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Garçonnières
Screenings in Swiss cinema theatres and at the Solothurner Filmtage 2023
Enquête sur la masculinité comme espace autre, Garçonnières est avant tout un exercice d’(auto)ethnographie : la réalisatrice et anthropologue Céline Pernet approche, grâce à la caméra, des espaces et des dynamiques sociales desquels elle dit s’être longtemps sentie exclue. Elle porte un regard ouvert, générationnel, disposé au contrepoint ironique, tout en restant à l’écart des clichés de la comédie de genre. L’élan (il s’agit de l’élément qui m’a le plus frappé dans le film) est celui du désir. Désir de comprendre, justement, mais également désir tout court : la fascination érotique (féminine !) devient volonté de découverte. Il en résulte une série d’entretiens tournés dans des espaces domestiques, au cours desquels la réalisatrice propose à ses sujets d’aborder des thèmes tels que le rapport au corps, au sexe, à la paternité et aux applications de rencontre. Un montage ample et souvent dialogique lie les conversations en un chœur profondément humain, ponctué de vignettes qui dépeignent (avec une certaine tendresse) des espaces conventionnellement masculins, ainsi que des extraits de films de famille de la réalisatrice, qui en parallèle aux entretiens suit ainsi une subtile piste autobiographie. On y sent un écho lointain du cinéma-vérité de Rouch et Morin : avant tout dans les ondulations continues du discours, lorsque les sujets interviewés reconnaissent, tantôt en les rejetant, tantôt en arrondissant les angles, des éléments patriarcaux ou de critique féministe dans leurs propres paroles. De petites touches de réflexion idéologique (pour qui les cherche) dans un film qui reste au fond un geste personnel d’ouverture humaine et de partage.
Garçonnières | Film | Céline Pernet | CH 2022 | 80’ | Visions du Réel Nyon 2022, Solothurner Filmtage 2023
Silver Bird and Rainbow Fish
Lei Lei opts for the aesthetic of collage in order to deliver his family saga, almost as if he could stick together what the Chinese Cultural Revolution has broken up, but the collage is also displayed as an expansion of the photographic layer from which the film begins its archeologic work: animation is there to expand and give flesh to the frozen memories of black and white pictures. It is a colourful but also abstract flesh, which insists more on the idea of historic stratification than on the dynamic of movement. One of the most recurring moving elements will be nothing but smoke, that is something destined to disappear…
The recorded voices of the father and the grandfather secure a personal perspective on History, which is per se a critical statement against any collectivist discourse. If this formal choice appears as a gesture of resistance, another formal choice seems to be the expression of resignation, insofar as the use of a puzzling editing architecture creates a chronologically scattered storytelling that makes us experience the irreparable fragmentation of the family.
The heavy use of symbols and the very slow pace of the narration then contributes to make us experience the 104 minutes of the film (certainly unusual for an animation feature) as even longer. Now, this can be taken as a weakness or as the occasion to experience - for better or for worse - the monumentality that is probably deeply at stake in Lei Lei’s motivation and sensitivity towards a both personal and historical issue.
Silver Bird and Rainbow Fish | Film | Lei Lei | USA-NL 2022 | 104’ | Visions du Réel Nyon 2022, Fantoche – International Animation Film Festival Baden 2022
Far Away Eyes
An airplane crosses the black sky: it is a moving image, but also a photo. Chun-Hong Wang’s film plays wonderfully with the tension between the two media. A highly accurate framing sinks the narrative elements into the contemplation of Taipei nights, whose highly aesthetic impressions fulfil the ellipses of the storytelling. In this way, the immobility of the photo prevails on the movement of the images. The story of a separation and division of the Taiwanese society during the recent elections opens a disorienting void where a melancholic mood can flood freely. At least in our experience the tension of the cinematic narration almost dissolves into a photographic emotive freezing.
However, the strong photographic impressions that constitute Far Away Eyes still deliver movements and action within the image. The entire urban landscape is thus contained in the panoramic feeling of nostalgia, like a story is contained in a book. Taipei’s reality becomes a literary reverie. She (the ex-girlfriend) will appear with him on the motorbike again, just for a moment, be it in his memory or in his imagination. His writing will be preferred to the opportunity for a last meeting with her. She leaves for good. Taipei remains, for him, as a wonderful and elegant ruin. As a wonderful and elegant ruin. Yes, Chun-Hong Wang’s hyper-aestheticism is fully almost heavily meaningful. As is his use of photography in dialectic tension with cinema.
Far Away Eyes | Film | Chun-Hong Wang | TWN-FR 2021 | 79’ | Visions du Réel Nyon 2022
Suot tschêl blau
Film-autel grisé de bleu
Sous le ciel bleu, du réalisateur romanche Ivo Zen auquel on doit une petite dizaine de documentaires et de fictions réalisés depuis 2000, est une promesse de bleu. Le bleu acier du ciel d’hiver de Haute-Engadine dans la région de Samedan donne le vertige. Tellement puissant, immensément immaculé à perte de vue, il inocule l’impérieux besoin pour certains de prolonger l’expérience de cet accomplissement en une dimension plus étourdissante encore. Années 1980 et 1990, la cocaïne, l’héroïne et d’autres drogues sont consommées jusqu’à des excès mortifères. La promesse du cinéaste tient en cette tentative de lier la beauté inquiétante (aux dires de certains) du ciel et les états léthargiques des stupéfiants, parmi une poignée de jeunes adultes au sein de cette commune grisonne d’environ 3’000 habitants.
L’autre proposition forte du film tient en sa mise en scène d’une espèce d’autel, une table de bois massif située sous les voûtes du musée de la localité, sur laquelle les parents et amis déposent des objets ayant appartenus aux disparus : une paire de bottes de cowboy, une guitare, une boule de billard… Objets de mémoire douloureuse plus de trente ans plus tard, ils invitent à des évocations, des échanges, des silences. Des villageois sont réunis à la Croce Bianca à l’invitation d’Ivo Zen et assistent à un concert de jazz dont la musique méditative accompagne le film. Le bistrot du village avait été fréquenté par cette jeunesse trébuchante et il est impressionnant de constater à quel point l’expression des chagrins passés est difficile et l’impuissance à prendre la mesure du mal-être éprouvé des victimes, avérée.
Ivo Zen avait raconté dans Zaunkönig – Tagebuch einer Freundschaft (2016) son deuil d’un ami proche mort d’une consommation abusive de drogue. Ici, il élargit le cercle à un groupe d’une vingtaine de personnes qui avait décidé de « changer quelque chose » et dont les ambitions échouèrent pathétiquement, jusqu’à que mort s’en suive. Ces événements sont inscrits avec pertinence dans la mouvance des mouvements contestataires qui prirent à Zurich une ampleur spectaculaire (AJZ, Platzspitz, Dynamo, Rote Fabrik, etc.), et dont Samedan paraît être une très modeste réplique.
À vouloir tracer ce récit avec des personnages parfois émouvants – particulièrement ce père qui mit tant de temps à accepter la mort de son fils – Ivo Zen cherche à voir clair au fond du bleu du ciel et autour de l’autel mémoriel. Il s’y engage avec délicatesse afin de ne point bousculer les sensibilités ni questionner les valeurs de cette communauté mise en émoi – plus qu’en question – par ces gens disparus au nirvana égotique de leurs vies terrestres.
Suot tschêl blau – Sous le ciel bleu | Film | Ivo Zen | CH 2020 | 70’ | Visions du Réel Nyon 2020, Solothurner Filmtage 2021
Wake Up on Mars
ONLINE STREAMING (Switzerland) by Filmexplorer's Choice on filmingo.ch and cinefile.ch
Le traumatisme. La trame du temps qui se déchire. Le trou noir qui abolit l’espérance et menace l’identité. Et parfois, comme c’est le cas pour les deux adolescentes que l’on découvre endormies dans le plan inaugural de Wake Up on Mars, les corps qui s’effondrent sous le poids de leur propre sidération. À l’image de centaines d’enfants de familles exilées en attente de régularisation, Ibadeta et Djeneta Demiri sont victimes du « syndrome de résignation », un coma profond qui survient à la suite d’un grand choc émotionnel. Roms du Kosovo et persécutés comme tels, les Demiri ont fui leur terre d’origine et trouvé un point de chute en Suède où les attendait une autre forme d’injustice, celle des politiques migratoires de plus en plus dures et restrictives. Par deux fois, elles ont vu leurs demandes d’asile rejetées, épisodes douloureux à la suite desquels Ibadeta a développé le syndrome catatonique. Deux ans auparavant, le mal avait déjà frappé Djeneta, après que cette dernière eut été témoin de l’agression de son petit frère Furkan, au Kosovo.
Sans rien occulter du quotidien de cette famille, partagé entre les difficiles démarches d’obtention d’un statut de résident et une attention de tous les instants portée aux jeunes filles clouées à leurs lits de sommeil, la caméra de Dea Gjinovci s’attarde sur le plus jeune de la fratrie, Furkan. À l’enfermement intérieur de ses sœurs, le garçon de dix ans oppose un désir d’aventure et de fuite imaginaire, symbolisé par un projet de construction de vaisseau spatial qu’il destine à l’emmener sur Mars. Une part importante du métrage est consacrée à cette quête, le garçon de dix ans se mettant à collecter des matériaux de récupération autour de chez lui, où forêts de contes et cimetières de voitures se côtoient. La cinéaste restitue ce paysage sensuel et mental avec une compréhension intuitive de la lumière et un grand sens de l’image. Très vite, nous comprenons que l’entreprise de Furkan n’a rien d’une lubie. Elle est une manière de conjurer l’angoisse de cette double attente (de la régularisation, du réveil de ses sœurs), de s’échapper du contexte suffoquant qu’elle impose à tous les membres de la famille, et aussi, comme il le laisse entendre au détour d’une phrase — « je pense que tout est de ma faute » — de mettre fin au cercle pernicieux de la culpabilité.
Articulé autour de ces deux pôles — l’un de recréation fictionnelle, l’autre de captation documentaire — Wake Up on Mars évite les pièges de la métaphore trop explicite ou du tract militant. L’écriture expose intelligemment le cadre de cette maladie peu connue, notamment par le biais de fragments radiophoniques qui reviennent sur sa perception par la société suédoise, entre circonspection de la science et méfiance de certains hommes politiques. Devant cette famille qui fait preuve d’une abnégation et d’une persévérance sans faille, le regard de Dea Gjinovci parvient à trouver la juste distance, celle de l’accompagnement. À cet égard, le basculement dans le fantastique, à la toute fin du film, témoigne du caractère fort et absolu de son geste de cinéaste, et réconforte quant à la capacité inouïe qu’a l’enfance de tracer un chemin de lumière dans la noirceur en apparence la plus totale.
Wake Up on Mars | Film | Dea Gjinovci | CH-FR 2020 | 75’ | Visions du Réel Nyon 2020, Solothurner Filmtage 2021, Human Rights Film Festival Zürich 2021
Tony Driver
Screenings in Swiss cinema theatres
Voilà un film que la grâce d’une seule image parvient à sauver : celle d’un homme qui s’en va traverser la frontière du Mexique aux États-Unis. La caméra d’Ascanio Petrini l’a suivi de près durant l’entièreté du récit, et pour la première fois, elle le laisse s’éloigner. La musique s’est arrêtée ; on n’entend plus que le vent souffler ; le personnage disparaît progressivement à l’horizon. Ainsi s’achève Tony Driver.
Ce plan fait saillie, car soudain se trouve problématisé l’entremêlement entre documentaire et fiction qui nourrit le film. Ascanio Petrini nous avait jusqu’à présent raconté l’histoire rocambolesque de Pasquale Donatone — citoyen italien expulsé du territoire américain après y avoir vécu quarante ans — dans sa tentative de regagner les États-Unis pour y retrouver ex-femme et enfants. Le cinéaste avait choisi de donner à son récit les allures d’un remake comique de Paris, Texas. Le geste qui inspire ce parti pris est le suivant : s’emparer du réel et lui donner des airs de fiction. L’idée est ingénieuse, mais non pas inventive. Tony Driver ne crée rien de nouveau ; il s’agit d’un documentaire qui rejoue tout simplement des codes esthétiques et narratifs issus d’un certain cinéma de fiction.
L’image qui clôt le film vient justement infléchir cette dynamique. Elle insuffle du doute dans ce qui jusqu’alors n’avait constitué qu’en une mise en scène certes habile, mais par trop maîtrisée du réel. Une question émerge : Pasquale Donatone s’en va-t-il pour de bon ? Franchira-t-il illégalement la frontière ? Nous nous arrêtons alors de jouir d’un réel fictionnalisé pour interroger le statut de ce plan, sans savoir s’il appartient encore à la mise en scène organisée par Ascanio Petrini ou s’il s’en détache. Tandis que les codes de la fiction avaient jusqu’alors été plaqués sur l’écriture d’un documentaire, les deux pôles sont soudainement mis en tension. C’est dans cet espace que s’invente le cinéma du réel, compris non comme la simple hybridation de la fiction et de son envers, mais comme un dialogue fertile entre les deux termes, où l’un questionne sans cesse l’autre pour mieux le réinventer. Ce n’est qu’au bout d’une heure et dix minutes que nous parvenons à ce moment d’invention, dont la durée se limite à quelques secondes. Oh, cinéma du réel, pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il aura fallu prendre.
Tony Driver | Film | Ascanio Petrini | IT-MEX 2020 | 73' | Visions du Réel 2020, Grand Angle
Abyssal
In the beginning of Abyssal, a camera follows a man ascending through an iron spiral staircase to the top of a lighthouse in a silent bay of West Cuba. In the highest part, while the source of brightness gyres and gyres, the anamorphic face of the man sets the tone of this trancelike portrayal of a community of scrap merchants working in a landscape where time seems to come to a stop.
Gloriously far from the socialist realism commandment of “typical people in typical situations”, the workers of Abyssal wander around abandoned places as phantoms trying to make gold out of the waste. The hypnotic quality of the film, its whisper-more-than-a-cry substance, weave an unusual science fiction story where Andrei Tarkovski and Werner Herzog shake hands, and human beings are treated as “beautiful forms” exposing illusions (to be Superman) or wondering about other worlds. In one of the most suggestive shots of the film a man is peeping at life through a hole in a shipwreck, as if this metaphysical abyss upon earth were a vast dungeon. No doubt the scene of an indoor pursuit through narrows corridors of what, at the end, turns out to be a carrier pigeon shows Alonso´s incredible gift for poetry.
Surrounded by a motionless sea, these men, who believe that ships have a soul, compare their visions and thoughts as if they were dead people lost in a reverie. Absorbed by their task of recycling wrecks, these dialectical Sisyphus soften the sense of confinement that permeates the picture with their childish innocence when discussing reality. Though practically every area seems to be part of a prison (in fact, some of the workers are ex-convicts), sometimes closed, sometimes open to the air, their dreams are the windows they need to breathe.
Avoiding the pornographic exploitation of misery or blind engagement style, Alejandro Alonso has given sense to a reality he knows well, translating it into a “nowhereness” made of garbage and fragments, rags of memories and fantasies. Every image, every sound, is conquered with wisdom and respect towards this group of dreamed dreamers living in the waste. He is probably the Cuban filmmaker that has found the most original metaphors to reveal aspects of daily life in his country. In his films there exists a dignified home for cinema, between a culture cheapened by the rise of tourism and the excess of political propaganda of both sides. The eroded territory populated by suffocating cabins, mute nature, tales of apparitions and disappearances depicted by Alejandro Alonso with restrained piety in Abyssal is the nightmare naïve travellers fears the most: no old cars, no sensuous pieces of flesh dancing, no happy poor.
Abyssal | Film | Alejandro Alonso | CUB-FR 2021 | 30’ | Visions du Réel Nyon 2021
Dry Winter
Dry Winter ploddingly moves us through the lives of three friends in a small town in South Australia. The lens hovers in order to witness the repetition of the everyday tasks of these young people, suspended between the red desert and sea. A highway passes through the town, emitting a sound score of trucks erupting at great speed, leaving the town’s inhabitants behind and impressing upon us an artery of promise at both ends.
Nothing happens beyond what happens as the film details the daily existence of Kelly (Courtney Kelly), Jake (Andrew Phillip) and Michael (Michael Harpas). Hanging washing, loading fridges, washing petrol bowsers, fencing, fishing and catching the fleece of freshly sheared sheep, their nights are spent gaming and eating takeout with a few beers. There is a meditative quality to the mundanity. Little to no dialogue represents communication without conversation. Having grown up in a small, regional coastal town, I can attest to this way of “being together”. The amity between Jake and Michael evokes a touching bromance: their world is simple, supported and safe. Nothing awful happens, people are decent and occupied. The crisis of deliberation for one of the characters to escape the very repetition our attention is drawn to in each successive frame is muffled by this cacophonous silence as dry and desolate as the surrounding land they stare into.
Dry Winter is the creation of a small team of emerging filmmakers who, with ethnographic sincerity, developed trusting relationships with locals and avoided the rookie mistake of romanticising and exaggerating place and landscape beyond inhabitation (Kyle Davis, director; Michael Harpas, producer; Bridget McDonald, writer).
Working with non-trained actors echoes the approach to realist cinema that we find with Andrea Arnold, Ellen Fiske, Ellinor Hallin and Chloe Zhao, where ordinary lives are made extraordinary. Australia offers plenty of opportunities for immersive, realist film making which is no longer visually reliant on rolling out the beauty of our land ad nauseum, nor hyperbolising the larrikinism of Aussie characters and stories stylised to distraction. Davis, Harpas and co. could lead the charge.
Dry Winter | Film | Kyle Davis | AUS 2021 | 62’ | Visions du Réel Nyon 2021