Viet and Nam

[…] Une méditation poétique et poignante sur le désir et l’histoire d’amour de deux jeunes hommes, le passé traumatique du Vietnam et la migration.

Qu’il envoûte son spectateur par la beauté onirique de sa cinématographie ou qu’il le bouscule par son érotisme cru et parfois perturbant (qui voudrait manger la cire des oreilles de son amant ?), le dernier film de Trương Minh Quý, Việt and Nam, ne laissera personne insensible. La narration mêlant fiction et documentaire, où passé et présent tendent à se confondre, les visages des personnages sur lesquels la caméra s’attarde longuement, leur rapport au rêve, l’intonation de leur voix jusqu’au registre de leur langage, plus littéraire que familier d’après le réalisateur, tout concourt à faire du film une méditation poétique et poignante sur le désir et l’histoire d’amour de deux jeunes hommes, le passé traumatique du Vietnam et la migration.

Việt et Nam sont deux jeunes qui gagnent leur vie en travaillant dans une mine, à plusieurs centaines de mètres de profondeur. On les découvre au début du film émergeant dans l’obscurité noire d’une galerie souterraine qui nous offre l’une des plus belles images du film : une poussière d’étoiles qui n’est autre que la mine scintillant des reflets du charbon. Les deux jeunes hommes s’aiment et se préparent les deux à partir clandestinement, d’abord Nam, ensuite Việt, vers de meilleurs rivages, loin de la pauvreté et de la poussière du charbon. Un cousin de Nam a déjà fait le pas, aidant sa mère à dresser la maison la plus haute du village, qui contraste douloureusement avec la baraque miséreuse où sa mère vend du charbon. Mirage réussi et fuite en avant qui contrastent aussi avec une autre quête, plus fondamentale, de Nam, tournée, elle, vers le passé et scellant encore plus son destin aux entrailles de la terre. Car avant de partir, Nam doit retrouver la dépouille de son père, mort pendant la guerre et enterré quelque part non loin de la frontière avec le Cambodge. Disparu un quart de siècle auparavant, celui-ci hante sa mère qui cherche dans ses rêves et dans la mémoire d’un camarade de combat du père les traces d’un au-delà d’où son mari lui ferait signe. Dans l’une des scènes du début du film, la télé de la famille récite une longue liste de soldats disparus, « martyrs » que les familles cherchent à retrouver pour les enterrer dignement et faire leur deuil. Ce n’est pas seulement une femme, un fils qui cherchent un mari, un père, c’est un pays entier qui est pris dans les traumatismes du passé, écartelé, comme la famille de Nam, entre appel de l’étranger et odyssée tragique sur les traces des disparus.

On retiendra surtout trois images du film. La toute première, celle du noir étoilé inaugural, revient à la fin, lorsque nous quittons les deux personnages. Image vertigineuse qui donne le ton du film : nos existences ne sont que des scintillements éphémères émergeant et disparaissant aussitôt dans un espace infini. C’est peut-être pour cela que les deux jeunes hommes n’ont pas d’identité bien définie, le directeur les voulant proches de l’anonymat. Joués par des acteurs non professionnels, on ne sait d’ailleurs finalement pas très bien lequel des deux est Việt ou Nam. Des individus interchangeables comme dans les images où les deux mineurs creusent la terre en tandem ou se préparent dans les vestiaires de la mine à descendre sous terre.

« La chair est devenue une terre noire ». Le devenir-terre de tout être vivant est métaphoriquement rappelé par l’une des images du début du film, où Việt ou Nam se déplace difficilement aux tréfonds de la mine comme un vermisseau rampant. Il est ensuite énoncé par la femme médium qui est engagée par les familles endeuillées pour entrer en contact avec l’esprit des disparus et retrouver leurs corps. Son visage grimé, déformé par le cri de la transe, situé quelque part entre le cri de Munch et les visages de Kurosawa, aussi sonore que muet, vivant et momifié à la fois, fournit la deuxième image forte du film.  

Enfin, l’image la plus tragique et la plus poignante est peut-être celle, finale, d’un container flottant à la dérive dans la mer. On avait déjà vu les deux jeunes hommes se promener au bord de la mer et cueillir des coquillages rejetés par le plus vaste cimetière du monde. Les trois thématiques du film se nouent autour de cette image de la fragilité de l’existence : l’amour, la disparition qui met en échec le deuil, le sort tragique des clandestins ayant choisi l’exil. Saisissante de beauté, la fin du film montre Viet et Nam tête contre tête dans ce qui a l’air d’être l’obscurité étoilée de la galerie souterraine du début, mais qui est peut-être le noir asphyxiant du container. Les deux amants restent fixés dans l’éternité noire rappelant la voûte céleste comme deux jumeaux mythiques transformés en constellation.

 

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Việt and Nam | Film | Trương Minh Quý | VTN, PHP, SGP 2024 | 129’ | Black Movie Genève 2025

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First published: January 22, 2025