Locarno Shorts Weeks 2023

A selection of short films curated by Emilien Gür (EG) and Giuseppe Di Salvatore (GDS)

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In Focus

Souvenez-vous de Zabriskie Point. On a tout dit de ce film qui a vite su trouver ses contempteurs et ses défenseurs. On en a peut-être même trop dit. Ou justement pas assez. Mais ce n’est pas le sujet. Ce que je voulais dire, donc. Quoiqu’on pense de Zabrisikie Point, il y a une scène dont on est obligé de reconnaître la fulgurance. La dernière scène. La plus célèbre. L’explosion d’une maison dans le désert californien. Tiens. En y réfléchissant, ce n’est pas le seul film à se terminer sur une maison qui saute en l’air. Je pourrais citer de mémoire Kiss Me Deadly, Le sacrifice et Wild River. Encore faudrait-il distinguer les explosions et les incendies, volontaires ou non. Bref. Mon sujet, donc, c’est la maison qui explose à la fin de Zabrisikie Point. Enfin, pas vraiment. Parce que c’est d’un autre film que je voulais parler. The Sunset Special. Qui justement, me rappelle Zabrisikie Point. La dernière scène de Zabriskie Point. La maison qui explose dans le désert californien. Et plus intéressant encore, ce qui suit l’explosion. Une série de plans qui filment au ralenti les objets expulsés de la maison. Par l’explosion, donc. Du mobilier américain de style bourgeois des années 1960. La caméra suit leurs parcours dans les airs. Ridicules et poétiques, paraissent-ils. Ces objets qui ne servent plus à rien. Une gifle au matérialisme. À l’esprit bourgeois. Au consumérisme.

Dans The Sunset Special, aucune trace de maison qui explose. Pas de mobilier volant non plus. Au lieu de ça, un homme et une femme qui se promènent dans des paysages de pixels figurant un complexe hôtelier de luxe. Propos sans intérêts échangés par les personnages, de leurs voix de logiciel. Oui, la bourgeoisie est vide. Ses désirs. Son mode de vie. On le savait. Merci de le rappeler. Tout à coup, les pixels se brouillent. On ne distingue plus que de vagues surfaces de couleurs. Explosion d’une nouvelle forme de matérialisme. Numérique, celle-ci. Et alors, je me suis souvenu de Zabrisikie Point. La dernière scène. La maison qui explose dans le désert californien. Les objets qui volent. Presque la même fulgurance. Dans ces pixels brouillés. Qui crient la vanité d’un monde et de sa représentation. D’un monde qui s’est tellement donné en représentation qu’il a fini par coïncider avec celle-ci. EG

Nicolas Gebbe | DE 2021 | 17’
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Cyril Schäublin est notre contemporain. Rares sont les cinéastes qui voient le présent aussi bien que lui. Parce qu’il est l’archéologue de notre passé (Unrueh) et de notre futur (Dene wos guet geit, Il faut fabriquer ses cadeaux). Une seule question traverse ses films : qu’arrive-t-il aux humains lorsqu’ils touchent à la technologie ? Question d’anthropologue. Réponse de cinéaste. Cyril Schäublin regarde ses personnages et leur monde qui n’est étrangement pas si dissemblable du nôtre, ni de haut ni de bas, mais de biais. Ni de trop près, ni de trop loin, mais à la distance juste. Pas depuis un quelconque juste milieu, mais à partir d’un angle toujours surprenant sous lequel l’étrange nous apparaît familier et le familier étrange.

Dans Il faut fabriquer ses cadeaux, un parc propose à ses visiteurs d’embrasser des hologrammes aussi longtemps que leur crédit le leur permet. On parle aussi d’une technologie à venir qui permettra de lire les pensées de son interlocuteur. De belles métaphores pour éclairer notre époque, jetables dans quelques années ? Pas du tout. Cyril Schäublin est un cinéaste de la matière. Plus intéressé par les choses qu’il filme que par leurs significations possibles. Parce qu’un baiser entre une femme et un hologramme reste, au bout du compte, un baiser. C’est-à-dire une rencontre entre des matières (et de la lumière), mais aussi et surtout quelque chose qui nous échappe un peu, beaucoup, passionnément, à la folie : une manifestation du désir. Même diffus, opaque ou fugace : la seule chose, peut-être, qu’il vaille encore la peine de filmer. EG

Cyril Schäublin | CH 2021 | 11’
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Un résumé juste, et justement énigmatique pourrait être : la Métamorphose de Kafka en version vietnamienne, mais habillée avec des vêtements surréalistes. Dans le film de Nghia & Thy, les couches sociales d’une Saigon bien contrastée ne réussissent pas à communiquer, et ses protagonistes flottent comme les îlots d’un archipel. La fragmentation sociale est renforcée par la fragmentation narrative, grâce à la constante fuite en avant d’un montage qui capitalise sur l’ellipse et sur des associations suggestives et symboliques à la fois. De même, dans cette matière sans cohésion, une histoire d’amour émerge, en filigrane, fragile voire impossible car constamment renvoyée. GDS

Minh Thy Pham Hoang, Nghia Vu Minh | VNM 2020 | 19’
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« Happiness Is a Journey Not a Destination », lit-on, affiché sur un mur d’usine, au détour d’un plan du film d’Ivete Lucas et de Patrick Bresnan, essai documentaire en split screen qui suit quelques travailleurs affairés, un soir de Noël, à plier et emballer des journaux qu’ils iront ensuite distribuer dans une ville quelque part aux États-Unis. De manière sobre et efficace, les réalisateurs montrent, sans commentaire, la fatigue de corps qui ne connaissent aucun jour de congé et la répétition de gestes, toujours les mêmes, les même encore, ceux du travail, épuisant, aliénant, sans fin. « Happiness is a Journey Not a Destination » : dicton populaire, trésor d’une sagesse forgée sous la contrainte du capital à force de résignation. Mais de quel voyage parle-t-on ? EG

Ivete Lucas, Patrick Bresnan | USA-EST 2021 | 12’
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Eliane Esther Bots nous amène à être témoins des témoins des témoins, car elle nous fait rentrer dans le monde des traducteurs de la Cour pénale internationale de La Haye. Le mélange d’une mise-en-scène sèche et d’une approche sensible voire sensuelle aux corps, nous permet de vivre en empathie – entre compréhension et affectuosité – avec ces personnes dont la neutralité professionnelle est nécessairement vouée à redoubler le traumatisme des témoins des crimes de guerre. Le spectateur empathique d’In Flow of Words saura donc se reconnaître dans le rôle d’accompagnateur d’un processus de thérapie collective. GDS

Eliane Esther Bots | NL 2021 | 22’
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MENTIONS

FALGSC, Udval Altageren – De vielles photographies. Deux astronautes à l’époque soviétique. Derrière les poses de rigueur, une queerness qui irradie leurs corps et subvertit l’Histoire. La grande, officielle. EG   

Chute, Nora Longatti – Toute une société collapse à travers les chutes mises en scène par la performeuse, et l’anonymité urbaine se transforme en un espace doux fait de soin et de partage. GDS   

Les démons de Dorothy, Alexis Langlois – Un film pétré de références à des genres cinématographiques non nobles (ceux que beaucoup de jeunes cinéastes se croient le devoir d’enoblir, et avec quel sérieux), mais irrévérencieux, profondément irrévérencieux. EG    

Giochi, Simone Bozzelli – Quand la narration sait se nourrir de détours émotionnels – ici d’une grande authenticité – l’essence du jeu s’impose comme un baume qui arrondit les angles. GDS

after a room, by Naomi Pacifique | Dans un cinéma d’intérieurs et d’intériorité, le film tisse l’intrication d’une intimité physique et mémorielle, en créant ainsi une housse qui protège et laisse s’exprimer une histoire queer. GDS