Totem

Une plongée au cœur d’une maisonnée mexicaine peuplée par plusieurs générations, par de supposés esprits, une série de bêtes curieuses et de nombreux tableaux. C’est justement autour du peintre Tona que se concentrent toutes les attentions en ce jour de fête un peu particulier, puisqu’il s’agit de lui dire au revoir.

Un Huis clos en clair-obscur

Dès les premières images du film, l’échange entre Sol et sa mère plantent le décor : une immersion dans l’intime, entre solitude et complicité. Dans des scènes qui constituent une forme de prologue, le tandem s’engage dans un tunnel à bord de leur voiture. L’enfant curieuse et espiègle retient son souffle, et fait le vœu que son père ne meure pas. S’en suit leur arrivée dans leur foyer et une déambulation sautillante et délicate dans la vie animée de la famille élargie, qui fait face courageusement à la maladie qui touche deux de ses membres, tout en s’affairant à la préparation de la réception du soir. Sans jamais basculer dans un registre pathétique ni tomber dans le travers de la sur-intellectualisation, la réalisatrice trace touche par touche, tout en justesse et en finesse, un récit qui fait la part belle à la capacité de s’émerveiller.

La symbolique est omniprésente tout au long du film, et ce programme est bien établi dans le titre déjà. Le totem est une figure de protection, mais il est aussi synonyme de tribu. Composé comme une mosaïque, le récit laisse une place aux individus, mais c’est le tout que constitue cette constellation familiale qui lui confère toute sa puissance. Comme le met en exergue le discours d’un des amis à l’adresse de Tona en se référant au pédagogue brésilien Paolo Freire, la transmission est au centre de la vie de cette collectivité comme une forme de partage qui va dans les deux sens et enrichit mutuellement les parties prenantes.

Le choix du format 4:3 donne une grande profondeur à bon nombre de plans et permet des cadrages sur des visages qui donnent lieu à autant de portraits aussi réussis que touchants. Les mouvements de caméra pourtant fluides sont contraints par les espaces fermés, ce qui produit à la longue un effet d’enfermement qui entre en écho avec le fait que les personnages ne peuvent pas véritablement s’extraire de cette situation douloureuse.

Naviguant habilement entre les genres, ce film bien écrit plonge le spectateur au cœur d’une kyrielle d’atmosphères dans les différents espaces de la maison et lui donne accès aux tumultes intérieurs des personnages. Quant aux esprits, ils surgissent de manière explicite dans une séquence au caractère tragi-comique lorsque cette femme des plus extravertie les chasse énergiquement à grand renfort de fumigations et d’éclats de voix. Dans le registre de l’humour, on retrouve également des scènes du grand-père, visiblement privé de l’usage de ses cordes vocales par le cancer, qui utilise une sorte d’appareil à la voix artificielle très métallique pour communiquer. Sol et sa cousine n’hésitent pas à s’en emparer pour jouer avec, et le tourner ainsi en ridicule.  

Que ce soit pour Sol, qui y est peut-être confrontée pour la première fois de manière aussi directe, ou pour les autres habitants de la maison, la maladie du jeune homme agit comme un révélateur qui ramène tout à chacun à ses questionnements et ses croyances autour de la mort, et en miroir de la vie. Alors que par nos latitudes, la mort a été largement mise à l’écart – à commencer par nos cimetières, situés de plus en plus souvent à l’écart de nos villages – et médicalisée jusqu’à ne plus faire partie à part entière de manière visible du quotidien de la plupart d’entre nous. Ici, les esprits et les divinités du panthéon des religions mésoaméricaines cohabitent et sont présents au quotidien. Bien que l’action du film soit située dans un milieu citadin, la nature n’est jamais bien loin et c’est au travers des nombreux plans de végétation et surtout de la faune que se manifeste le caractère organique de cet univers clos.

Tout au long du film, les histoires et les explications que Sol se fabrique, et qui relèvent d’une forme de pensée magique enfantine, sont données à voir aux spectateurs. Alors qu’un cycle se termine avec la fin de vie de Tona, et que les adultes n’en parlent qu’à demi-mot, le regard enfantin de Sol et ses superstitions offrent un contraste lumineux au sens où celles-ci la rendent pour quelques instants encore toute puissante, et lui permettent de trouver une forme de sérénité et d’apaisement.

La construction progressive de la tension, et la manière dont tous les fils tissés patiemment se nouent lorsque la fête commence enfin avec l’arrivée de Tona est particulièrement habile et réussie. Alors que ce dernier souffre énormément et se montre très faible, il s’efforce de se préparer et de sortir de sa chambre pour profiter de ce précieux temps partagé. Il y a quelque chose de très touchant et vibrant dans la mise en scène des proches de Tona face à la fatalité et à la tristesse en faisant front et en l’entourant au mieux. Comme s’ils cherchaient à lui rendre tout ce qu’il leur avait apporté de beau dans leurs vies. Ces moments fragiles prennent la forme d’un temps suspendu versé dans une forme de communion, avec et non contre les fragilités que font ressortir cette situation.

*

Ce second long métrage de fiction de la réalisatrice mexicaine Lila Avilés a connu sa première à la dernière Berlinale, où il a été nominé pour l’ours d’argent et a remporté le prix du Jury œcuménique. Avant de trouver le chemin des salles romandes, il a été projeté à l’occasion de l’ouverture de la 25e édition du festival Filmar en América latina de Genève.

Watch

Screenings in Swiss cinema theatres

Info

Totem | Film | Lila Avilés | MEX-DK-FR 2023 | 95’ | Filmar en América latina Genève 2023 | CH-Distribution: trigon-film

More Info

First published: December 02, 2023