Levante

[…] Lillah Halla se positionne d’emblée du côté d’un cinéma engagé. Avec «Levante» elle opère une réhumanisation vivante, initiant une résistance par la joie.

Dans un Brésil traversé par une montée du fascisme et une précarisation grandissante de la population, les violences à l’encontre de communautés marginalisées s’accroissent. La pénalisation de l’avortement, depuis 1940, contraint de nombreuses personnes souhaitant recourir à une IVG de se tourner vers des méthodes clandestines qui, en l’absence d’accompagnement médical, de conditions salubres suffisantes et de suivis appropriés, menacent leur vie. Malgré les risques sanitaires et pénaux encourus, il demeure possible, en déboursant une somme conséquente, d’accéder à l’avortement dans des centres capitalisant sur son illégalité.
«– Et les fauchées, elles vont où ?»

Réalisé par Lillah Halla, et récompensé à Cannes, notamment, par le prix de la critique internationale, Levante apporte une réponse nécessaire et puissante aux interrogations quant au(x) rôle(s) du cinéma aujourd’hui. En posant un regard intersectionnel sur une société à plusieurs vitesses, le parti pris d’une résistance collective au coeur de laquelle la joie devient un levier central afin de surmonter les oppressions systémiques, offre, au travers d’une fiction proche du film documentaire, le témoignage d’une époque au contexte politique à la fois complexe et troublé.

L’une des réussites de ce premier long métrage tient dans la fine articulation du propos. Indissociable d’une toile d’arrière-fond engagée et empouvoirante, renforcée par une bande son croisant ghetto house et baile funk composée par BADSISTA, ou encore Maria Berdaldo, il rend compte d’injustices sexistes, politiques et sociales par le prisme de la communauté queer. Et c’est sans doute l’entremêlement des thématiques abordées, rendu visible avec fluidité, qui invite à considérer en quoi ces dernières, en s’inscrivant au sein d’un système oppressif, sont en réalité profondément liées les unes aux autres et concernent l’ensemble de la société. Les pressions exercées par la religion, entre morale et contrôle des corps, précipite la question suivante : comment préserver l’intégrité physique et psychique des personnes lorsque les droits fondamentaux ne sont pas respectés ?

En réponse, Levante opère une réhumanisation vivante, initiant une résistance par la joie. L’équipe de volleyball, seule équipe lgbtqia+ du championnat, agit ici telle une famille choisie, un espace où la diversité se célèbre avec légèreté et force, en toute simplicité. Cette humilité invite à l’esquisse de nouvelles manières d’être au monde, et peut-être, d’éprouver le cinéma. En évitant l’écueil d’un idéalisme auquel l’on pourrait reprocher de se tenir hors-de-portée, la proximité avec les personnages rompt avec une représentation fantasmée, inaccessible ou jugeante, lui préférant un ancrage à la fois très actuel et sans tabou faisant cohabiter injection de testostérone, application de rencontre, stratégies solidaires et grossesse non désirée. En outre, toute tentative de hiérarchisation des personnages est désamorcée : le rôle de Sofia, interprété par Ayomi Domenica, ne s’envisage pas en-dehors d’une altérité, ici, fondamentale. Ce renversement incite par ailleurs à réfléchir aux dynamiques de pouvoir à l’oeuvre lors de l’élaboration et de la structuration d’un récit.

Si la notion de «collectif» demeure centrale à la narration, elle se révèle substantielle au film. Sa réalisation, entre autres, démontre une réflexion quant à la (co-)création d’images. La mise en place par la réalisatrice d’une messagerie en ligne, via laquelle les acteur-ice- s ont pu échanger du contenu pendant la durée de la production, illustre ce processus. Conservés lors du montage, certains fragments participent d’une forme de perméabilité où la réalité s’immisce dans la fiction, jusqu’à la rejoindre, ou presque, contribuant à la construction d’un point de vue situé, jamais surplombant. Cette proximité renforce la sensation d’un groupe uni également derrière la caméra. À ce propos, l’équipe technique, de même que Grace Passô – réalisatrice, curatrice, actrice et autrice ayant reçu le prix de la meilleure dramaturge par l’Association des Critiques d’Art de São Paolo – interprétant à l’écran le rôle de Sol, coach de l’équipe queer de volleyball, ont oeuvré à l’encadrement et à l’accompagnement des protagonistes mêlant acteur-ice-s professionnel-le-s et non acteur-ice-s.

Avec Levante, fruit d’un travail empathique et intelligent, Lillah Halla se positionne d’emblée du côté d’un cinéma engagé. Une réponse collective et aimante aux tumultes du monde.

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Levante | Film | Lillah Halla | BRA-URU-FR 2023 | 99’ | Filmar en América latina Genève 2023

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First published: November 30, 2023