El alma quiere volar

Colombie, une famille de la classe moyenne, une fille pleure, sa mère est battue par son père. El alma quiere volar s’ouvre avec une scène de violence domestique et termine avec une libération,  la mère décidant de se séparer de son mari. Entre-deux, le quotidien d’une famille aux trois générations entièrement au féminin, observée avec émerveillement et curiosité, suspicion et docilité par la jeune Camila, 10 ans. Diana Montenegro tisse ainsi le drame d’une société machiste dont l’immanence semble empêcher toute possibilité de révolte, en rendant souvent le drame une tragédie. C’est avec une caméra qui colle de façon empathique aux corps des femmes que la réalisatrice colombienne accompagne les évolutions de leur cosmos exclusivement domestique. La récurrence de la musique populaire et une belle sensibilité pour les détails dessinent un réalisme qui ne peut que parler d’un vécu autobiographique. Et la fluidité du montage assure une expérience d’immersion qui ne peut que toucher.

Et c’est exactement cette habileté à toucher le spectateur qui pose problème, car hautement problématique, à mes yeux, est la fresque du monde féminin qui semble vouloir contrecarrer la dénonciation (féministe ?) du machisme violent perpétré par les hommes. Le groupement des femmes, où l’individualité s’évapore dans une constante entraide solidaire et intrusive à la fois ; le manque absolu d’une perspective d’activité dans le monde ou d’intérêts constructifs, et donc le repli domestique fait de caresses, cheveux peignés, maquillage, bavardage, intrigues – un repli stigmatisé par une omniprésente position allongée ; la suspension du temps dans une vacance de l’esprit remplie par la superstition sauvage et ses rituels fièrement irrationnels… tout cela ne fait qu’insister sur le monde féminin comme exaltation de la fragilité, de l’insécurité, de la passivité. Un monde féminin dont l’apparente douceur et tendresse embellissent, de façon presque perverse, l’état fondamental d’esclavage exprimé par chaque geste et scène du film. Au drame ou à la tragédie des rapports entre hommes et femmes s’ajoute alors l’horreur d’un monde exclusivement féminin qui ne s’éloigne en rien du machisme véhiculé par l’agression et l’oppression exercées directement par les hommes.

En tant que film d’horreur, El alma quiere volar est un film pleinement réussi. Mais alors qu’on le regarde, se pose la question du positionnement de Diana Montenegro : est-ce qu’il y a une véritable critique aussi de la féminité, qui semble trompeusement s’opposer au monde oppressant des hommes ? Ou bien cette féminité incarne une sorte d’alternative avec laquelle le film sympathiserait ? Ce film aurait certainement bénéficié d’un distancement presque documentaire, lequel aurait laissé un éventuel positionnement en suspens. Mais le final qui se veut libératoire montre une libération seulement des hommes et non pas de la féminité thématisée à travers le film. Dans la dernière scène, les trois générations de femmes se trouvent (symboliquement ?) immergées (embourbées ?) dans un bain thermal « pour femmes » (pour la féminité), espace de soin et loisir, et Camila se tourne au ciel pour un remerciement. Or, dans l’image finale on retrouve la Vierge Marie, qui semble renfermer la féminité trompeusement libérée (des hommes) dans sa passivité esclavagiste et obscurantiste. Est-ce qu’El alma quiere volar tombe alors dans le plus grave des malentendus du féminisme, celui de penser que l’alternative au machisme soit la féminité forgée par le machisme lui-même ? Si c’était le cas, une couche ultérieure d’horreur s’ajouterait à un film d’horreur qui pourrait autrement briller justement par son manque absolu d’alternative, par son désespoir.

 

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El alma quiere volar | Film | Diana Montenegro | COL 2020 | 88’ | Filmar en América Latina Genève 2020, 2021

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First published: November 29, 2020