Emilien Gür

Le visionnement de Walden sera sans doute pour certains spectateurs (parmi lesquels je me compte) une expérience éreintante, ascétique, dont l’issue laisse perplexe et ouvre la question suivante : quelle est la valeur du geste cinématographique de cette œuvre ? En d’autres termes, qu’apporte-t-elle comme proposition susceptible d’affiner notre compréhension du phénomène qu’elle décrit, soit l’aspect mondialisé du capitalisme tardif ? Avant d’esquisser une réponse, rappelons d’abord que Walden est un film-programme, qui poursuit au moins deux visées. Il s’agit, d’une part, de matérialiser un processus souvent décrit comme une force abstraite, qui a pour nom globalisation, en suivant le transport de simples palettes de bois, de l’extraction de la matière première dans une forêt autrichienne à l’arrivée du produit fini au cœur de la jungle brésilienne. Chacun des plans-séquences qui composent le film documente une étape de cette trajectoire qui, on l’aura vite compris, est investie d’un statut métonymique : le transport des palettes fait signe vers une économie mondialisée dont il participe et qui le dépasse à la fois.

En même temps, Walden n’emprunte jamais au registre de l’illustratif, et le lire comme un film didactique s’avérerait un contresens. L’œuvre est traversée par une tension entre la singularité de l’événement qu’il représente et les forces globales qui permettent en premier lieu son avènement. Plus que ces dernières, laissées délibérément hors champ, c’est le phénomène du transport en tant que matrice de rapports temporels qui constitue le cœur du film. Comment, à quel prix (social, environnemental) et surtout dans quel régime temporel un même matériau, du bois, met-il en relation différents espaces autour du globe ? L’horizon temporel qui se dégage de l’analyse proposée par Daniel Zimmermann est celui, décrit par une vaste littérature, de la chaîne de production : les espaces qui se succèdent au cours du film sont liés uniquement par leur participation à la transformation d’une ressource naturelle en bien de consommation. C’est en ce qu’il nous donne à sentir les temporalités multiples, propres à chaque lieu parcouru, qui contribuent à redessiner l’espace du globe suivant les axes de la production et de la consommation que Walden apporte un approfondissement à notre connaissance de ce qui constitue la mondialisation. Autrement dit, sa contribution à notre savoir du phénomène tient dans ces plans qui suggèrent la façon dont le cours d’un fleuve, le débit lié au trafic routier ou le rituel des contrôles douaniers, pour ne citer que quelques exemples, impriment leur tempo à l’ordre économique global.

Pour mieux comprendre ce geste, il faut en venir à la seconde visée du film, qui cherche à traduire dans sa forme même le processus qu’il décrit. Ses panoramiques à 360 degrés incorporent dans leur facture même l’idée de globalité chère aux politiques mondialistes : rien, dans le champ du visible, ne semble échapper au regard de la caméra, de la même manière qu’aucune parcelle du globe ne devrait être soustraite à l’influence d’une économie capitaliste à l’ambition mondiale. Walden laisse toutefois bien plus d’espace à la nuance que cette adéquation quelque peu rigide entre forme et contenu ne le laisserait penser. En effet, la transformation du temps et de l’espace en rouages du capitalisme n’est jamais donnée comme a priori. La caméra de Daniel Zimmermann cherche dans les données sensibles qui l’environnent les signes d’une économie de marché globale. En cela, chaque plan-séquence constitue un tableau temporel passionnant, où se mêle au temps du regard un ensemble de temporalités hétérogènes, humaines et non humaines, qui se greffent de près ou de loin à la production ou au transport des palettes. À ce titre, le plan-séquence inaugural remplit une fonction paradigmatique. L’objectif du cinéaste panote, dévoilant une forêt de conifères qui semble étrangère à toute activité humaine avant que ne se fasse entendre, hors champ, le bruit de scies électriques et qu’un groupe d’hommes occupés à abattre un arbre n’apparaissent à l’écran. C’est comme si le panoramique rejouait la surprise décrite par Jean-Jacques Rousseau dans les Rêveries, lorsque le philosophe raconte comment, au cœur d’une forêt jurassienne, il tomba sur une manufacture alors qu’il pensait être loin de toute trace de la société des hommes. Plus de deux cents ans après la mort du philosophe, Daniel Zimmermann relève à quel point le mythe d’une nature imperméable aux actions humaines ne cesse encore d’habiter notre regard, pour en révéler le caractère de leurre : la nature n’existe plus ; elle appartient désormais au capital.

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Silvia Posavec

Wenn sich alles um den Wald dreht

Ein Film ohne Darsteller, ohne Erzähler und ohne eine einzige statische Bildeinstellung. Der Schweizer Filmemacher und Künstler Daniel Zimmermann erhebt in seinem Dokumentarfilm Walden die Methode der 360-Grad-Aufnahme zur leitenden Erzählinstanz. Seine Kamera bleibt ständig in Bewegung, sie hält konstant die Geschwindigkeit und dreht immer in dieselbe Richtung. Als sei sein Vorbild der Lauf der Welt, entwickeln sich auch in Zimmermanns Film die Bilder unaufhaltsam weiter. Indem seine Parameter, Richtung und Geschwindigkeit der Aufnahmen, gleich bleiben, stellt sich beim Betrachter bald eine neue Sehgewohnheit ein. In den weiten Aufnahmen sucht man nach der Erzählung und wird fündig.

Es ist ein Dreh um die Welt, der eigentlich nur den Weg einer einfachen Palette Holz nachzeichnet. Zimmermann beginnt seinen Film in österreichischen Nadelwäldern, hier wird ein Baum gefällt. Mit einem Gabelstapler führt er uns raus aus dem Wald, dann geht es weiter über Schienen zu Strassen, die letztlich über Land und Wasser tief in weit entfernte brasilianische Mangrovenwälder führen. Jeder Schnitt und jedes neue Panorama markiert eine Etappe in der Produktions- und Handelskette der Ware.

Zimmermanns Aufnahmen sind poetisch und doch klar. Er beweist mit seinem Film ein hohes Mass an Sensibilität für Raum und Bewegung, denn selbst die Anfahrt eines Gabelstaplers entwickelt hier Anmut und erscheint einem wie eine einstudierte Choreografie. Und doch hält Zimmermann seine Kamera immer auf Distanz, setzt falsche Fährten. Wenn die Kamera beispielsweise ganz nebenbei ein Frachtschiff einfängt, das eine Hebebrücke passiert. Auf der Zufahrt der Brücke stehen Fahrzeuge. Die Bewegung folgt aber nicht den Automobilen, sondern sie folgt weiter dem grossen Schiff – selbst als dieses hinter Industriebauten verschwindet und nur noch die Geräuschkulisse und die Kamerabewegung seine Präsenz aufrechterhalten.

Walden ist ein Experimentalfilm, der seinem Publikum Aufmerksamkeit abverlangt, der aber durch sein stringentes Setting auch eine hypnotische Wirkung entfalten kann. Nebenbei schafft Zimmermann es, unangestrengt die absurden Ausmasse unserer heutigen globalen Handelsbeziehungen aufzuzeigen. Daniel Zimmermann gewann mit Walden beim Zurich Film Festival den Förderpreis für den besten Schweizer Film im ganzen Programm 2018.

 

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Screenings in Swiss cinema theatres

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Walden | Film | Daniel Zimmermann | CH-AT 2018 | 107’ | Zurich Film Festival 2018, Solothurner Filmtage 2019

Documentary Special Jury Prize at Karlovy Vary International Film Festival 2018

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First published: October 11, 2018