Tenéis que venir a verla

Une très longue séquence où l’on voit juste des visages qui écoutent un concert de jazz établit les règles du jeu (de réception) de ce petit bijou de film : il s’agit de laisser, voire abandonner le regard sur un sujet fixe, presque immobile – deux couples de trentenaires qui parlent de petites et grandes choses de la vie courante – pour laisser notre sensibilité s’ouvrir aux détails, aux nuances d’un tableau humain autant superficiel qu’existentiel. Dans la séquence initiale, sans qu’ils aient à parler, Jonás Trueba parvient à nous présenter quatre personnages différents – et quatre magnifiques acteurs ! – par les détails de leur gestuelle. Par la suite, ce sera à travers les mots que toute une palette d’émotions et de réflexions va fleurir dans cet hymne à la prosodie qu’est Tenéis que venir a verla. En dramaturgie, Trueba semble travailler par courbes de solidification et liquéfaction, car chaque personnage est construit dans son cliché pour laisser transparaître ensuite des fissures. Autant il devient fort et (pour nous) « acquis », autant il montre par la suite ses faiblesses et ouvre le champ à différentes interprétations. Et cela par une habile alternance : à chaque fois qu’il s’agit du moment pour l’un des quatre personnages de s’effondrer dans des interrogations ouvertes, c’est aux autres de le maintenir dans le jeu d’une amitié toujours fragile, mais aussi toujours reconfirmée. Par le biais de ce quartet et de son équilibre subtile, Trueba fait le portrait d’un âge où le besoin (ou le désir) de stabilité s’avère toujours remis en question par le besoin (ou le désir) d’une quête aux contours indéfinis, d’un ailleurs qui ressemble souvent à un terrain vague.

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Tenéis que venir a verla | Film | Jonás Trueba | ES 2022 | 65’ | Zurich Film Festival 2022

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First published: October 05, 2022