travailleurs, sages travailleurs. Fauna s’installe chez eux pour écouter leurs soucis et leurs désirs, avec une empathie sereine, la même qui embrasse les animaux. Les silences et les insertions musicales intelligemment intercalés contribuent à exprimer ce regard calme qui, comme s’il provenait de très loin, plane sur les sortes d’humains et d’animaux en les rapprochant jusqu’à en faire une seule « faune », virus compris, grâce auquel les humains se donnent une légitimité de violence au nom de la survie de l’espèce… De ce point de vue, le regard non anthropocentrique de Faus a la capacité de soulever beaucoup de questions – morales, écologiques, économiques – sans les formuler explicitement. Ce sera à nous, dans la trace du film, d’en démêler les enjeux.

Fauna est donc un film de rapprochement, entre humains et animaux, et entre deux lieux spécifiques, apparemment si distants et qui se révèlent intimement proches. Le rapprochement par contraste laisse toujours plus de place au rapprochement par continuité. Il s’agit d’un mouvement qui est anticipé par le montage qui, depuis le début, propose des coupes associatives. Puis une véritable communication physique s’impose : les jeunes scientifiques visitent l’élevage – déjà avant, c’est la pharmaceutique qui visitait les corps usés des bergers – les moutons « visiteront » les chambres du laboratoire. Une poignée de main entre le berger et la scientifique consacre une continuité finale entre les deux mondes. Mais il s’agit d’une continuité qui penche entièrement du côté de la technologie, fait souligné par le retour du plan séquence qui engloutit la nature dans l’établissement de recherche – et par une séquence finale à la force émotive écrasante.

Oui, dans un film si maîtrisé et construit, les émotions ne manquent pas. Au contraire, elles ressortent encore plus puissantes, parce qu’elles émergent d’un récit qui s’articule autour d’une respiration au long souffle. Par exemple, la sensation de suffoquer dans un espace où le vivant est de plus en plus dépendant de la technologie – et de son contrôle – je l’ai senti brisée par un sursaut de joie face à un insecte « irrespectueux » qui a réussi se faufiler dans le temple parfaitement étanche de la sécurité technologique. Un geste d’ironie, un geste de résistance, à la signature non humaine. Au cinéma d’écouter ce qui échappe au contrôle – et ce qui échappe à son contrôle.

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Fauna | Film | Pau Faus | ES 2023 | 74’ | Visions du Réel Nyon 2023

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First published: April 28, 2023