Reas
[…] C’est à nous, dans le public, de ne pas seulement vibrer joyeusement avec les personnages, mais de les écouter vraiment, de nous renseigner et de questionner plus loin le système des prisons et leur transphobie.
Text: Morgane Frund
Joyeux. C’est le premier mot qui me vient en tête. Alors que les chansons et les chorégraphies colorées émergent des murs gris de la prison, j’ai le sentiment que les acteur·ice·s sont heureux·se·s de jouer dans ce film. Je sens l’importance pour elleux de représenter leurs proches et de se sentir représenté·e·s. C’est particulièrement visible dans la scène du concert, où la chanson consacre une phrase à chaque protagoniste du film. On voit leurs réactions au moment où l’on parle d’elleux, et on ressent très fort le pouvoir qu’il y a dans le fait d’exister dans une création collective.
Le film a été initié dans des ateliers de théâtre, d’abords directement en prison, puis avec des ancien·ne·s détenu·e·s. Il y a eu tout un processus en amont du film, qui se prolongera d’ailleurs après, puisque Lola Arias a annoncé qu’elle allait continuer à travailler avec les protagonistes. Cette énergie de co-création infuse toutes les images, et se renforce par des petites révélations sur le dispositif. Au fil du film, certains dialogues commentent le tournage en cours, sans pour autant que cela entre en conflit avec la fiction. C’est peut-être parce que tout est « vrai ». Même quand les protagonistes rejouent des scènes, iels le font très sincèrement, avec tout leur cœur.
Alors que je regarde REAS, mon cœur à moi vibre joyeusement avec cette énergie. Mais une série de questions émerge cependant dans ma tête. Est-ce que je ne serais pas en train d’oublier quelque chose ? Est-ce que je ferme les yeux devant la violence pourtant dénoncée çà et là dans le film ? Est-ce que je me conforte dans les émotions positives pour ne pas faire face au reste ?
Oui, mais ce n’est pas la responsabilité du film. C’est à nous, dans le public, de ne pas seulement vibrer joyeusement avec les personnages, mais de les écouter vraiment, de nous renseigner et de questionner plus loin le système des prisons et leur transphobie. Les protagonistes ne nous doivent pas ce travail d’éducation. C’est quelque chose que nous pouvons et devons faire au-delà du film, à l’image de ce dernier plan où la caméra sort de la prison par le haut, replaçant le décor du film dans la cartographie de la ville. Le rêve et la fiction joyeuse deviennent un moyen d’appréhender la réalité systémique.
This article contains a third-party video. If you would like to watch the video, please adjust your settings.
Info
Reas | Film | Lola Arias | ARG-CH-DE 2024 | ’83 | Berlinale 2024, Visions du Réel Nyon 2024 | CH-Distribution: Vinca Film
First published: April 30, 2024