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Si c'était de l'amour
Screenings at Cinéma CityClub Pully
La première, très longue scène où les danseurs se laissent asperger d’eau pour accéder à la scène non seulement thématise le (rite de) passage de personne à personnage — ce qui s’avérera être l’un des thèmes principaux du film — mais annonce également que Si c’était de l’amour est un film d’expérience plus que d’information. Un film pour découvrir la méthodologie de travail de Gisèle Vienne et plonger dans la scène de son spectacle Crowd (2017-). L’immersion sur scène, pendant les répétitions, s’étend jusqu’à une véritable exploration des plis de la scène, c’est-à-dire dans un corps-à-corps de la caméra avec les corps de danseurs. Dans l’esthétique de Vienne il s’agit de mettre en relief la dimension et l’expérience haptiques, et Patric Chiha ne se contente pas de présenter cette dimension mais cherche à l’assumer, l’incarner, ou au moins l’interpréter. Tâche risquée que celle de doubler par le film le geste et le style de la chorégraphe, mais qui semble réussir, aussi grâce à des prises longues, contemplatives, où le mouvement de la caméra suit soigneusement celui des performeurs.
Puis cette première partie du film, qu’on pourrait qualifier de documentaire immersif, se développe en élargissant le regard de la scène à ses coulisses. Si on pouvait déjà faire l’expérience d’une continuité performative entre répétition et spectacle, cette continuité semble se prolonger dans la vie des danseurs. Ces derniers se confessent indirectement face à la caméra, en dialoguant entre eux, et décrivent, de la distinction à la fusion, les multiples distances possibles entre leur personne et leur personnage. Avec un penchant pour la fusion romantique de la vie et de l’art, le montage d’Anna Riche nous perd dans le labyrinthe de la vexata quaestio de la représentation (théâtrale) ; il cherche en même temps, par le biais des petits récits et des anecdotes, à construire une narration collective qui se superpose et souvent se confond avec celle du spectacle lui-même.
C’est ici que le film de Patric Chiha perd en intensité. Une fois le thème de l’ambiguïté entre personne et personnage posé et défini, le film devient une variation démonstrative, quelquefois scolastique, de ce même thème, en apportant plus de répétitions que de nuances. La complicité de la caméra et des corps se perd également dans une narrativité parlée par rapport à laquelle l’image devient redondante. Oui, construire un discours et non seulement présenter de l’art peut constituer un élément de richesse, mais cela demande un véritable développement du discours lui-même pour tenir le format du long-métrage. Si l’on vivait avec beaucoup plus de flexibilité sur les formats cinématographiques, Si c’était de l’amour aurait pu devenir un splendide moyen-métrage. Et perçu comme tel, il demeure un film d’expérience fort, intrigant, riche.
Si c’était de l’amour | Film | Patric Chiha | FR 2019 | 82’ | Cinéma CityClub Pully
Apnée
Les Chiens de Navarre, compagnie théâtrale de succès composée par Céline, Thomas et Maxence, débarquent au cinéma, en amenant leur humour indélicat et tendre, provocateur et humaniste. Outre l’humour, le trio amène un mélange particulier de plaisir de l’absurde et de sincère questionnement sur la vie, les relations amoureuses, parentales, sociales et politiques. À travers la naïveté et une innocence apparemment enfantine, Céline, Thomas et Maxence relancent un regard sérieusement libertaire dans une société française étouffée par des standards de vie et de comportement bureaucratisés. Au fond, ils renouvellent l’ancienne fonction critique du clown, laquelle se trouve maintenant, un peu bizarrement, à défendre les valeurs les plus simples et primaires du vivre ensemble.
Depuis le premier sketch, où le trio demande à un maire de célébrer un mariage à trois, nous sommes pris dans un jeu effervescent au rythme pressant, dans une sorte d’apnée où divertissement et réflexion se chevauchent. Même si le moteur de la comédie demeure principalement dans les dialogues des trois acteurs, qui sont souvent improvisés, Jean-Christophe Meurisse est capable d’apporter une dimension spécifiquement cinématographique à la narration, comme dans les scènes de l’autruche au supermarché, de la séance de patinage à poil, ou quand, dans un minuscule village Corse au bord de la mer, on a oublié dans un débarras Jésus-Christ lui-même. Pourtant, le film ne réussit pas à établir une continuité narrative convaincante et reste l’assemblage discontinu d’une série de sketches qui fonctionnent comme autant de feux d’artifice. L’humour cinglant, et une certaine poésie légère, d’ailleurs, sont peut-être destinés à se manifester seulement par éclairs. Autant de scènes, autant d’apnées, au pluriel, qui se révèlent être autant de bouffées d’air frais pour le spectateur amusé.
Apnée | Film | Jean-Christophe Meurisse | FR 2016 | 89’ | Les Chiens de Navarre: Céline Fuhrer, Thomas Scimeca, Maxence Tual