A ciel ouvert

Text: Mattia Lento

L’amour semble renaître entre le cinéma suisse et le travail, après des années où il paraissait s’être refroidi. Quelques signes étaient déjà là, mais avec cette édition des Journées de Soleure [2022], ceci est devenu une évidence. Une dizaine de titres du programme abordent ce thème sous différents angles. Et je ne me réfère pas au métier d’agriculteur, dont les représentations cinématographiques abondent, parfois un peu édulcorées, mais plutôt aux autres professions que nous avons finalement appris à définir comme essentielles. Ce nouvel intérêt a de nombreuses causes : la crise environnementale, la désindustrialisation, la transformation numérique ou la précarité endémique, pour n’en citer que quelques-unes. La pandémie nous a également permis de redécouvrir des professions dont nous pensions qu’elles avaient peu à nous apprendre.

Il va sans dire que le documentaire joue un rôle majeur dans ce processus de redécouverte.  À ciel ouvert, réalisé par Charlie Petersmann et sélectionné pour le Prix de Soleure, nous emmène dans les bas-fonds d’un grand chantier de la Suisse romande et nous montre la réalité des maçons. Ce sont tous des migrants, beaucoup sont ici en Suisse de manière temporaire, certains n’arrivent pas à s’enraciner, d’autres semblent avoir trouvé le bon chemin. Ce sont des hommes qui travaillent dur, qui ont fait des choix de vie courageux ; mais leur masculinité, malgré les stéréotypes, est synonyme de fragilité. Pour certains, la profession est une vocation, pour d’autres une nécessité, un compromis avec la vie. Comme le dit l’un des protagonistes, « ils ont eu plus de chance que d’autres ». Le monde extérieur au chantier semble indifférent à leurs destins, parfois il y semble même hostile. Bien qu’il s’agisse de l’une des catégories les plus fortes du point de vue syndical, ces hommes, pour une raison ou une autre, ont presque tous du mal à profiter du bien-être qu’ils contribuent à produire, car le coût de la vie ronge leur salaire tant convoité et mérité. L’isolement social fait le reste.

Dans À ciel ouvert, il est peu question de contrats et d’abus. La principale préoccupation du réalisateur est de souligner la séparation entre le chantier de construction et le contexte social qui l’entoure. L’apparition rapide d’un syndicaliste dans le film représente le seul contact entre ce monde et leur environnement. Le tourniquet qui régule l’entrée des ouvriers du bâtiment fait office de seuil. Ce n’est qu’après avoir franchi ce seuil que les maçons semblent exister. Le chantier d’À ciel ouvert est un théâtre et nous, les spectateurs, sommes appelés à assister à la performance qui s’y déroule. Les histoires, les sourires, l’humanité des protagonistes nous touchent, mais nous sommes également fascinés par le spectacle des corps et des machines en mouvement, des matériaux transformés, des coulées de ciment, des symphonies mécaniques, etc. La mise en scène prend soin de ne pas négliger la photogénie des armatures en béton ou les géométries produites par les échafaudages. À l’intérieur du chantier, on peut encore sentir l’odeur du 20ème siècle, en partie rassurante et en partie non. À ciel ouvert confirme une fois de plus la grande valeur du cinéma documentaire suisse et, en particulier, celui produit en Suisse romande. 

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À ciel ouvert | Film | Charlie Petersmann | CH 2022 | 75’ | Solothurner Filmtage 2022

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First published: January 29, 2022