The Room Next Door
[…] Alors que la mort devient matière à une story Instagram, elle prend paradoxalement sa revanche sur la mise en scène : auto-référentielle, figée, inerte.
Un petit échange d’opinions sur le dernier film de Pedro Almodóvar.
Text: Giuseppe Di Salvatore, Emilien Gür

Dans The Room Next Door de Pedro Almodóvar, récit des dernières semaines d’une femme en proie à un cancer qui choisit de mettre fin à ses jours en compagnie d’une amie de longue date, la mise en scène l’emporte sur la mort. Durant plus de la moitié du film, le personnage incarné par Tilda Swinton prépare avec minutie ses derniers instants, orchestrés dans une luxueuse villa de campagne aussi coupée du monde que l’est le cinéma d’Almodóvar. Dans cette célébration des classes aisées, le réalisateur promène son regard complaisant sur le goût et les préoccupations d’une poignée d’intellectuel·les new yorkais·es, occupé·es à mourir sur des divans immaculés et à exaucer leurs derniers souhaits (revoir The Dead de John Huston), totalement centré·es sur eux·elles-mêmes mais tout de même préoccupé·es par le réchauffement climatique et la montée des populismes d’extrême droite (quand même…). Il faut admettre qu’il est plus agréable de trépasser sur une chaise longue en terrasse que dans un logement social… Alors que la mort devient matière à une story Instagram, elle prend paradoxalement sa revanche sur la mise en scène : auto-référentielle, figée, inerte. La vie a depuis longtemps déserté ce cinéma-là.
Emilien Gür
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Est-ce que le luxe et une certaine coupure du monde n’ont pas toujours été une occasion d’expression précieuse pour le cinéma ? Voilà la question que je voudrais poser pour donner suite à la réflexion d’Emilien Gür, que j’aurais tendance initialement à partager entièrement. Pedro Almodóvar fait bien preuve d’une certaine stérilité, dans la dernière évolution de son cinéma, mais à mes yeux, elle concerne plutôt la dramaturgie, explicative voire didactique, souvent prévisible, plus lourde que pensive. Quant à la « célébration des classes aisées », le cinéma n’a pas à représenter nécessairement le réel en se penchant sur les classes défavorisées – disons-le, souvent avec une attitude paternaliste, celle de « donner la voix à… ». Pour ce qui est du réel de la mort, s’il y en a un, est-ce que les meilleures conditions que l’on pourrait imaginer – mourir relativement en bonne forme, mentalement lucide, sans beaucoup de souffrances, avec le confort du luxe, après une vie pleine de réussites et d’expériences riches, en étant accompagné.es d’une réflexion mûre sur l’euthanasie et par un témoignage d’amitié rare (quoique non idéalisé et non sans de légers craquements qui font toute la subtilité « humaine » de ce film) – ne serait pas justement la seule façon de s’approcher, de se frotter au mystère existentiel de la mort, sans excuses et distractions ?
Giuseppe Di Salvatore
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The Room Next Door – La habitación de al lado | Film | Pedro Almodóvar | ES 2024 | 110’ | CH-Distribution: Pathé Films
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First published: January 17, 2025