Sous la peau

[…] Le sens le plus profond de la transition est tout dans ce renversement de perspective, par rapport auquel c’est l’histoire qui raconte une personne, et non pas les personnes qui racontent des histoires.

[…] Oui, « Sous la peau » est un film important, car il capte avec sensibilité la normalité d’un phénomène dont il est désormais peut-être moins important de revendiquer le simple respect — par rapport auquel de grands pas en avant ont été réalisés — que d’en expérimenter la familiarité, et donc une véritable compréhension et acceptation.

Du marketing au grand cinéma, je crois qu’il est souvent inessentiel de raconter des histoires, bien que ce soit devenu le nouveau dogme de la communication par images et du divertissement — et du film documentaire également. Or, avec Sous la peau de Robin Harsch, nous sommes face à l’exemple opposé : il n’y a qu’à suivre le récit de vie de Logan, Söan et Effie Alexandra, car ce sont justement leurs histoires, faites d’un avant et d’un après décisifs, qui font l’essence du documentaire. La transition de ces personnes transgenres fait l’objet du regard attentif de Harsch, parce qu’il n’y a pas seulement des personnes qui se décident pour une transition, il y a aussi la transition qui décide de leur personne, de leur identité. Le sens le plus profond de la transition est tout dans ce renversement de perspective, par rapport auquel c’est l’histoire qui raconte une personne, et non pas les personnes qui racontent des histoires.

Voilà pourquoi le choix de Robin Harsch de se tenir, avec modestie, au récit de ce qu’il arrive à ses protagonistes a une justesse précieuse, qui doit être soulignée dans l’inflation d’histoires qui occupent nos écrans, et qui doit être défendue par rapport à toute intervention qui esthétiserait, mythifierait, romancerait. Quand on voit quelqu’un qui a difficulté à faire deux pas en dehors de la maison, puis arrive à s’épanouir entièrement dans la société (et face à la caméra), il y a déjà suffisamment de drame, un tournant de vie, une éclosion — une histoire. Et non pas une histoire de cinéma, mais une histoire de notre quotidien, bien que ce dernier ait (encore) tendance à cacher la réalité des personnes transgenres, ou bien à la bloquer dans les clichés de l’exceptionnel. Oui, Sous la peau est un film important, car il capte avec sensibilité la normalité d’un phénomène dont il est désormais peut-être moins important de revendiquer le simple respect — par rapport auquel de grands pas en avant ont été réalisés — que d’en expérimenter la familiarité, et donc une véritable compréhension et acceptation.

Sous la peau est un film important, en outre, car il montre (voire démontre) l’apport décisif qu’aux personnes transgenres peuvent donner des structures d’information, de soutien, de rencontre. C’est le cas de l’association Refuge Genève, dont la responsable, Alexia Scappaticci, témoigne des difficultés et surtout des bienfaits de son activité. La simple existence d’un lieu physique comme les locaux de l’association signifie beaucoup pour l’accompagnement des différentes transitions, car il remplit le vide entre le lieu privé habité par l’individu, souvent un coin caché à l’intérieur de l’espace privé d’une cohabitation difficile, et les espaces publics qui parfois obligent la personne transgenre à toute une série de stratégies de coming out perpétuel. Le Refuge Genève est alors un rempart d’espoir pour une nouvelle génération, à même de rendre plus simple un parcours nécessaire et en soi pas facile.

Robin Harsch intervient bel et bien dans ce documentaire qui cherche la bonne distance entre constat scientifique et empathie émotionnelle — deux pentes à éviter quand la matière de ce qu’on filme relève de l’inconnu. Dans la première scène, très belle, il est présent lui-même, par la voix, en demandant « naïvement » à ses enfants très petits s’ils préféreraient être fille ou garçon. Plus que les réponses des enfants, c’est justement la question, le fait de poser et se poser cette question — et surtout à un jeune âge — qui compte. Car elle présuppose la possibilité presque toujours reniée d’un parcours autre par rapport à celui qui semble être déterminé par les traits physiques du corps. Et par rapport aux réponses des enfants, plutôt que de souligner leur belle variété, j’aimerais mettre en avant leur hésitation. Que cette hésitation puisse devenir notre devise, celle de nous spectateurs, car hésitation signifie interrogation, interrogation curiosité, et curiosité acceptation de l’autre.

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Dans le même esprit engagé de ce film, nous allons volontiers signaler la parution prochaine, en automne, d’un livre dédié à « rendre le phénomène de la transidentité plus compréhensible pour le grand public » : Trans*. Édité par les soins de l’association ÉPICÈNE, le livre présente 50 portraits illustrés (photographies, entretiens) de personnes transgenres provenant de toute la Suisse.

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Sous la peau | Film | Robin Harsch | CH 2019 | 84’ | FIFDH Genève 2020, Solothurner Filmtage 2021

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First published: July 01, 2020