Sound of the Night

Text: Jean Perret

Une motocyclette brinquebalante flanquée d’une petite cuisine de fortune arpente de nuit les rues de Phnom Penh, celles fréquentées par de petites frappes et celles où des femmes habillées chic sortent de clubs distingués. Vibol et Kea sont frères et vivent de la vente de nouilles dans cette économie de survie qu’est le street food. Deux jeunes réalisateurs, passés par Bophana, le centre de formation fondé dans la capitale cambodgienne par Rithy Panh (crédité en tant que consultant à la production), décrivent sur un mode documentaire les activités de leurs protagonistes. Mais cela ne suffit pas à donner à ce court métrage une vision réaliste impressionnante. Ils instillent dès les premières scènes une inquiétude dont on découvre petit à petit l’ampleur. Certes, la nuit est anxiogène et il vaut mieux ne pas discuter avec un client qui refuse de payer ses nouilles au prix demandé. Et apporter une commande dans une ruelle obscure suppose de s’armer d’un coutelas. Mais que Phnom Penh est enchanteresse à l’écoute d’une chanson du hit-parade local qui déverse ses mélodies écœurantes alors que les frères parcourent l’animation des artères du centre de la ville !

Le récit gagne alors en intensité quand la sœur de Vibol et Kea traverse en robe rouge moulante la rue pour les rejoindre. Elle quitte à l’instant un temple de luxe rutilant de lumières dorées et échange quelques mots avec son frère aîné. Celui-ci la confronte à sa façon de gagner de l’argent facile. Ses larmes face au grand frère sont celles de la honte et de la culpabilité, la figure paternaliste et doublée par celle de la mère évoquée, gardienne des valeurs de respectabilité. Ce court dialogue a le mérite non pas de faire strictement valoir un point de vue moralisateur, mais de donner la mesure des conditions de vie et de survie au cœur de la violence d’une société cyniquement inégalitaire. Fin de la scène, la belle et fragile jeune femme enfourche avec sa copine un scooter pour aller honorer quelques rendez-vous tarifés. Avec sensibilité, sans céder à une dramatisation de la situation, les cinéastes sont parvenus à expliciter combien la pauvreté travaille au corps et à l’âme femmes et hommes, tout portés soient-ils par des qualités humaines émouvantes.

Au matin, quittant le bidonville où ils vivent, les frères traversent le fleuve pour rejoindre des quartiers hérissés de buildings. Si les travellings vus de nuit le long des rues sont trop courts, celui qui clôt le film est magnifique. Le ferry traverse en biais lentement le champ large et l’image embrasse le paysage urbain et, tout à la fois, désigne les épuisements et les espérances des deux frères et, partant, de leurs frères et sœurs du monde entier. Mais il faut aussi écouter cette image finale : une chansonnette sirupeuse l’inonde et sa poésie de pacotille a la vertu d’un commentaire politique, lucide et sans appel, d’une histoire sans fin.  

 

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Sound of the Night | Short | Chanrado Sok & Kongkea Vann | KHM 2021 | 20’ | Locarno Film Festival, Open Doors

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First published: August 28, 2021