Festival International du Film de Fribourg 2023

Here is the discussion of a selection of short films at the Festival International du Film de Fribourg (FIFF) 2023 – curated by Morgane Frund (MF)

In Focus

Il y a des films où l’on a toute de suite envie de mettre beaucoup de mots dessus et d’autres où l’on voudrait en dire le moins possible. A Lost Astronaut and a City of Footprints a quelque chose de l’ordre de l’indicible.

Il y a cette histoire en équilibre, cette fusion de deux narrations qui se sont cognées comme deux planètes dans leurs courses. Le jour, il doit s’occuper de l’effondrement d’un tunnel avec un cadavre à qui il manque un pied. La nuit, il rêve qu’il est l’épouse de son collègue astronaute décédé. Le travail s’infiltre partout, même dans le deuil. A l’enterrement, un cadre chante avec émotion l’hymne de l’entreprise, comme s’il s’agissait d’un générique de dessin animé. Et puis il y a cette eau qui coule sur le noir et blanc, qui rend la frontière entre les rêves et le réel perméable.

Mais au-delà de ces éléments tangibles, A Lost Astronaut and a City of Footprints saisit quelque chose dont on ne peut pas parler. C’est cette présence immatérielle qui est la force du film, cette empreinte qu’il parvient à laisser en nous, sans que nous soyons en mesure de la nommer. Comme si le film, par sa fluidité, résistait à être infiltré par une quelconque terminologie. Comme s’il refusait d’être « travaillé ». MF

Vu Nguyen Nam Khue | VNM 2022 | 15’
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Envoyer son caméraman tout seul dans une mine pendant trois heures sans savoir ce qu’on allait faire des images. C’était la démarche du réalisateur Adilet Karzhoev, qui au départ voulait faire un tout autre film.

Sur la base de ces trois heures de rush, Black Wagon nous livre un documentaire à la fois immersif et auto réflexif. Sans lumière supplémentaire, la caméra cherche ses images dans l’obscurité. Au côté de ceux qui fouille la roche pour trouver des gisements, elle trace le portrait d’un monde souterrain inconnu à la surface. Le film prend cependant un tournant surprenant lors d’une discussion entre les mineurs. Ils se mettent à parler du film, et se questionnent sur les images et les sons qui seront utilisés. Ils disent alors vouloir faire de leur mieux pour donner un bon matériel à l’équipe du film. 

Si ce dialogue fait sourire, il n’est pas moins lourd de résonnance. La plupart des mineurs travaillent jusqu’à la fin de leur jour dans des conditions épouvantables pour récolter des richesses dont ils ne verront jamais la couleur. Black Wagon a récolté un peu de leur histoire. MF

Adilet Karzhoev | KGZ 2021 | 24’
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It Turns Blue est le film le plus dur que j’ai vu dans cette sélection. Dur parce qu’il raconte une violence inévitable, si inévitable que le film ne propose même pas de l’arrêter. Mais dur aussi parce qu’il nous met nous-mêmes dans l’impasse.

Combien de temps faut-il pour qu’une marque de coup sur le dos d’une enfant disparaisse ? Cette question est formulée à voix haute, dans un dialogue entre les deux adultes au centre du récit. On comprend rapidement que ce père divorcé a toujours été violent envers son enfant et que sa sœur a pris l’habitude d’effacer les traces. Les traces sur sa main à elle, en revanche, ne se sont jamais effacées.

Devant le mur que le père repeignait en bleu, la tante fait croire à l’enfant que la violence n’était qu’un jeu. Le film se termine par un long plan de la tante assise dans la voiture. La pluie recouvre progressivement le parebrise jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une silhouette aux contours flous. 

Cette image reflète parfaitement l’état dans lequel je me suis sentie à la fin du film. Parce que je ne sais pas quoi faire de la violence, pas quoi faire du calme des deux adultes, pas quoi faire de l’impression de bienveillance qui ressort malgré tout du jeu inventé par la tante. Le film ne recule pas devant la complexité de son sujet et ne cherche pas d’excuses pour ses personnages. Mais It Turns Blue donne envie d’hurler, hurler qu’on ne sait pas quoi faire pour que ça s’arrête. MF

Shadi Karamroudi | IRN 2023 | 15’
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Le film se passe dans une Bosnie dépressive hantée par des airs de musique yougoslave. La voix et les poèmes du poète Marko Tomaš guident le récit. A l’image, on voit surtout Maja, sa compagne aux cheveux colorés. Elle est toujours de dos, cachée par un autre personnage, ou bien derrière une vitre martelée. On ne voit jamais son visage, jamais sa bouche, même quand elle parle. Durant toute la durée du film, elle ne dit presque rien. Une phrase se détache tout de même : si elle reste auprès de cet homme, c’est pour qu’il puisse écrire des poèmes sur lui-même.

Ce que j’ai vu dans ce film, c’est la dissolution d’une muse dans l’œuvre d’un poète qui la consume pour écrire ses textes. De manière similaire, le film lui mange sa voix, consomme son visage, jusqu’à la faire disparaitre. La phrase de fin « I didn't make it to love her », prend alors un double sens. Le poète n’a pas réussi à aimer sa compagne. Mais le film non plus n’a pas réussi à aimer Maja. Tout comme son poète, il l’a avalée dans les images. MF

Anna Fernandez De Paco | BIH-ES-UK 2022 | 17’
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C’était son idée à elle. Mais il l’a fait. Il s’est déguisé en fille pour pouvoir la voir alors qu’elle était punie. Bas en nylon, maquillage, longue perruque, tout y est. « Alia » est sur le pas de la porte, prête à réviser avec sa meilleure copine.

My Girl Friend emprunte certains codes typiques de la comédie. Le court-métrage créé un secret avec le public, le met constamment en danger et en tire les fils pour créer des quiproquos. Cependant, les tensions du film vont au-delà de la situation comique. Derrière le maquillage de l’humour, My Girl Friend raconte la perte de pouvoir d’un jeune homme qui se retrouve soudain sous les contraintes de l’existence en tant que femme. Il ne peut plus décider de l’heure à laquelle il rentre. Il désire sa petite-amie, mais ne peut pas laisser libre cours à ce désir. La perte de pouvoir devient finalement violente lorsque le père de sa petite amie se met à le draguer et glisse un mégot dans sa poche, en effleurant le rembourrage de ses faux seins. 

Sans se moquer de son personnage, My Girl Friend aborde avec force la question de la prise de conscience des privilèges masculins et montre que ce processus peut être douloureux. Cependant, le film réussit aussi à ne pas prendre en pitié le jeune-homme qui, une fois cette nuit passée, pourra ôter son costume de femme et retrouver sa place privilégiée. MF

Kawthar Younis | EGY 2022 | 7’
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Mentions

Rufus veut rester à Perpignan. Alpha, son oncle, veut vendre leur hôtel pour retourner en Côte d’Ivoire. Monika, l’amie de Rufus, se prépare à intégrer une sélection d’aviron à Annecy. L’hôtel se vide et leurs trois chemins se séparent. Fraya est un film qui choisit ses enjeux avec intelligence. Plutôt que de réduire l’histoire à des conflits interpersonnels, l’écriture du film sait ouvrir avec finesse les rêves et les attaches qui animent les personnages. Parce qu’on peut se séparer sans s’en vouloir, parce qu’on peut s’aimer et se quitter à la fois, pour aller là où on en a envie d’être. MF

Clémentine Delbecq | CIV-FR 2022 | 24’
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Les vampires ne vieillissent pas. Mais qu’en est-il des films de vampires ? Paloquemao: el mercado de los vampiros se réapproprie les codes du genre. Noir et blanc, ombre portée, fondu enchainé, tout y est. Même les enfants qui jouent à un jeu évoquant les monstres du film. Habité par des fantômes de toute une histoire du cinéma, le court-métrage parvient à nous livrer un conte de vampire moderne ancré à Bogota. MF

Jeferson Cardoza Herrera | COL 2022 | 19’
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C’est une histoire de cheveux. Les siens à elle, absents, qu’elle doit pourtant couvrir, même à l’intérieur de sa voiture. Et puis ses cheveux à lui, trop longs, qui lui valent des amendes car il a l’air d’une femme sur les images des caméras de surveillance. Ils se rencontrent tous les deux au poste de police. Sur fond de discussion sur le shampoing à l’huile d’argan, une alliance émerge. Split Ends est une rébellion subtile et osée, un film puissamment léger face à une violence lourde. MF

Alireza Kazemipour | IRN 2022 | 14’
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Des lettres à soi-même écrites pendant la pandémie. C’était le point de départ du film d’animation Dear Me. En utilisant la technique de la peinture sur verre, la réalisatrice nous confie des images intimes, qu’elle accompagne de poèmes qui racontent ses doutes et ses espoirs. Un court-métrage qui donne l’impression de se retrouver soi-même, mais dans les pages du journal intime d’une autre. MF

Suchana Saha | IND 2022 | 3’
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