NIFFF 2023 | Le fantastique soignera le monde

« Récit de coming of age, politique ou d’émancipation, au service du drame ou d’autres genres, ce fantastique qui fait du bien est destiné à un avenir prometteur. »

Le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) vient de clôturer une 22e édition, qui, comme chaque année, a proposé un tour d’horizon de la production actuelle du cinéma de genre. Avec une dizaine de productions et coproductions sélectionnées, la France était l’un des pays les plus représentés dans la programmation, témoignage d’un renouveau du cinéma fantastique français. Regard sur une nouvelle utilisation du fantastique qui se réapproprie dans la volée les codes du genre.

Le fantastique soignera le monde

Alors que la peur laisse place à la fascination, le fantastique, oubliant de simplement détruire, sert à faire à du bien et, en un sens, à soigner les récits et leurs personnages. Telles sont les composantes d’une utilisation nouvelle du cinéma de genre dans le cinéma francophone – et particulièrement français – de ces dernières années. Prolongement naturel d’un regain d’intérêt public pour le fantastique depuis les années 2000, l’apparition d’un fantastique moins fantastique, hybride mêlant drame et évènements surnaturels, repousse d’avantages les frontières entre les genres cinématographiques et se met volontiers au service d’histoires personnelles, dépeignant des personnages dépassés par leur réalité ou en quête de renouveau personnel.

Un genre pour en aider un autre

La 21e édition du NIFFF avait déjà témoigné de ce glissement entre les genres, en présentant Les cinq diables (2022, Léa Mysius) à la cérémonie d’ouverture, annoncé d’emblée comme « drame mystique » par la programmation, tant l’aspect fantastique se met au service d’un récit familial. Le « Narcisse du meilleur film », principal prix du festival, revenait la même année à Nos Cérémonies (2022, Simon Reith), au cœur duquel les renaissances répétées surnaturelles de Tony, loin du fantastique qui sépare les protagonistes, servent de lien indéfectible entre deux frères. À nouveau, le fantastique n’est pas placé au cœur du récit, mais l’accompagne plutôt.

La dualité des genres dramatique et fantastique semble dès lors repousser ce dernier à une fonction plus formelle que narrative. Le surnaturel sert plus à accentuer un problème déjà existant qu’à en apporter de nouveaux ; il concentre, à la manière d’un goulot d’étranglement, les difficultés d’une réalité déjà bien établie. Dans Tropique (2022, Édouard Salier), la contamination de Tristán et la transformation physique et corporelle qui s’en suivra obligent, autant qu’elles permettent, aux protagonistes de confronter leurs démons. Crever l’abcès en un sens. Le fantastique se fait à la fois représentation forte d’un moment de rupture familiale, tout en offrant à l’inverse un détournement d’une réalité peut-être trop convenue, ou du moins, trop inapparente pour être montrée telle quelle. D’ailleurs absent du scénario initial de Mauricio Carrasco, le fantastique apparaît plus tard lors de la collaboration avec Édouard Salier, se mettant ainsi au service d’un récit ordinaire.

Dans un climat d’austérité politique, de méfiance face à l’inconnu ou encore de crise environnementale, ce ne sont pas les éléments perturbateurs qui manquent. Le rôle du fantastique n’est plus si évident.

Et si cette incursion de fantastique reste très formelle, rajoutée parfois à la hâte à un récit dramatique qui se suffit à lui-même, ce mariage hybride offre çà et là des perspectives qui dépassent la simple superposition de genres. Lorsque le récit dramatique de Tropique se réapproprie les codes fantastiques, tels que le body horror ou la violence, plus visuelle que symbolique, c’est pour détourner cette dernière vers sa critique sociale, lame de fond et principal moteur de l’action. Permettant ainsi de nourrir un imaginaire dramatique de représentations nouvelles. De son côté, la relation entre les deux jumeaux, empreinte de fantastique désormais dépossédé de certains de ses codes, offre, elle aussi, un souffle frais au genre. La monstruosité de Tristán devient le déclencheur d’un changement de vie pour Lázaro. Poussé à l’empathie et au soin de son jumeau, il retrouve petit à petit du sens et de l’équilibre dans un environnement malsain. Et c’est paradoxalement son frère, pourtant privé de ses capacités physiques et intellectuelles, qui le protégera des agressions issues du quotidien ordinaire de Lázaro. Le fantastique, qui jusque-là servait principalement d’enfermement des personnages sur eux-mêmes, sert ici de barrière symbolique, protégeant l’intime des protagonistes du monde extérieur.

Soigner son monde

Dans un climat d’austérité politique, de méfiance face à l’inconnu ou encore de crise environnementale, ce ne sont pas les éléments perturbateurs qui manquent. Le rôle du fantastique n’est plus si évident. Dans ce brouhaha généralisé, ce ne sont plus tant les catastrophes climatiques ou les ruptures sociales qui relèvent du scénario d’anticipation ou de l’apparition surnaturelle ; trouver le temps et l’espace pour opérer un retour sur soi-même devient même utopiste. Si le fantastique permet l’irruption de l’irréaliste, c’est précisément dans l’interstice entre catastrophe extérieure et espace personnel qu’il peut se réinventer. C’est le cas – entre autres – d’Animalia où les mystérieuses perturbations météorologiques bloquent la région et libèrent Itto d’un enfermement social imposé par sa belle famille bourgeoise. Bien que les phénomènes surnaturels amènent leur lot d’inquiétude, ils offrent à Itto l’espace de repenser sa vie actuelle. En renouant avec son passé familial berbère de classe défavorisée. Ces réminiscences d’un passé occulté par l’abondance et le luxe de sa nouvelle famille atteignent leur climax lorsqu’Itto traverse le mystérieux nuage. Délire lucide qui lui permet de lever le voile sur ses aspirations. Prise de conscience accompagnée par une libération de cinématographie, qui se permet une mise en scène kaléidoscopique le temps d’une scène, avant de retourner à une sobriété initiale, alors qu’Itto retrouve sa belle-famille.

Dans un contexte de conflit politique, le fantastique se fait également juge et prend parti en faveur des plus démunis, des animaux, des laissés pour compte. Un fantastique positif donc…

Le fantastique, sans totalement s’échapper de ses couleurs de désastres, permet, en bloquant un système dysfonctionnel, l’émancipation de sa protagoniste et se fait dans un équilibre équivoque ennemi et protecteur. Dans un contexte de conflit politique, le fantastique se fait également juge et prend parti en faveur des plus démunis, des animaux, des laissés pour compte. Un fantastique positif donc, qui permet plus qu’il n’entrave, présent à plus forte raison dans le court métrage La machine d’Alex (2022, Mael Le Mée). Ici l’élément fantastique, un moteur organique doté de capacités sexuelles, n’inspire plus que de la fascination. C’est du regard des autres qu’il faut se protéger, afin de permettre une intimité, une sexualité libérée. Une machine surnaturelle jalousée même par les antagonistes de cette émancipation, qui craignent un remplacement de leur rôle d’homme. Si une peur demeure vis-à-vis du fantastique, elle ne se crée pas autour de ses pouvoirs destructeurs, mais dès sa force libératrice. A l’image d’un célèbre slogan féministe « la peur doit changer de camp », le fantastique, ici symbole de la liberté sexuelle, se fait politique, non sans rappeler d’autres œuvres françaises mêlant émancipation sexuelle, genre et machines (Jumbo [2020] de Zoé Wittock ou, plus récemment, Titane [2021] de Julia Ducournau).

Récit de coming of age, politique ou d’émancipation, au service du drame ou d’autres genres, ce fantastique qui fait du bien est destiné à un avenir prometteur. Les occurrences se font plus nombreuses, des sous genres se forment, se reconnaissent et se prêtent au jeu de la référence. S’il n’est peut-être pas le fantastique préféré des amateur·trice·s du genre, parce qu’il se veut plus modéré, il permet toutefois d’amener le cinéma de genre vers un public nouveau, de diversifier la portée de ses récits et, surtout, de continuer à se réinventer. 

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Neuchâtel International Fantastic Film Festival 2023
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Tropique | Film | Édouard Salier | FR 2022 | 110’
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Animalia | Film | Sofia Alaoui | MAR-FR-QAT 2023 | 91’
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La machine d’Alex | Short | Mael Le Mée | FR 2022 | 16’
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First published: July 13, 2023