Un pays qui se tient sage

[…] Cette sympathie pour la violence de rue est moins une réponse à une démocratie défaillante qu’une possible cause d’une défaillance future de la démocratie.

[…] Derrière la séparation entre État et peuple (en réalité on pense ici seulement au petit peuple des gilets jaunes) – séparation qui seule légitime la grande partie des arguments proposés, autrement sophistiques – il y a une incapacité à voir et reconnaître un peuple français majoritairement conservateur, avec de grandissantes tendances néo-fascistes.

JEAN PERRET

Les images prises lors des manifestations dans treize villes de France des gilets jaunes et de groupes parfois mal identifiés, ces petits yeux cellulaires des caméras aux aguets, ces millions de pixels chavirés, chahutés, dérapés aux cadres follement décadrés, pris entre novembre 2018 et février 2020, ont été collectés par David Dufresne pendant et après les événements, d’abord pour les diffuser sur les réseaux de la toile, puis pour les assembler en ce long métrage destiné aux écrans de cinéma. Au spectacle des violences au quotidien des événements fait suite celui de l’intelligence du savoir, de l’émotion raisonnée.

Le principe du film consiste à prendre le temps d’écouter les paroles raisonnées de vingt-cinq personnes, pour majorité des hommes, qui ont été des acteurs directement engagés dans les affrontements ou qui en ont été les observateurs concernés. Donnant suite aux stridences de la rue, c’est en studio, sur fond noir, que leur visage et leur voix sont mis en scène. Passage du dehors au dedans, d’une temporalité de l’action à celle de la réflexion.

Le geste de Un pays qui se tient sage est non seulement de faire retour sur ces images, mais de les agrandir sur un écran plus grand que les personnages réunis dans le studio. Les scènes sont dès lors au sens propre imposantes, regardées et prises à témoin des interventions du chauffeur routier, de l’écrivain, du général de gendarmerie, de l’avocat, du secrétaire national alliance police et de synergie-officiers, de la mère au foyer, de l’historienne, du rapporteur spécial des Nations Unies, du plombier, du sociologue et autres cariste, secrétaire national CGT intérieur et professeur émérite de droit public. Dire que nombre d’autres personnes sollicitées – entre autres le procureur de la République de Paris, le directeur de la Police Nationale, la cheffe de l’inspection générale de la Police Nationale, ou encore le directeur central des CRS – n’ont donné suite à l’invitation du cinéaste.

C’est par deux qu’ils s’entretiennent avec attention réciproque, se rappelant peut-être ce mot de Montaigne, « la parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l’écoute ». David Dufresne ne pose pas de question, mais il monte afin de mettre en perspective à partir des dialogues un champs de réflexion plus large au sein duquel les avis, visions, certitudes et questionnements tissent un réseau d’intelligence. La motivation de David Dufresne est de faire valoir l’urgence citoyenne de comprendre et transformer une société fragilisée sous l’emprise de ses colères sociales.

Impressionnant, et cela est du cinéma! , que de voir découpées sur les images géantes des manifestations les silhouettes des intervenants – ils en sont dominés, dépassés, et, néanmoins, lui font résolument face. Beaucoup de scènes sont récurrentes tout en déclinant la variété des actions collectives et individuelles, les dangers sont progressivement palpables, les blessures dramatiques, tels tabassages, pénétrations de balles de caoutchouc dans les chairs, éborgnements, mains arrachées.

Si le film est à charge des forces de l’ordre dont les équipements sont à l’évidence sans commune mesure avec ceux des manifestants, il n’aborde pas, malgré le déploiement de ses images, la question des stratégies des gens dans la rue, de leurs mouvements erratiques souvent, de leur désorganisation, ni de celles de groupes mieux organisés et résolus, qui scie circulaire brandie défoncent du mobilier urbain et un distributeur de monnaie. Les gilets jaunes formaient un mouvement non violent, les black blocks des groupuscules ultra-violents : il est très regrettable que le récit ne prenne pas en compte cette complexité de tensions au sein même des manifestants. L’échec du mouvement est-il avéré ? Les points de vue divergent et pour cause, mais la seule domination de la force d’état ne suffit pas à dégager une réponse univoque.*

La dramaturgie du film intègre des phrases imprimées sur des feuilles que certains intervenants déplient consciencieusement en studio. Elles alimentent les échanges et donnent des repères utiles. La première, celle de Max Weber, innerve l’ensemble du film : « L’État détient le monopole de l’usage de la violence. » Dès lors, la question de la légitimité de l’exercice de la violence tire un fil rouge tout au cours du film.

La respiration soutenue du récit est suspendue à plusieurs reprises par des vues d’espaces publics d’après les événements. Ces moments de la vie quotidienne sans aspérités, qui ne portent trace de ce qui s’y est déroulé, contrastent spectaculairement avec ces mêmes lieux que les manifestations ont saturés de mots de haine, de feu, de brouillards lacrymogènes, de tirs. Par ailleurs, quelques scènes des télévisions suggèrent le hors champ du film, celui des médias policés dans lesquels le Président Macron, plus tard en compagnie du Président Poutine, font valoir leurs valeurs.

Un pays qui se tient sage participe d’un débat complexe et citoyen, dont certaines images acquièrent statut de symboles précieux. Parmi eux, les collégiens alignés côte à côte, assis, à genoux, les bras derrière la tête, sous surveillance policière. Et d’entendre un policier dire « Ah, voilà une classe qui se tient sage ! ». Et ce sera imprimé en les mémoires cette travailleuse sociale vivant à Amines Nord. La dignité émue de ses paroles stigmatisant la banalisation de la violence est d’une force poignante, politique et intimement incarnée.

* Le documentaire de Garin Hovhannissyan, Je ne suis pas seul (2020) relate les manifestations monstres qui portèrent en Arménie Nikol Pashinyan au pouvoir. Maître mot du mouvement populaire, la non-violence, qui permit une révolution de velours en 2018. Autre pays, autres circonstances, certes, mais qui donnent à méditer sur les événements français. 

*

GIUSEPPE DI SALVATORE

C’est un film important, Un pays qui se tient sage ; pour les témoignages qu’il récolte et pour son ébauche d’analyse et de discussion sur un thème fondamental aujourd’hui : le rapport entre violence et démocratie. Il paraît surtout important de poursuivre cette discussion, maintenant, à partir de ce film, pour lui restituer une dimension de dialogue et la soustraire à ses impasses apologétiques. Oui, car la sélection des scènes de violence majoritairement perpétrées par la police lors de manifestations des gilets jaunes et la mise en scène d’une série de talking head qui oppose intellectuels et policiers – c’est-à-dire deux catégories qui clairement ne sont pas pourvues d’égale capacité d’argumentation – créent une asymétrie fondamentale qui est typique des propos apologétiques et de leur positionnement partial. Un positionnement honnêtement assumé par le réalisateur David Dufresne, il faut le dire, mais qui évidemment requiert de notre part l’exercice d’un regard et d’une pensée critique. Dans mon cas, ce ne sera certainement pas l’occasion de défendre l’indéfendable, soit certaines positions du président Macron et leur dérive autoritaire, mais plutôt de réfléchir aux véritables enjeux et conséquences des affrontements physiques et politiques dont il est question dans le film.

Une partialité à discuter de façon critique

Dans les toutes premières scènes d’Un pays qui se tient sage, le montage (Florent Mangeot) oppose brutalement des scènes de violences policières à de calmes analyses de manifestants et « savants ». Cela annonce non seulement le leitmotiv du film – la bestialité du Goliath étatique autoritaire versus l’intelligence des David révolutionnaires – mais démontre aussi que Dufresne a bien appris la leçon de Konrad Lorenz sur l’usage des émotions pour véhiculer des messages et les fixer dans la mémoire. Le spectateur critique ne pourra alors que se mettre tout de suite en alerte envers les éventuelles manipulations que ce dispositif amène naturellement avec lui. Le spectateur critique devra également s’alerter vis-à-vis d’un autre dispositif cinématographique qui n’aide pas à gagner en distance critique par rapport à ce que l’on voit : la coïncidence de la figure de spectateur du film avec celle de spectateur dans le film. Les « savants » bien informés qui analysent et commentent les images de la violence policière sont eux-mêmes mis en scène en tant que spectateurs des mêmes images que nous voyons (et ils les regardent eux-mêmes sur un grand écran !), ce qui facilite l’assimilation entre eux et nous, les spectateurs du film.

Certes, si les commentateurs étaient suffisamment représentatifs des différentes positions sur le thème, le risque de cette assimilation serait contrecarré par la possibilité pour chacun de nous d’évaluer un véritable débat. Mais ce n’est pas le cas, car – avec l’aide du générique du film – nous pouvons compter vingt et un personnes sympathisantes des gilets jaunes (huit entre manifestants et leurs proches, un journaliste, un écrivain, un représentant de l’ONU, trois historiennes, deux sociologues, deux avocats, un syndicaliste, une professeure de droit) contre trois personnes représentantes la police (un général de gendarmerie et deux syndicalistes)… Il est vrai qu’on pourrait rétorquer que les médias ont suffisamment défendu les arguments du gouvernement et laissé peu de place aux arguments des manifestants ; le film à ce propos se révèle donc un complément précieux d’informations, une contribution au débat public. Mais Un pays qui se tient sage saura être une véritable contribution à ce débat seulement si ce débat se poursuit au-delà des limites de la partialité du film lui-même. C’est ce que je me propose d’entamer brièvement ici, en apportant quelques points d’interrogation à la foule de points d’exclamation dont le film est fait.

Pourquoi ne pas trier les images ?

Penchons-nous alors sur les images qui font objet de discussion dans le film : il s’agit d’images qui témoignent de la violence policière, exposées dans le but de démontrer une dérive autoritaire pilotée par le gouvernement lui-même. Les images semblent bien confirmer cette dérive, et constituent ainsi une accusation gravissime pour un pays démocratique comme la France. Mais l’enquête menée par Dufresne à ce propos se révèle en réalité faible. Les images sélectionnées ne semblent pas toujours répondre à la protestation légitime d’un syndicaliste de la police, qui accuse les lourdes provocations et les attaques physiques de la part de certains gilets jeunes (très souvent non montrées) comme déclencheur de la violence policière. Si certaines images témoignent sans aucun doute des abus de la police, il aurait été plus efficace de la part de Dufresne – mais aussi plus difficile peut-être – de savoir trier mieux parmi les images, pour se focaliser sur les abus évidents, démontrables par les images, et rendre ainsi l’accusation plus convaincante et irréfutable. Le film aurait bénéficié d’un renoncement à l’« isolement » de scènes de violence policière au milieu des affrontements (mais il aurait fallu renoncer également à un peu de sang et d’émotions assurées…),  pour privilégier et mieux analyser, par exemple, l’incursion violente de la police dans un restaurant contre des personnes inermes, l’humiliation d’une classe d’étudiants, l’usage des armes dans des situations sans affrontement physique, et surtout l’usage systématique des tenues civiles et des cagoules de la part de certains corps de police, signe évident de l’érosion de l’État de droit.

Pour comprendre la raison de cette confusion dans la sélection des images, il est intéressant de s’attarder sur le seul passage du film où l’on fait l’analyse d’images relatant la violence de manifestants à l’égard de la police, car on y découvre peut-être la raison de l’insertion des images de violence pendant les affrontements. Le sociologue Fabien Jobard spécule ici de façon pathétique sur l’hésitation de nombreux manifestants qui attaquent cinq policiers en moto avec des lourdes pierres ; il prend leur peur normale d’une réponse armée de la part des policiers pour le symptôme d’un respect « humaniste », qui s’exprimerait dans leur attaque. La figure du bandit gentilhomme promeut le casseur en révolutionnaire humaniste ? Difficile de le prendre au sérieux.

Le nœud de l’appel à la violence

De façon plus générale, ce que je trouve problématique dans les commentaires de la majorité des participants au film, c’est qu’on évite de discuter du point fondamental de la violence de la part de (certains) manifestants – et je dis « fondamental » car, contrairement aux grèves générales et d’autres manifestations de tout type, les manifestations des gilets jaunes se sont caractérisées justement par un appel assez précoce de la part des porte-paroles du mouvement à l’usage de la violence physique dans les manifestations. Or, qu’un camionneur ne trouve pas les arguments et les formes pour canaliser politiquement sa rage légitime et veuille tout casser est compréhensible (non pas justifiable), mais que toute une série d’intellectuels et de politiciens soutienne la nécessité de ces appels à la violence révèle tout simplement la misère culturelle d’un pays. Et Un pays qui se tient sage, par les mots de ses commentateurs, présente justement toute la palette d’arguments en faveur de la nécessité de la violence dans les manifestations : l’argument qui défend que toute révolution implique nécessairement la violence ; l’argument qui défend que la violence de rue répond adéquatement (?) à la « violence systémique » d’un État dont les réformes économiques érodent la classe moyenne ; l’argument qui défend que le recours à la violence doit être « démocratisé » et que la police ne peut pas avoir le monopole de l’usage légitime de la violence – ce dernier argument est exprimé, entre autres, par l’écrivain Alain Damasio, qui souhaite, avec Jean Genet, une alliance retrouvée entre vie et violence (!?).

Institutions versus peuple ?

Mettre en avant l’appel à la violence dans les manifestations ne doit pas signifier excuser les abus de la violence policière, au contraire. Mais cela est en tout cas important pour comprendre le véritable enjeu du film. Une citation de l’évêque brésilien Hélder Câmara est utile à cette compréhension : on y parle d’une violence répressive (ici celle de la Police Nationale), qui réagit à une violence révolutionnaire (ici celle des gilets jaunes), qui réagit à une violence institutionnelle (ici celle du gouvernement du président Macron). Il s’agit d’un mécanisme qui fonctionne bien là où il y a violence institutionnelle, c’est-à-dire là où les institutions s’opposent effectivement au peuple, c’est-à-dire là où la démocratie ne fonctionne pas. Dans les régimes autoritaires et non démocratiques (le Brésil de la dictature auquel Câmara se référait, par exemple), il pourrait y avoir donc intérêt à un appel à la violence dans les manifestations, c’est-à-dire à une révolution violente. Mais est-ce que la France est un régime autoritaire et non démocratique ? On peut certainement tâcher le présidentialisme français d’avoir des tendances constitutivement autoritaires – bien qu’il ne faudrait jamais oublier que ce présidentialisme est beaucoup aimé par les français eux-mêmes ! – mais on ne peut pas dire que Macron a été élu de façon non démocratique. Alors, cette sympathie pour la violence de rue est moins une réponse à une démocratie défaillante qu’une possible cause d’une défaillance future de la démocratie.

Une confusion sur la question du monopole de la violence

Il faut insister, je crois, sur la discutable séparation entre institutions et État d’un côté, et peuple de l’autre. C’est seulement grâce à la présupposition erronée de cette séparation qu’on peut comprendre une bonne partie du débat sur la légitimité du monopole de la violence par la police, qui occupe une grande partie d’Un pays qui se tient sage. Les savants se plaisent à attaquer Max Weber et Leon Trotski sur ce monopole. (Le sociologue Sébastien Roché arrive à proposer qu’il faudrait entendre cette « légitimité » au sens d’un droit moral et non pas au sens de la loi, si j’ai bien compris cette subtilité proposée au grand écran. Imaginez-vous un policier face à un manifestant qui ne respecte pas la loi en train de s’interroger au sujet de l’action qui correspondrait à son « droit moral » d’utiliser la violence ?). Ce faisant, ils ne comprennent pas, à mon avis, que l’assomption d’une coïncidence entre pouvoir (kratos) institutionnel et peuple (demos) fonde la « démo-cratie » elle-même, et ne fait que rendre dans ce monopole de la violence l’expression du privilège du collectif, de la société organisée, du peuple lui-même, contre les dérives antisociales et antidémocratiques d’un usage individuel ou privé de la violence. Pour être sensé alors, tout débat sur la légitimité du monopole de la violence par la police devrait ainsi présupposer l’absence de démocratie. Autrement, tout atteinte au monopole de la violence par la police au service des institutions démocratiques et de leur peuple finit par résonner comme un argument anarchiste qui ferait plutôt plaisir aux lobbies de l’industrie des armes… Est-ce que derrière les arguments savants des universitaires français s’abrite un certain rêve américain ?

Une démocratie à défendre et non à suicider

Il faut absolument distinguer la dissension qui s’exprime par des manifestations – ou encore mieux, par des débats publics et des propositions politiques qui se concrétisent aux élections démocratiques – du recours à la violence dans un pays où les institutions démocratiques fonctionnent encore. Car ce recours à la violence ne fera que pousser la population à se radicaliser dans l’obsession pour la sécurité, déjà largement fomentée par l’incompétence et la lâcheté du journalisme spectaculaire, jusqu’à lui faire accepter des éventuelles dérives autoritaires qui détériorent les institutions démocratiques – états d’urgences, limitations des libertés, etc. (voir ce qui se passe en Pologne et Hongrie par exemple). Poutine, brièvement mentionné dans le film, ne pourrait que se réjouir des violences de rue des gilets jaunes, car il y verrait l’occasion parfaite de promouvoir sa politique de sécurité antidémocratique.

D’un point de vue strictement méthodologique, indépendamment de leurs contenus politiques, il faudrait plutôt louer des mouvements comme Podemos, Cinque Stelle ou Syriza, car ils ont été capables de canaliser un mécontentement souvent similaire à celui exprimé par les gilets jaunes à travers une mobilisation qui part d’en bas, qui utilise les nouveaux médias pour créer un débat public, et qui insère ses propositions politiques à l’intérieur des institutions démocratiques, jusqu’aux élections et à la prise du pouvoir politique. Face à des alternatives de ce type, qui défendent et renforcent les institutions démocratiques existantes et fonctionnantes, l’apologie des gilets jaunes avec sa rhétorique romantique qui sépare institutions et peuple et sympathise pour la violence de rue, devient le symptôme préoccupant de l’échec suicidaire de la démocratie – échec qui est encore plus grave quand il est soutenu par de prétendus intellectuels, qui semblent préférer éteindre toute pensée critique pour jouer aux héros romantiques.

Le peuple qu’on a oublié

En effet, le grand absent d’Un pays qui se tient sage est, paradoxalement, le peuple lui-même. On peut critiquer le système démocratique majoritaire, on peut aspirer à une démocratie plus participative, mais on ne peut pas ne pas voir que le peuple français – en majorité et par mandat – a élu Macron, ses politiques néo-libérales, voire son protagonisme présidentiel. Derrière la séparation entre État et peuple (en réalité on pense ici seulement au petit peuple des gilets jaunes) – séparation qui seule légitime la grande partie des arguments proposés, autrement sophistiques – il y a une incapacité à voir et reconnaître un peuple français majoritairement conservateur, avec de grandissantes tendances néo-fascistes. À la place de fétichiser la violence policière et la personne du président Macron dans un affrontement physique et verbal qui, au fond, se contente des symboles, il aurait fallu « voir » le peuple français et se tourner concrètement vers lui pour chercher un dialogue.

Oui, car le dialogue est certainement la pièce manquante dans la machine à accusations du film. Quand les gilets jaunes iront manifester à Neuilly-sur-Seine ou, encore mieux, dans les campagnes françaises, et quand ses sympathisants savants commenceront à dialoguer avec le peuple français majoritairement conservateur, alors il y aura quelque espoir d’une révolution politique et démocratique. Certes, pour cela il faudra abandonner les raccourcis trop faciles et romantiques de l’anarchie et retrouver une motivation politique véritablement socialiste.

Spectacularisation utile ou pernicieuse ?

Un pays qui se tient sage est un titre d’une justesse fulminante, mais le film ne semble pas s’intéresser à interroger cette drôle sagesse conservatrice du peuple français, mais en fait  simplement le résultat d’une coercition d’en haut, par un État autoritaire dont on oublie qu’il est bien l’expression démocratique du peuple lui-même. Par contre, un certain besoin de spectacle semble ici l’emporter. À ce propos, il est étonnant d’entendre le sociologue Sébastien Roché citer Guy Debord pour parler de la démocratisation des images de violence, qui nous restituent « enfin » les méfaits de la police – il serait d’ailleurs fort intéressant d’enquêter sérieusement sur les abus non spontanés et éventuellement organisés par le gouvernement lui-même. Mais à la place d’une enquête soigneuse, nous nous retrouvons justement face au spectacle de la violence, dont la portée « informative », « positive » est exactement l’opposé de ce que Guy Debord a relevé dans La société du spectacle (1967). Avec Debord, il faudrait plutôt rappeler à Roché – et à Dufresne – le pouvoir anesthésiant, consumériste et donc non critique de toute spectacularisation, particulièrement de la spectacularisation de la violence. Un rappel peut-être utile au moins pour pouvoir lire de façon critique le final d’Un pays qui se tient sage, lequel termine avec l’image choquante d’une main arrachée, entre sang, cris de douleur et indignation.

Un film vraiment politique ne termine jamais avec un point d’exclamation, mais avec un point d’interrogation – un exemple pour tous : le magnifique Un año de descubrimiento de Luis López Carrasco, tout rempli de points d’interrogation. Autrement, c’est du journalisme partisan. Ce qui a bien son intérêt aussi, mais seulement en tant que point de départ dans une vraie discussion. Ces quelques mots servent à contribuer à cette discussion nécessaire. Au plaisir d’entendre une réponse – s’il vous plaît avec des mots, pas avec des pierres.

 

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Un pays qui se tient sage | Film | David Dufresne | FR 2020 | 90’ | Zurich Film Festival 2020

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First published: October 14, 2020