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Wake Up on Mars
Online streaming at the Solothurner Filmtage 2021
Le traumatisme. La trame du temps qui se déchire. Le trou noir qui abolit l’espérance et menace l’identité. Et parfois, comme c’est le cas pour les deux adolescentes que l’on découvre endormies dans le plan inaugural de Wake Up on Mars, les corps qui s’effondrent sous le poids de leur propre sidération. À l’image de centaines d’enfants de familles exilées en attente de régularisation, Ibadeta et Djeneta Demiri sont victimes du « syndrome de résignation », un coma profond qui survient à la suite d’un grand choc émotionnel. Roms du Kosovo et persécutés comme tels, les Demiri ont fui leur terre d’origine et trouvé un point de chute en Suède où les attendait une autre forme d’injustice, celle des politiques migratoires de plus en plus dures et restrictives. Par deux fois, elles ont vu leurs demandes d’asile rejetées, épisodes douloureux à la suite desquels Ibadeta a développé le syndrome catatonique. Deux ans auparavant, le mal avait déjà frappé Djeneta, après que cette dernière eut été témoin de l’agression de son petit frère Furkan, au Kosovo.
Sans rien occulter du quotidien de cette famille, partagé entre les difficiles démarches d’obtention d’un statut de résident et une attention de tous les instants portée aux jeunes filles clouées à leurs lits de sommeil, la caméra de Dea Gjinovci s’attarde sur le plus jeune de la fratrie, Furkan. À l’enfermement intérieur de ses sœurs, le garçon de dix ans oppose un désir d’aventure et de fuite imaginaire, symbolisé par un projet de construction de vaisseau spatial qu’il destine à l’emmener sur Mars. Une part importante du métrage est consacrée à cette quête, le garçon de dix ans se mettant à collecter des matériaux de récupération autour de chez lui, où forêts de contes et cimetières de voitures se côtoient. La cinéaste restitue ce paysage sensuel et mental avec une compréhension intuitive de la lumière et un grand sens de l’image. Très vite, nous comprenons que l’entreprise de Furkan n’a rien d’une lubie. Elle est une manière de conjurer l’angoisse de cette double attente (de la régularisation, du réveil de ses sœurs), de s’échapper du contexte suffoquant qu’elle impose à tous les membres de la famille, et aussi, comme il le laisse entendre au détour d’une phrase — « je pense que tout est de ma faute » — de mettre fin au cercle pernicieux de la culpabilité.
Articulé autour de ces deux pôles — l’un de recréation fictionnelle, l’autre de captation documentaire — Wake Up on Mars évite les pièges de la métaphore trop explicite ou du tract militant. L’écriture expose intelligemment le cadre de cette maladie peu connue, notamment par le biais de fragments radiophoniques qui reviennent sur sa perception par la société suédoise, entre circonspection de la science et méfiance de certains hommes politiques. Devant cette famille qui fait preuve d’une abnégation et d’une persévérance sans faille, le regard de Dea Gjinovci parvient à trouver la juste distance, celle de l’accompagnement. À cet égard, le basculement dans le fantastique, à la toute fin du film, témoigne du caractère fort et absolu de son geste de cinéaste, et réconforte quant à la capacité inouïe qu’a l’enfance de tracer un chemin de lumière dans la noirceur en apparence la plus totale.
Wake Up on Mars | Film | Dea Gjinovci | CH-FR 2020 | 75’ | Visions du Réel 2020, Solothurner Filmtage 2021
Suot tschêl blau
Online streaming at the Solothurner Filmtage 2021
Film-autel grisé de bleu
Sous le ciel bleu, du réalisateur romanche Ivo Zen auquel on doit une petite dizaine de documentaires et de fictions réalisés depuis 2000, est une promesse de bleu. Le bleu acier du ciel d’hiver de Haute-Engadine dans la région de Samedan donne le vertige. Tellement puissant, immensément immaculé à perte de vue, il inocule l’impérieux besoin pour certains de prolonger l’expérience de cet accomplissement en une dimension plus étourdissante encore. Années 1980 et 1990, la cocaïne, l’héroïne et d’autres drogues sont consommées jusqu’à des excès mortifères. La promesse du cinéaste tient en cette tentative de lier la beauté inquiétante (aux dires de certains) du ciel et les états léthargiques des stupéfiants, parmi une poignée de jeunes adultes au sein de cette commune grisonne d’environ 3’000 habitants.
L’autre proposition forte du film tient en sa mise en scène d’une espèce d’autel, une table de bois massif située sous les voûtes du musée de la localité, sur laquelle les parents et amis déposent des objets ayant appartenus aux disparus : une paire de bottes de cowboy, une guitare, une boule de billard… Objets de mémoire douloureuse plus de trente ans plus tard, ils invitent à des évocations, des échanges, des silences. Des villageois sont réunis à la Croce Bianca à l’invitation d’Ivo Zen et assistent à un concert de jazz dont la musique méditative accompagne le film. Le bistrot du village avait été fréquenté par cette jeunesse trébuchante et il est impressionnant de constater à quel point l’expression des chagrins passés est difficile et l’impuissance à prendre la mesure du mal-être éprouvé des victimes, avérée.
Ivo Zen avait raconté dans Zaunkönig – Tagebuch einer Freundschaft (2016) son deuil d’un ami proche mort d’une consommation abusive de drogue. Ici, il élargit le cercle à un groupe d’une vingtaine de personnes qui avait décidé de « changer quelque chose » et dont les ambitions échouèrent pathétiquement, jusqu’à que mort s’en suive. Ces événements sont inscrits avec pertinence dans la mouvance des mouvements contestataires qui prirent à Zurich une ampleur spectaculaire (AJZ, Platzspitz, Dynamo, Rote Fabrik, etc.), et dont Samedan paraît être une très modeste réplique.
À vouloir tracer ce récit avec des personnages parfois émouvants – particulièrement ce père qui mit tant de temps à accepter la mort de son fils – Ivo Zen cherche à voir clair au fond du bleu du ciel et autour de l’autel mémoriel. Il s’y engage avec délicatesse afin de ne point bousculer les sensibilités ni questionner les valeurs de cette communauté mise en émoi – plus qu’en question – par ces gens disparus au nirvana égotique de leurs vies terrestres.
Suot tschêl blau – Sous le ciel bleu | Film | Ivo Zen | CH 2020 | 70’ | Visions du Réel Nyon 2020, Solothurner Filmtage 2021
Traverser
Online streaming at the festival Black Movie Genève 2021
Côte d’Ivoire, Libye, Turin, Paris. Voilà les étapes de la migration de Inza Junior, surnommé « Bourgeois ». Mais dans les récits et dans l’expression des visages à l’écran il y a aussi le désert, la Méditerranée, les Alpes. Traverser ne puise pas dans les avantages narratifs du road movie, car il photographie plutôt une situation, celle des migrants, dont la réalité quotidienne peu racontée au cinéma est faite (aussi) d’attente, de rétention — au sens littéral et figuré —, d’inertie, de patience. L’espoir et l’endurance, ici, l’emportent sur l’aventure et la découverte, la violence étant une menace constante, qui peut s’imposer de l’extérieur comme surgir de l’intérieur, à travers les innombrables occasions de déviance auxquelles les jeunes migrants sont naturellement exposés.
Après Vivre riche (2017) et sa photographie d’une jeunesse ivoirienne souvent bien scolarisée mais à la recherche désespérée d’une fortune instantanée, dépourvue de futur ou de plans de vie, avec Traverser Joël Akafou nous restitue la photographie d’une jeunesse à la recherche d’un plan de vie, bien informée sur la migration, sans illusions naïves, mais décidée à réagir aux injustices sociales de son pays d’origine. Dans la suspension forcée et indéterminée de la bureaucratie italienne, la caméra d’Akafou suit toujours de près son protagoniste absolu. Celui-ci, indépendamment de sa « performance » bien consciente devant la caméra, représente efficacement toute une partie de migrants qui quittent non pas la violence de la guerre, mais la violence de la corruption et de l’autoritarisme — l’autre et le plus universel visage du colonialisme globalisé. En cela Traverser sait dépasser la spécificité africaine, car Bourgeois — et le surnom ici est très parlant — devient également le porte-parole indirect aussi d’une bonne partie des migrants internes en Europe, provenant souvent du Sud ou de l’Est. Et notamment du sud de l’Italie, celui que peuvent exprimer les appartements tristounets de la périphérie de Turin.
Il n’y a pas de choix cinématographiques particulièrement intéressants dans Traverser — il faut le dire. Son style reportage, par contre, rend bien, surtout à Turin, la désolation des longues périodes de limbes qui constituent le pain quotidien du voyage des migrants. Et — ici il y a un autre élément d’originalité du film — nous découvrons comment dans l’indifférence et l’hostilité ambiantes, il est possible de rester debout dans ces limbes non seulement par les fragiles initiatives des volontaires, mais surtout par la solide endurance des femmes, qu’elles soient dans le pays d’origine, dans le pays de premier accueil ou dans le pays de destination. Leur travail silencieux et l’énorme quantité d’argent qu’elles sont capables de mobiliser non seulement rendent ces traversées encore plus absurdes, mais révèlent aussi une plus grande illusion par rapport à celle de l’Eldorado européen : l’illusion produite par l’image de supériorité et de salut projetée sur leurs hommes. Comme le disait Chris Marker en filmant le visage d’une femme en Guinée-Bissau : « Toutes les femmes détiennent une petite racine d’indestructibilité. Et le travail des hommes a été toujours de faire en sorte qu’elles en s’aperçoivent le plus tard possible ».
Traverser | Film | Joël Richmond Mathieu Akafou | FR-BFA-BE 2020 | 77’ | Visions du Réel 2020, Black Movie Genève 2021
Loulou
Screenings in Swiss cinema theatres
Unscharf sind seine Bilder am Anfang häufig. So, wie wenn einem Tränen in die Augen laufen und der Fokus andauernd von den eigenen Emotionen hinfortgetragen wird. Der junge Erwachsene hinter und gelegentlich auch vor der Kamera heisst Nathan Hofstetter, Loulou ist ein filmisches Dokument, das vom Umgang mit seiner psychischen Erkrankung zeugt. Vier Jahre lang begleitete er seine Entwicklung. Durch die Kamera wird er zum einäugigen «Zyklopen» und findet mit der Zeit einen Weg, sich der paranoiden Schizophrenie zu stellen. Immer wieder tastet seine Linse die Umgebung nach Halt ab, Nathans Kamera sucht den Moment, in dem sich das Bild – als Darstellung des Realen – klar zeigt, doch verfehlt ihn oftmals. Daraus ergibt sich ein intimes Wechselspiel halb bewusster Zwischenräume.
«Die Verrückten sind die unglücklichen Entdecker des Unsichtbaren» ist ein Zitat, das sich der Regisseur aneignet. Doch stellt er seinen visuellen Exkursionen ins «Unsichtbare» sehr reale Menschen gegenüber. Nathan befragt seine Freunde, auch Caroline, Manu und Lisenn ringen mit sich selbst. In den Gesprächen erwähnen sie Préfargier, eine psychiatrische Klinik, die unter ihnen keiner weiteren Erklärung bedarf. Sie erzählen von ihren Wahnvorstellungen und manischen Phasen oder analysieren bis ins kleinste Detail den Unterschied, den sie zwischen der eigenen Selbstwahrnehmung und der der anderen sehen. Für Nathan sind die Erzählungen seiner Kollegen nicht nur eine Sammlung von Schicksalen, sondern sie dienen ihm auch als Abgleich mit der eigenen Erfahrung.
Im Grunde geht es um die Suche nach der richtigen Distanz. Je näher Nathan sich im Prozess selber kommt, umso häufiger stellt er sich und seine Nächsten vor die Kamera. Er richtet seinen Fokus liebevoll auf seine Mutter, seine Freundin, auf Vater und Grossvater. Die Begegnungen scheinen voller Belanglosigkeiten, doch ist es eben die Normalität, die eine Errungenschaft für ihn darstellt – das Alltägliche, das die Bedeutung der Beziehungen erst ausmacht. Loulou ist eine filmische Versöhnung mit sich selbst. Es geht um einen jungen Mann, der lernt, das Schicksal, Trauer und Liebe zuzulassen, und das auf eine unvermittelte Weise, die erst durch die anfängliche totale Entgrenzung entstehen kann. Ein radikaler Selbstversuch – seltsam schön.
Loulou | Film | Nathan Hofstetter | CH 2019 | 70’ | Visions du Réel 2019 | Solothurner Filmtage 2020
Pyrale
Le récit déploie deux histoires, celle d’un désastre et celle d’un bonheur. Et une troisième. Sur le versant du désastre, c’est la « neige de papillons », soit des milliers de milliers de papillons qui ont envahi une première fois à l’été 2016 la région de la Drôme et l’Ardèche, en France. Le film de Roxanne Gaucherand compose avec rigueur un puzzle des informations à propos de cette « pyrale du buis » venue d’Asie, qui pratique des attaques dévastatrices et étrangement ciblées. Des centaines de milliers d’hectares de buis et avec eux autant de paysages sont dévastés, des équilibres écologiques perturbés, les harmonies villageoises bousculées. Les médias locaux sont en émoi, des scientifiques aux abois, les habitants en proie à l’émotion. Et les apiculteurs ont de bonnes raisons de sérieusement s’inquiéter. Et de ces mauvais temps, les édiles politiques n’ont cure. La réalisatrice ne manque pas de réaliser avec inspiration et maîtrise des images spectaculaires, auxquelles la nuit confère un halo d’étrangeté mystérieuse et inquiétante.
C’est dans cette atmosphère que Lou est le guide du film. Sa voix off déroule et tout à la fois tisse les fils des événements. Avec cette jeune femme de la région au seuil de l’âge adulte, l’histoire évolue sur le versant du bonheur. Si des papillons virevoltent comme des flocons autour de lampadaires, Lou a l’impression qu’autant de flocons dansent dans son ventre. Son attirance pour son amie d’enfance Sam prend doucement son envol, qui d’attentes en gestes pudiques mène aux premiers baisers. Lou et Sam sont ainsi les personnages centraux de ce film parfaitement documenté dans son ambition issue de la tradition du documentaire et impeccablement inspiré de l’héritage de la fiction.
C’est là la troisième histoire, accomplie, que conte Pyrale, cette rencontre heureuse, d’un mot, du documentaire et de la fiction – celle-ci émancipée des coups de force des scénarios adossés aux blouses blanches des script doctors. Le film fait montre d’une identité convaincante : celle de ces ignobles fantassins dévastateurs et celle de Lou et Sam dont les désirs amoureux les emportent corps et âme. Le récit de ce double avènement est fluide, souple, sans accrocs d’artificialité, sa mise en scène est faite d’une tendresse qu’aucune précipitation ne perturbe.
Enfin, Roxanne Gaucherand n’hésite pas à faire un peu de cinoche – tendance néo-kitch assumée, grand bien lui fasse, quand au cours de la nuit de fête, les feux d’artifice sur un air de bel canto (tout de même, Giacomo Puccini et son « O mio bobbino caro » de Gianni Schicchi !) sont pris à témoin des sentiments d’amour en effusion des deux héroïnes. Et à la fin, c’est d’un incendie la nuit, admirablement filmé, que les deux jeunes femmes émergent pour s’enlacer. Leurs silhouettes forment dans les rougeurs qui trouent l’obscurité un émouvant corps de désir.
Pyrale | Film | Roxanne Gaucherand | FR 2020 | 49’ | Visions du Réel 2020, Burning Lights
Tony Driver
Voilà un film que la grâce d’une seule image parvient à sauver : celle d’un homme qui s’en va traverser la frontière du Mexique aux États-Unis. La caméra d’Ascanio Petrini l’a suivi de près durant l’entièreté du récit, et pour la première fois, elle le laisse s’éloigner. La musique s’est arrêtée ; on n’entend plus que le vent souffler ; le personnage disparaît progressivement à l’horizon. Ainsi s’achève Tony Driver.
Ce plan fait saillie, car soudain se trouve problématisé l’entremêlement entre documentaire et fiction qui nourrit le film. Ascanio Petrini nous avait jusqu’à présent raconté l’histoire rocambolesque de Pasquale Donatone — citoyen italien expulsé du territoire américain après y avoir vécu quarante ans — dans sa tentative de regagner les États-Unis pour y retrouver ex-femme et enfants. Le cinéaste avait choisi de donner à son récit les allures d’un remake comique de Paris, Texas. Le geste qui inspire ce parti pris est le suivant : s’emparer du réel et lui donner des airs de fiction. L’idée est ingénieuse, mais non pas inventive. Tony Driver ne crée rien de nouveau ; il s’agit d’un documentaire qui rejoue tout simplement des codes esthétiques et narratifs issus d’un certain cinéma de fiction.
L’image qui clôt le film vient justement infléchir cette dynamique. Elle insuffle du doute dans ce qui jusqu’alors n’avait constitué qu’en une mise en scène certes habile, mais par trop maîtrisée du réel. Une question émerge : Pasquale Donatone s’en va-t-il pour de bon ? Franchira-t-il illégalement la frontière ? Nous nous arrêtons alors de jouir d’un réel fictionnalisé pour interroger le statut de ce plan, sans savoir s’il appartient encore à la mise en scène organisée par Ascanio Petrini ou s’il s’en détache. Tandis que les codes de la fiction avaient jusqu’alors été plaqués sur l’écriture d’un documentaire, les deux pôles sont soudainement mis en tension. C’est dans cet espace que s’invente le cinéma du réel, compris non comme la simple hybridation de la fiction et de son envers, mais comme un dialogue fertile entre les deux termes, où l’un questionne sans cesse l’autre pour mieux le réinventer. Ce n’est qu’au bout d’une heure et dix minutes que nous parvenons à ce moment d’invention, dont la durée se limite à quelques secondes. Oh, cinéma du réel, pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il aura fallu prendre.
Tony Driver | Film | Ascanio Petrini | IT-MEX 2020 | Visions du Réel 2020, Grand Angle
Love Poem
Does filming oneself and one’s own partner acting as non-professional actors equal documentary filming? Does exhibiting the process of fiction-making, or the making-of of fiction, equal non-fiction cinema? What if the non-professional acting finally gets an influence of your daily non-acting? Is reality also the result of our exercises in fictionalising reality? If two non-professional actors say that they stop acting when the camera continues to record, did they “really” stop acting? Is any exhibited making-of of a film, even the making-of of the making-of of the film, potentially fictional? Would the fictionality of the making-of be more real than the reality of the fiction which the making-of refers to? What if a dying man or a two year-old child participate in an explicitly staged fiction? Can they be prepared enough, manipulated enough, in order to not bring some non-fictional reality into fiction? If the explicitly staged fiction displays the drama of a non-professional actress being manipulated by the rules of acting, does this mean that the non-professional actress is less manipulated, in reality, because she accepts being manipulated in order to express through her acting how bad it would be to be a manipulated non-professional actress? Does a meta-cinematic reflection rise when we realise that the ethical questions discussed in the drama coincide with the classical ethical questions of documentary filmmaking, like the question of filming and, in a way, seeking for suffering? If the pact between the non-professional actors would be to perform their own real life, would the non-scripted moments of improvisation go beyond the limit of their acting domain and show an effective non-fiction? Which should be the position of the spectator when, the explicit ambiguity between fiction and non-fiction notwithstanding, the highly credible dialogues make us suspend our disbeliefs? Should we resist the suspension of disbelief only because the realistic dialogue of a couple stops at once with the couple revealing their acting? When the non-professional actors, a couple themselves, start then to behave as if in their acting performances, should their previous dialogues be taken as even more credible or even more staged?
All these questions arose in me during the viewing of Xiaozhen Wang’s two-hours long Love Poem. Even if the film is not devoid of genuinely dramatic moments, which we experience when we surrender to the cinematic suspension of disbelief, its main filmic experience coincides with our own intellectual inquiry on fiction and non-fiction. The climax of the interlocking layers of fiction and non-fiction comes in the last scene of the film, where the filmmaker takes the initiative to stop the camera, but this scene will confirm the impossibility of attempting to disentangle fiction and non-fiction. Then music will appear. Yes, Love Poem is mainly intellectual cinema, and I cannot but immediately add: so what? For in speaking of “intellectual cinema”, I already feel the pressure, today, of having to defend its legitimate existence against the anti-intellectualism that seems to loom among film scholars and cinephiles… Cinema has told, tells, and will always tell the story of the reflection on its own dispositive and fundamental issues.
Love Poem | Film | Xiaozhen Wang | CHN-Hong Kong-SAR 2020 | 114’ | Visions du Réel 2020, Burning Lights
Les heures heureuses
Dans L'histoire de la folie à l'âge classique (1961), Michel Foucault considère que la place accordée à la folie au sein d'une société et la manière de la prendre en charge sont révélatrices du fonctionnement de la société elle-même. Avec son documentaire Les Heures heureuses, Martine Deyres propose une appréhension similaire de la folie, en focalisant son regard sur l'asile de St-Alban en Lozère.
Afin de comprendre la singularité de ce lieu, dans lequel les patients sont perçus comme des semblables plutôt que comme des marginaux — le rapport est alors symétrique avec les soignants —, la réalisatrice retrace son histoire par un assemblage de photographies et de films en super 8, essentiellement réalisés par le Docteur Tosquelles, communiste espagnol condamné à mort par le régime franquiste, arrivé à St-Alban en 1940 en tant que médecin du centre. Ce refus d'un rapport hiérarchique entre les patients et les soignants apparaît dans l'œuvre sous plusieurs modalités. Les images en noir et blanc reflètent, surtout lorsqu'elles se donnent sans commentaire, l'existence des patients, dans ce qu'elle a de plus commun, par exemple au travail ou dans leurs moments de vacances. La beauté des cadres, dont le mouvement passe en diagonale de l'arrière-plan au premier plan, et l'impression d'instants saisis sur le vif confèrent à ces images un charme particulier.
Les pensées des intéressés sont également transmises par la lecture d'extraits de Trait-d'union, journal édité par et pour les pensionnaires de St-Alban. Certaines productions d'art brut de Benjamin Arneval, Auguste Forestier et Marguerite Sirvins sont exposées tandis qu’on nous livre le récit de leurs vies. La mise en parallèle avec le sort réservé à ces œuvres par le régime nazi permet de mettre en évidence l'importance du cadre institutionnel dans la reconnaissance accordée ou non à leur production.
Cette mention apparaît d'autant plus pertinente dans le documentaire que l'histoire de l'asile de St-Alban témoigne d'un lien indissociable entre l'action révolutionnaire des hommes qui gravitent autour du centre et leur conception de la folie : les changements dans le traitement des patients s'opèrent dès 1936, au moment du Front populaire en France. Dès lors, des acteurs majeurs qui ont marqué l'histoire du XXe siècle par leur pensée ou leur positionnement face aux régimes totalitaires se retrouvent liés d'une manière ou d'une autre à St-Alban ; parmi eux George Sadoul, Frantz Fanon, Paul Éluard, Jean Dubuffet, Georges Canguilhem. Lieu de résistance, refuge pour les juifs et les dissidents des pouvoirs fascistes, la folie n'est alors plus un état radicalement étranger à l'individu, mais se confond avec la marginalité des résistants politiques : dans chacun des cas, le statut de marginal se définit par rapport à la norme établie.
Bien que cette conception — idéale — de la psychiatrie apparaisse bénéfique pour tout le monde, patients compris, une autre vision, plus conventionnelle et plus répandue, semble s'immiscer et menacer à terme cet équilibre. Les coupes budgétaires et l'imposition de règles visant à aliéner le patient à sa folie par tout un dispositif contraignant, dont la camisole de force, finissent par s’imposer.
Gérard, un pensionnaire, d'une lucidité évidente, condense le propos du film lorsqu’il affirme vouloir participer aux manifestations des années 70 pour contester la nouvelle politique du centre, jugée régressive. Il souhaite alors prendre la parole dans Trait-d'union pour lutter en faveur du respect humain, et déclare « se tenir sur ses gardes pour intervenir à tout moment nécessaire ». C'est alors que les paroles de Foucault surgissent en nous avec une force d'autant plus vivace et concrète : « la folie de la folie est d'être secrètement raison ».
Les heures heureses | Film | Martine Deyres | FR-CH-BE 2019 | 77’ | Visions du Réel Nyon 2019, Solothurner FIlmtage 2020
Special Mention at the National Competion at Visions du Réel Nyon 2019