De cendres et de braises

Des cendres : qu’elles sont noires et blanches, comme la magnifique photographie de Manon Ott et Grégory Cohen ! Avec ces images et une splendide bande sonore (musique d’Akosh S. et des protagonistes eux-mêmes), ce documentaire sait esquiver le risque du misérabilisme post-ouvrier par la beauté, laquelle donne une juste dignité aux voix des victimes. Victimes, car les cendres post-industrielles du quartier des Mureaux à Flins-sur-Seine, dont le destin est encore aujourd’hui relié aux usines Renault, signifient le malaise d’une classe ouvrière dont on ne parle plus, sinon indirectement, par une médiatisation de la « violence des banlieues », résultat de la précarisation du travail ouvrier lui-même. « Pourquoi c’est le ministre de l’Intérieur, et pas celui du Travail, qui est venu dans le quartier ? » — la question soulevée par un jeune ouvrier résume tout le problème.

Des braises : la voix des hommes et des femmes du quartier — mais il ne s’agit pratiquement que des hommes, ce qui aurait peut-être mérité une explication… — exprime les brûlures de l’exploitation et de la ghettoïsation. Mais il s’agit de paroles concentrées davantage sur les blessures certaines que sur les soins possibles. Les grèves d’aujourd’hui ressemblent à celles d’antan (re-présentées par Ott à travers des images d’archives) mais dans une version plus désunie donc inefficace. La résignation semble régner. Et alors me vient une question qui paraît échapper à De cendres et de braises : quelle force ont les raisons des victimes si elles se limitent à la dénonciation d’une situation et n’engagent pas dans la recherche d’une solution, d’un changement ?

Des feux : c’est dans ce chapitre seulement effleuré par le documentaire de Ott qu’on peut commencer à imaginer des alternatives à l’impasse. Ici l’on trouvera beaucoup de faux feux, de feux éphémères : ce sont les feux des loisirs, la musique, la danse, qui à la fin du film se résument tous dans l’image des petits feux des lanternes qui s’envolent dans le ciel, destinées à brûler le temps d’une nuit. Mais dans ce chapitre à peine amorcé, on trouvera aussi un feu allumé dans la forêt par un homme mûr qui met l’accent exactement là où il le faut : il n’y a que le réveil d’une conscience politique, et tout d’abord une éducation intellectuelle, qui peut ouvrir les esprits et leur redonner la possibilité d’allumer le seul feu capable de ne pas s’éteindre, le feu d’un travail digne et d’une vie constructive. 

Info

De cendres et de braises | Film | Manon Ott | FR 2018 | 70’ | Visions du Réel Nyon 2018, Cinéma Spoutnik Genève

More Info and Trailer 


First published: January 17, 2019