Pyrale

Text: Jean Perret

Le récit déploie deux histoires, celle d’un désastre et celle d’un bonheur. Et une troisième. Sur le versant du désastre, c’est la « neige de papillons », soit des milliers de milliers de papillons qui ont envahi une première fois à l’été 2016 la région de la Drôme et l’Ardèche, en France. Le film de Roxanne Gaucherand compose avec rigueur un puzzle des informations à propos de cette « pyrale du buis » venue d’Asie, qui pratique des attaques dévastatrices et étrangement ciblées. Des centaines de milliers d’hectares de buis et avec eux autant de paysages sont dévastés, des équilibres écologiques perturbés, les harmonies villageoises bousculées. Les médias locaux sont en émoi, des scientifiques aux abois, les habitants en proie à l’émotion. Et les apiculteurs ont de bonnes raisons de sérieusement s’inquiéter. Et de ces mauvais temps, les édiles politiques n’ont cure. La réalisatrice ne manque pas de réaliser avec inspiration et maîtrise des images spectaculaires, auxquelles la nuit confère un halo d’étrangeté mystérieuse et inquiétante.

C’est dans cette atmosphère que Lou est le guide du film. Sa voix off déroule et tout à la fois tisse les fils des événements. Avec cette jeune femme de la région au seuil de l’âge adulte, l’histoire évolue sur le versant du bonheur. Si des papillons virevoltent comme des flocons autour de lampadaires, Lou a l’impression qu’autant de flocons dansent dans son ventre. Son attirance pour son amie d’enfance Sam prend doucement son envol, qui d’attentes en gestes pudiques mène aux premiers baisers. Lou et Sam sont ainsi les personnages centraux de ce film parfaitement documenté dans son ambition issue de la tradition du documentaire et impeccablement inspiré de l’héritage de la fiction. 

C’est là la troisième histoire, accomplie, que conte Pyrale, cette rencontre heureuse, d’un mot, du documentaire et de la fiction – celle-ci émancipée des coups de force des scénarios adossés aux blouses blanches des script doctors. Le film fait montre d’une identité convaincante : celle de ces ignobles fantassins dévastateurs et celle de Lou et Sam dont les désirs amoureux les emportent corps et âme. Le récit de ce double avènement est fluide, souple, sans accrocs d’artificialité, sa mise en scène est faite d’une tendresse qu’aucune précipitation ne perturbe.

Enfin, Roxanne Gaucherand n’hésite pas à faire un peu de cinoche – tendance néo-kitch assumée, grand bien lui fasse, quand au cours de la nuit de fête, les feux d’artifice sur un air de bel canto (tout de même, Giacomo Puccini et son « O mio bobbino caro » de Gianni Schicchi !) sont pris à témoin des sentiments d’amour en effusion des deux héroïnes. Et à la fin, c’est d’un incendie la nuit, admirablement filmé, que les deux jeunes femmes émergent pour s’enlacer. Leurs silhouettes forment dans les rougeurs qui trouent l’obscurité un émouvant corps de désir.

 

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Pyrale | Film | Roxanne Gaucherand | FR 2020 | 49’ | Visions du Réel 2020, Burning Lights

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First published: May 05, 2020