The Old Oak

[…] Ken Loach revient sur le devant de la scène afin de présenter une utopie, une forme de « convergence des luttes » qui trouverait son aboutissement dans la solidarité.

Dans une ancienne cité minière du Nord-Est de l’Angleterre, TJ Ballantyne (Dave Turner), lutte pour maintenir son pub à flot, l’un des derniers établissements en mesure de créer du lien social entre les habitants. Lorsque des réfugiés syriens sont logés en ville, les tensions s’exacerbent. The Old Oak, film testament (pour l’instant ?) d’un cinéaste engagé qu’on ne présente plus, Ken Loach, qui après s’être penché sur les effets sociaux dévastateurs de l’ubérisation d’une partie du monde du travail (Sorry We Missed You, 2019), revient sur le devant de la scène afin de présenter une utopie, une forme de « convergence des luttes » qui trouverait son aboutissement dans la solidarité. On retrouve au scénario son compère depuis trois décennies, Paul Laverty.

Si on a connu ces dernières années le cinéaste britannique plus percutant (I, Daniel Blake, 2016 https://www.filmexplorer.ch/detail/i-daniel-blake/) et même plus drôle (Looking for Eric, 2009 ; The Angels' Share, 2012), il est frappant que pour son dernier film, Loach choisisse de revenir sur la perte de ce qui a fait la force d’une partie du monde ouvrier durant des décennies, soit sa culture, faite de traditions festives et d’engagements militants marqués par de nombreuses grèves. Or, une décennie de thatchérisme aura eu raison de celle-ci, rattrapée par la tertiarisation du monde du travail et la fermeture des mines, alors que la troisième voie de Tony Blair puis le retour des conservateurs au pouvoir l’aura définitivement enterrée. Ou peut-être pas. Dans le pub de TJ, la mémoire persiste : « ton père était un briseur de grève ! », et une salle désaffectée est recouverte de photographies retraçant les faits d’armes d’anciens grévistes, souvenirs d’un temps révolu.

Si les personnages semblent parfois s’effacer devant la fonction qui leur incombe afin de faire passer le message du réalisateur qu’on pourrait résumer à une ancienne maxime qui apparaît sur l’une des photographies : « quand vous mangez ensemble, vous vous serrez les coudes », des nuances apparaissent. Scène de racisme ordinaire lorsque Yara (Ebla Mari), raccompagne une jeune anglaise malade chez elle et que la mère de l’enfant chasse la réfugiée syrienne en pensant que cette dernière a souhaité impunément s’introduire chez elle. Méconnaissance de l’Autre qui suscite la colère et la peur. Cet Autre qu’il est si facile de désigner comme responsable de ce que des années de politiques d’austérité ont détruit. Cet Autre dont on réalise en fin de comptes qu’il n’est pas si différent car lui aussi lutte pour survivre au quotidien, comme une grande partie des classes populaires précarisées de la petite ville. Or cette prise de conscience ne touche pas tous les habitants, certains anciens habitués du pub ne voient pas d’un bon œil que celui-ci se transforme trois fois par semaine en une cantine pour la population réfugiée et les individus locaux les plus défavorisés.

On pourrait reprocher au réalisateur une énième variation sur thème. Mais ici, Ken Loach sorti depuis quelques années d’une retraite annoncée en 2014 lors de la sortie de Jimmy's Hall, ne dénonce pas uniquement les ravages d’un système économique délétère, il donne à penser un chemin alternatif et osons le terme, nécessaire. Drame, sabotage et trahison ne viennent pas à bout d’une culture populaire retrouvée : à travers l’enchevêtrement des coutumes d’ici et d’ailleurs, un esprit solidaire se reconstruit : « c’est de la solidarité, pas de la charité ! ». Si tout semble parfois compromis, persiste l’espoir.

 

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The Old Oak | Film | Ken Loach | UK 2023 | 113’ | CH-Distribution: Filmcoopi

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First published: January 30, 2024