Revenir

[…] Oui, l’idée du film est celle de témoigner d'une route migratoire et documenter a posteriori un voyage à travers la performance de sa répétition, tout seul, sans équipe de tournage, sans visas, dans des conditions similaires à celles du premier voyage,

[…] Et si les mésaventures du migrant constituent un des thèmes du film, les difficultés de réalisation d’un film qui laisse transparaître une maîtrise de la caméra encore à parfaire, sont également particulièrement intéressantes ; elles introduisent la thématique centrale de Revenir, c’est-à-dire la possibilité – ou impossibilité – de mettre en image, de reproduire après-coup, par des images, l’expérience difficile et dangereuse du migrant.

Kumut Imesh a fui la guerre civile en Côte d’Ivoire il y a 13 ans sortant clandestinement de son pays. Au Ghana, il a commencé un voyage qui l'a emmené au Maroc, en passant par le Togo, le Benin, le Niger, et l’Algérie, autant d’étapes où repartir encore et toujours à zéro : trouver du travail, mettre un peu d’argent de côté pour continuer le voyage. Chaque étape a signifié non seulement la découverte d’un monde de danger et de solidarité, mais également l’occasion d’imaginer à chaque fois une nouvelle vie dans ces lieux où Kumut, grâce à son éducation universitaire, a pu trouver des boulots plus intéressants. Mais ses ennemis au pays continuaient à le poursuivre, le poussant toujours plus au nord du continent africain.

Dans le film, nous ne connaîtrons pas le voyage plus loin que Niamey, au Niger ; en effet le récit de son voyage coïncide avec un deuxième voyage que Kumut a voulu entreprendre 10 ans plus tard, en suivant exactement le même parcours, qui a pris fin dans la capitale du Niger. Oui, l’idée du film est celle de témoigner d'une route migratoire et documenter a posteriori un voyage à travers la performance de sa répétition, tout seul, sans équipe de tournage, sans visas, dans des conditions similaires à celles du premier voyage, si ce n’est qu'un peu d’argent pour les transports et la sécurité du matériel de tournage. Un projet hardi et risqué, jusqu'à connaître des déboires avec la police de Niamey, qui a pris Kumut pour un espion français ; arrêté et écroué, il a dû sa libération que grâce à l'aide de son coréalisateur, David Fedele.

Ce dernier était installé au Maroc pour suivre à distance le périple de Kumut et guider l’évolution du tournage ; aussi car l’Ivoirien prenait la caméra dans ses mains pour la première fois pour ce projet. Revenir est donc tout d’abord le résultat d’une rencontre entre un cinéaste et un migrant, désormais installé et réfugié en France, bien qu'il n'aime pas être étiqueté comme tel. Et si les mésaventures du migrant constituent un des thèmes du film, les difficultés de réalisation d’un film qui laisse transparaître une maîtrise de la caméra encore à parfaire, sont également particulièrement intéressantes ; elles introduisent la thématique centrale de Revenir, c’est-à-dire la possibilité – ou impossibilité – de mettre en image, de reproduire après-coup, par des images, l’expérience difficile et dangereuse du migrant.

Autre élément particulier de ce projet-expérience est l’entrelacement de trois lignes de récit: le voyage d’antan dont on veut parler, les essais spontanés de reenactement de ce dernier, et le voyage présent de Kumut, cinéaste improvisé. Ces trois lignes dialoguent, s'entrecroisent, jusqu’à fusionner entre elles, dans un jeu entre fiction et documentaire où la réalité de ce que l’on voit importe toujours, car même les tentatives de mise-en-scène dans des conditions de tournage si singulières ont une valeur documentaire extraordinaire.

Malgré la complexité narrative d’un récit très construit – et admirablement monté par David Fedele – une des forces de Revenir est certainement sa capacité de nous immerger de façon rarement authentique dans un monde souvent esthétisé par un regard cinématographique étranger qui ne peut que se laisser tôt ou tard fasciner par l’exotisme des lieux. Au contraire, Kumut sélectionne exclusivement ce qui concerne le voyage d’une personne préoccupée par sa survie quotidienne et les aléas des déplacements, d’une personne qui n’a pas le temps de contempler, si ce n’est que pour pleurer l’éloignement des proches ou prier pour un futur meilleur.

Et Kumut revenu sur les lieux de son voyage dramatique comme l’on revient sur les lieux du crime ? Même si les raisons du deuxième voyage sont clairement personnelles – et rejoignent l’expérience que la famille de David Fedele lui-même, australien d’origine italienne, a pu vivre – la motivation profonde de Kumut est plus tournée vers le futur que vers le passé – malgré le titre Revenir. Plus qu’un geste thérapeutique, l’Ivoirien croit devoir montrer la réalité d’une route migratoire en Afrique encore plus détériorée ces dernières années. Même si les jeunes africains sont plus informés aujourd’hui qu’auparavant sur ce qui les attend sur la route – et à l’arrivée en Europe – le devoir d’un « survivant » du Sahara semble être de témoigner de la « vérité » de la migration. C’est ce besoin de vérité qui a animé Kumut et donne une personnalité forte à un film instructif, expérimental et étonnant.

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Revenir | Film | David Fedele, Kumut Imesh | AUS-FR-MAR 2018 | 83’

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First published: September 11, 2018