On Body and Soul

[…] Toutes ces figures secondaires se nouent autour d’une sexualité qu’on caractériserait d’animale, si les animaux n’étaient peints eux-mêmes, peut-être paradoxalement, comme des figures éthérées.

[…] Le cinéma est certainement aussi capacité de raconter une simple histoire d’amour, certes, mais nous sortons de la salle avec la sensation d’avoir été trompé par des promesses formelles qui se sont révélées sans issue, ou tout simplement absorbées par une histoire d’amour conventionnelle.

On Body and Soul est un film sur le corps et sur l’esprit, mais aussi sur une femme et sur un homme, sur une jeune et sur un vieux, sur deux âmes qui ont renoncé à leur corps, sur la solitude des corps et l’accouplement des âmes, sur deux corps qui reprennent leur droit à exister. Ce qu’on appelle le dualisme cartésien entre corps et âme structure la comédie de Ildikó Enyedi : Mária entre dans l’usine de viande de Endre comme un corps étranger, car elle est une inspectrice comme dépourvue de corps. Endre, le corps désormais fatigué et handicapé d’un bras, trouve une syntonie purement spirituelle avec Mária. Dans ce qui s’avère être une comédie et une histoire d’amour, la structure cartésienne de départ sera exploitée mais jamais mise en discussion, car le développement de la relation entre Mária et Endre vise, certes, à la récupération de la dimension corporelle, mais cette dernière demeure quand même toujours une dimension autre par rapport aux âmes des deux protagonistes.

Si l’horizon philosophique de On Body and Soul peut être un peu statique et donc décevant, ce film réserve une grande quantité d’aspects intéressants : par exemple Enyedi soigne avec une grande sensibilité les détails grâce à une caméra qui exploite à la perfection les ressources expressives du jeu entre premier et second plans, même si quelquefois elle pousse le spectateur à remarquer les nuances d’images composées par des rapprochements un peu trop explicites. La thématique principale des corps et des âmes s’articule à travers d’autres thématiques, comme celle du rêve et de la télépathie ou celle des animaux — abattus et rêvés, dans tous les cas toujours figures d’innocence (les scènes du cerf et de la biche sont tout simplement impressionnantes !). En outre, plusieurs caractères secondaires prennent forme par des traits intrigants : la figure complexe du directeur de ressources humaines — magnifiquement joué par Zoltán Schneider —, la vieille femme qui enseigne à Mária la féminité, le nouvel employé extroverti, la psychologue du travail provocante. Toutes ces figures secondaires se nouent autour d’une sexualité qu’on caractériserait d’animale, si les animaux n’étaient peints eux-mêmes, peut-être paradoxalement, comme des figures éthérées. À ce propos, c’est Mária elle-même — esthétiquement façonnée à partir de la chanteuse Laura Marling, qui a participé à la colonne sonore du film — qui, en tant qu’objet du désir et image d’une sexualité refoulée à la fois, constitue le pôle de tension dramaturgique de ce qui deviendra une histoire d’amour.

Oui, l’histoire d’amour arrive comme une solution pour toutes les pistes ouvertes pendant le film : tout se révèle finalement construit pour servir une histoire d’amour très conventionnelle. Cette dernière émerge dans la deuxième partie du film en l’éteignant complètement, car elle rabat toute la richesse formelle et narrative de On Body and Soul sur une ligne plate et assez prévisible. En même temps, nous assistons à un surenchérissement de scènes ironiques, lesquelles finissent par transposer l’histoire racontée du plan de la réalité à celui de la fable, en balayant ainsi tout le travail d’observation psychologique qui a été opéré à travers le soin des détails. C’est une évolution particulièrement décevante, qui semble plier une matière filmique riche et complexe dans les rangs d’une comédie de divertissement.

On Body and Soul reste un film agréable, qui sait raconter très bien son histoire, avec un talent narratif qui fait penser aux films de Aki Kaurismäki, peut-être surtout pour les dialogues habilement laconiques et la grande précision dans l’usage de la caméra. Le cinéma est certainement aussi capacité de raconter une simple histoire d’amour, certes, mais nous sortons de la salle avec la sensation d’avoir été trompé par des promesses formelles qui se sont révélées sans issue, ou tout simplement absorbées par une histoire d’amour conventionnelle. À la fin du film, j’ai presque regretté que la carte de la fable et de l’histoire d’amour cliché n’ait pas été jouée jusqu’au bout, par exemple en terminant l’histoire avec le suicide de Mária, puis de Endre, comme un Roméo et Juliette contemporain… Cela aurait été certainement plus intéressant que de conclure sur un happy end familial dans le quotidien d’une cuisine pleine de soleil.

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On Body and Soul | Film | Ildikó Enyedi | HU 2017 | 116’ | Zurich Film Festival 2017

Golden Bear and FIPRESCI Award at Berlinale 2017

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First published: October 25, 2017