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Avec amour et acharnement
Screenings in Swiss cinema theatres
Des hautes sphères métaphysiques de High Life, Claire Denis descend dans les bas-fonds de l’énième triangle amoureux du cinéma, à qui il manque la grandeur du cinéma. Avec amour et acharnement est un petit film, car malgré la grande maîtrise de la réalisation et les solides performances des acteurs, l’histoire devient de plus en plus invraisemblable, tout en restant radicalement naturaliste – difficile alchimie ! En fait, Denis garde jusqu’au bout une attention aiguë pour les détails psychologiques (très réussis), tandis que la figure féminine, Sara, se voit confier le registre de l’irrationnel de façon assez caricaturale. Par son écriture, la réalisatrice insiste sur ce registre en bloquant l’amant, François, dans un rôle sans épaisseur, et nous oblige à en savoir toujours plus que ses personnages, pendant qu’ils se plient aux caprices d’une dramatisation très, trop voulue. Il faudra se contenter de la beauté des détails, les grimaces, les pauses, les contrechamps : magnifiques ! Des petits plaisirs pour cinéphiles.
Avec amour et acharnement | Film | Claire Denis | FR 2022 | 116’ | Silver Bear for Best Director at the Berlinale 2022
Les passagers de la nuit
Screenings in Swiss cinema theatres
Quand on hésite, dans un film, quand une forte émotion ne trouve pas nécessairement des mots dramatiques pour s’exprimer, c’est là que le cinéma exploite sa riche palette de possibilités. C’est le moment des couleurs, des pauses, des gestes, d’une musique inattendue, d’un raccord hardi qui racontent l’histoire à l’écran. Et l’histoire prend une forme sensiblement réelle sans céder aux dogmes naturalistes ou néo-réalistes. Voilà ce qui se passe dans Les passagers de la nuit, voilà pourquoi ce film est si sensuel, sans qu’il veuille plaire aux sens, qu’il est si envoûtant, sans qu’il veuille captiver le spectateur dans une expérience purement immersive.
Nous gardons notre distance en regardant ce film, grâce aussi à un rythme paisible, qui nous laisse le temps de réfléchir, qui nous laisse justement cette distance qui nous permet de goûter, sans les avaler, les saveurs d’une autre époque. La reconstruction des années 1980 faite par Michaël Hers se nourrit de quelques références anecdotiques, certes, mais elle travaille surtout à travers le choix du décor – y compris un XVème arrondissement parisien si rarement au grand écran –, et à travers des détails physiques – les cassettes, une chaise en cuir, une coupe de cheveux –, à créer une atmosphère, en rendant cet indéfinissable qui fait une époque.
Il faut l’avoir vécu, ce monde, pour en parler si précisément : voilà l’indéniable trace autobiographique qui marque Les passager de la nuit. Trace qui investit certainement la construction des personnages, typiques mais jamais prévisibles, nuancés-et-donc-réels, surtout dans leur évolution dramaturgique qui évite constamment le registre de l’extraordinaire ou du catastrophique. Sur ce fil presque documentaire, Élisabeth – une Charlotte Gainsbourg tout simplement parfaite – incarne la fusion d’indépendance et attention à l’Autre, et particulièrement de fragilité et résilience, combinaison insolite qui constitue une véritable signature d’originalité du film, encore une fois au nom du réel.
Oui, il ne faut pas de la violence pour rendre le réel – semble nous enseigner Michaël Hers – et j’ajouterai qu’il ne faut pas de transcendance pour rendre la grâce. Voilà un deuxième enseignement que nous pouvons tirer de cette histoire si inspirée de laïcisme, de tolérance, de bon sens. Et encore, pour ceux qui ont vécu les années 1980 : nous n’avons pas besoin de nostalgie pour faire revivre la mémoire. Nous avons juste besoin d’un bon film.
Les passagers de la nuit | Film | Michaël Hers | FR 2022 | 111’