Invelle

[…] Et alors, dans le noir et blanc du dessin animé, où quelques couleurs percent ici et là en tant qu’éclairs expressifs, plus que le changement des époques, ce qui frappe est la continuité d’une situation sociale qui, à travers les décennies, demeure nettement partagée entre victimes et bourreaux, violents et exploités, patrons et esclaves.

L’histoire suit le parcours d’une famille d’un tout petit village dans les Apennins, invelle, c’est-à-dire quelque part/nulle part – nowhere – dans le dialecte parlé dans la région des Marches. C’est l’histoire de trois générations d’enfants, Zelinda, sa fille Assunta, et le fils d’Assunta, Icaro, respectivement marqués par les traumatismes de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale, puis de la saison du terrorisme des années 1970-1980. Mais cette chronique douloureuse de l’histoire de famille et de l’Histoire n’est en réalité que l’arrière-plan d’une narration sculptée par des impressions émotives et intenses, coagulées autour de petits événements, de personnages, d’objets. C’est la perception enfantine qui prime, sans pour autant s’éloigner de l’Histoire, dont elle signe le récit précis et vrai – car l’Histoire ne se laisse pas réduire à une intrigue. Et alors, dans le noir et blanc du dessin animé, où quelques couleurs percent ici et là en tant qu’éclairs expressifs, plus que le changement des époques, ce qui frappe est la continuité d’une situation sociale qui, à travers les décennies, demeure nettement partagée entre victimes et bourreaux, violents et exploités, patrons et esclaves.

Bien qu’il ressemble à une véritable vallée de larmes, le film Invelle sait aussi briller par la beauté d’une poésie qui est toute dans le regard des enfants. La violence et la mort sont parfois soulevés par des moments de transcendance, comme la performance du récit du mythe du Minotaure, de Dédale et d’Icare par un vieux Sicilien, la fin de la guerre qui coïncide aux couleurs du carnaval et d’un « Et misericordia eius » de Johann Sebastian Bach (Magnificat BWV 243), ou encore la lecture du poème « Mezzaluna » de Federico García Lorca par la voix de Toni Servillo. Justement pour ce qui est des voix, voici une polyphonie d’une qualité sublime – le cast est impressionnant : d’Ascanio Celestini à Giovanna Marini, de Neri Marcoré à Luigi Lo Cascio, pour en citer quelques-uns –, qui embrasse le film par un souffle humain réconfortant. En plus, la force de l’architecture vocale du film doit aussi au dialecte des Marches, aux chansons populaires et aux témoignages « documentaires » qui enrichissent et complètent la fiction autobiographique de Simone Massi.

La couche sonore du film (Stefano Sasso et Riccardo Studer) constitue une structure portante solide et homogène qui permet à l’image la plus grande liberté d’exploration. Les sauts temporels, spatiaux, de dimensions, et un montage qui renforce la poésie par les ellipses narratives, se marient au privilège donné à la continuité du mouvement. Par ce biais, Massi nous promène dans un paysage vaste mais non panoramique, le paysage intérieur d’une enfance qu’il a dû endurer dans une sorte de cage sociale, et pour laquelle la mère, plus imaginée que réelle, et donc l’imagination elle-même, devient la forme de l’émancipation ultime. Longue vie à Icare !

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Screenings at the FIFDH Genève 2024

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Invelle | Film | Simone Massi | IT-CH 2023 | 92' | FIFDH Genève 2024

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First published: March 12, 2024