Todos somos marineros

Text: Jean Perret

Quelques 320'000 marins sont en cette fin 2020 isolés sur leurs navires marchands de par le monde, selon des données documentées dont fait état un article paru dans Le Temps du 20 novembre 2020. À la manière d’otages, abandonnés par leurs employeurs mais point des différentes autorités portuaires, ils ont pour des raisons économiques et sanitaires interdiction de quitter leurs bateaux.

C’est la situation qu’on retrouve dans ce premier long métrage du péruvien Miguel Angel Moulet – formé à l’EITCV de San Antonio de los Baños à Cuba – où les deux personnages principaux, des frères biélorusses, sont retenus sur un bateau en rade du port péruvien de Chimbote. L’ambiance déliquescente est faite d’attentes, d’ennui, de rencontres furtives guidées par des besoins de tendresse, de pulsions sexuelles et de rêves de retour à Minsk.

La construction du récit est énigmatique, débutant par sa presque fin. Des hommes sont en souffrance et on ne découvre que plus d’une heure plus tard les raisons de la violence qui les afflige. Les éléments qui concourent au développent de Todos somos marineros sont fragmentaires ; un événement, telle la tentative de vente au marché noir du radar du bateau, histoire de gagner quelque argent, alors que les salaires ne sont plus versés, est traitée de façon lacunaire. Le film travaille à donner consistance à une temporalité lourdement immobile. Le mise en scène force l’attention, elle établit ses cadres en écran large et essentiellement fixes, qui tout à la fois contiennent les personnages et les voient leur échapper. Corps bord-cadre, entrant, sortant, venant du flou de la profondeur de champ dans des plans majoritairement longs, qui confèrent une présence massive aux personnages. Le cadre reste parfois presque vide, en attente de la suite des événements. Le dispositif est intelligent, rappelant l’évidence du cinéma qui s’échine à combler ses fenêtres ouvertes sur le monde. Ces plans installés dans une certaine durée invitent à l’expression nuancée d’états psychologiques que les actrices et les acteurs rendent avec un certain talent de concentration, nonobstant leur caractère trop unidimensionnels. Sonia, la cuisinière d’un petit restaurant de rue est émouvante, alors qu’elle comprend que son amant marin risque de la quitter ; Vityok, le frère épileptique, est attachant dans ses activités erratiques …  

Cependant, la mise en scène paraît être prise au piège de ses choix insistants. La lenteur du déroulement des scènes, le jeu des acteurs, les cadrages relèvent du parti pris plutôt que de la logique narrative, la mise en scène cède à un formalisme qu’elle produit elle-même ; toute moderne que soit la démarche, sans aucun doute intéressante, elle génère une forme d’académisme dans le miroir duquel elle s’isole. Le film ne revendique-t-il pas implicitement par son titre une dimension universelle, alors que tous les marins du monde semblent ici rester encalminés dans sa dramaturgie ?


Info

Todos somos marineros | Film | Miguel Angel Moulet | PER-DOM 2018 | 105’ | Filmar en América Latina Genève 2020

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First published: December 03, 2020