Goodbye, Dragon Inn | Walker

[…] Il s’agit du débordement fantomatique du cinéma dans le réel qui l’entoure et le contient.

Tsai Ming-liang et la marche des fantômes

Il y a l’embarras du choix, du choix filmique, dans l’hommage que le festival genevois Black Movie fait à un de ses invités historiques, le réalisateur et artiste taïwanais Tsai Ming-liang. Grâce à l’exposition de quelques-unes de ses œuvres vidéo, Walker, il s’agira alors de choisir un geste, celui de la marche, que les performances avec son acteur fétiche Lee Kang-sheng alias Hsiao Kang célèbrent sans détours.

L’occasion de la coïncidence festivalière de films et exposition me pousse ainsi à redécouvrir Goodbye, Dragon Inn (2003) et à y voir surtout ce geste de la marche, lent, rythmé, cinématographiquement souligné par un claquement sonore qui déchire le silence d’un cinéma qui va bientôt fermer à jamais. Plus que la nostalgie d’un monde révolu, celui des projections dans les salles obscures, je sens alors la déambulation de cette marche fantomatique chez Goodbye, Dragon Inn comme le geste d’une exploration nouvelle, autour de la salle de cinéma, autour du cinéma.

Or, s’agissant de fantômes – c’est-à-dire du fantomatique qui fait la chair du cinéma – cette expansion autour du grand écran ne signifie pas un élargissement matériel qui permet de reconsidérer l’écran et le cinéma lui-même comme objet (d’art) parmi d’autres objets. Il ne s’agit pas d’analyser le cinéma à travers ses conditions matérielles, ni de le réifier ou le réduire à son statut de médium. Il s’agit plutôt du débordement fantomatique du cinéma dans le réel qui l’entoure et le contient. Le temps que le claquement des marches de Goodbye, Dragon Inn rythme raconte l’histoire d’une contagion du réel par l’imaginaire du cinéma. On peut bien fermer les salles de cinémas, pas de problème, car ses fantômes en sont déjà sortis, ils se promènent dans la ville. Le cinéma est partout. Tsai Ming-liang est bien le cinéaste qui a su mettre à l’écran la sensualité physique de façon si intense, mais il est également l’artiste qui a su faire promener dans le réel la sensualité imaginaire de façon si fantomatique.

Voilà l’étincelle incendiaire qui m’est apparue à travers la coïncidence festivalière de films et exposition de Tsai Ming-liang. Voilà de quoi relier cinéma et espace d’exposition, au nom du cinéma – du cinema expanded – et au-delà de toute nostalgie pour les salles obscures. Voilà des fantômes qui marchent, bien réels, et pourtant…

 

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Walker | Exhibition | Tsai Ming-liang | Black Movie Genève 2024 | 18/1-7/2/2024
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Goodbye, Dragon Inn | Film | Tsai Ming-liang | TWN 2003 | 82’ | Black Movie Genève 2024
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First published: January 30, 2024