Le Grand Bal

Eux, ils dansent ; nous, nous regardons assis. Eux, ils dansent sept jours d’affilée, dans l’excès et la suspension du temps ; nous, nous regardons un film d’une heure et demie. C’est de ce décalage que surgit notre étonnement, notre curiosité, face à la spécificité d’un événement annuel unique, le Grand Bal de l’Europe à Gennetines, au centre de la France. Laetitia Carton, elle-même habituée du Grand Bal, raconte et rend hommage à ce festival, elle en chante l’esprit de paix et d’amour, les sourires, la concorde, les traditions, et tout simplement le plaisir de la fête, qui est aussi la fête des corps, des corps libérés, des corps qui se touchent.

Même si le documentaire garde toujours une tonalité jubilatoire, la réalisatrice a aussi l’occasion — heureusement — de mentionner les difficultés de ces moments de partage improvisés : la compétitivité, le narcissisme, l’exclusion, et les ambiguïtés qui s’immiscent entre hommes et femmes. Heureusement, dis-je, car il serait trop simpliste de croire à une libération des corps sans inclure ses tensions négatives, ou bien de rêver d’une danse où la sexualité, dans le bien et dans le mal, serait complètement anesthésiée. En effet, sur ce dernier sujet, Le Grand Bal reste largement laconique, en donnant une priorité exclusive aux relations où les corps se font les véhicules d’une transcendance spirituelle.

C’est le point de vue subjectif de la réalisatrice qui s’impose sur l’observation objective des dynamiques collectives — et qui motive, peut-être, l’absence presque totale de témoignages non féminins dans le film… Les éventuelles difficultés vécues au Grand Bal sont systématiquement sublimées par la beauté et la poésie de la danse, dans un vitalisme euphorique où la danse apparaît davantage comme une réponse thérapeutique aux besoins des personnes hyper-sédentarisés que comme une occasion d’exprimer une culture ou construire un discours. À ce propos, on aurait certainement aimé découvrir plus sur les différentes musiques représentées et sur le sens et l’histoire des danses de diverses traditions. Car la danse a toujours une histoire, et une géographie — ce qui risque peut-être de se perdre dans des événements boulimiques et touristiques comme les festivals.

Malgré ces limites et un regard très subjectif — il est positivement exalté par une magnifique caméra (partagée par Karine Aulnette, Prisca Bourgoin, Laurent Coltelloni et Laetitia Carton elle-même) et par l’excellente prise de son (Nicolas Joly, François Waledisch), remarquablement monté aussi (Virgile van Ginneken), mais exprime également une unilatéralité qui rend le film un peu long —, la grande vertu du Grand Bal est dans sa capacité de contagion. Aux premières suisses, par exemple, on a pu assister au surgissement de bals spontanés à la suite de plusieurs projections du film…

 

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Le Grand Bal | Film | Laetitia Carton | FR 2018 | 95’

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First published: October 14, 2018