Pepe | Nelson Carlo de los Santos Arias
[…] Vrai-faux biopic d’un animal, sans doute le premier du genre, le film cherche sa voie entre plusieurs pistes, du manifeste anticolonial au pur délire visuel…
Text: Emilien Gür | Audio/Video: Nicolas Bézard, Giuseppe Di Salvatore
Podcast
Pepe | Nelson Carlo de los Santos Arias
Live-Podcast at Bildrausch Filmfest Basel 2024 about the movie «Pepe» with the director Nelson Carlo de los Santos Arias, Nicolas Bézard and Giuseppe Di Salvatore | Sound: Olivier Legras | in English (with introduction in French)
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De temps à autre, le cinéma donne la parole aux morts. Sunset Boulevard (1950) mis au goût du jour, Pepe fait parler un hippopotame défunt avec pour cadre, en lieu et place des collines d'Hollywood, la pompeuse hacienda Nápoles, propriété du baron de la drogue Pablo Escobar. À la différence du film de Billy Wilder, le mammifère tient le rôle à la fois du narrateur et de la star déchue. Né en Colombie de parents que le narcotrafiquant avait fait venir d’Afrique par des voies illégales, l’hippopotame surnommé par la presse nationale «Pepe» poursuit librement sa vie dans les eaux du rio Magdalena avec ses congénères à la suite de la mort du «roi de la cocaïne». Après avoir terrorisé des pêcheurs, l’animal est abattu par l’armée colombienne en 2009. Contrairement à William Holden, son cadavre ne flotte pas à la surface d’une piscine, mais repose sur la terre ferme – hors de l’eau, les hippopotames sont plus vulnérables, révèle un chef militaire durant le film. Pas terre-à-terre pour un sou, l’hommage cinématographique que lui consacre le réalisateur dominicain Nelson Carlos De Los Santos Arias épouse la fluidité des eaux qui virent l’animal grandir. Imprévu, son cours commence en Afrique du Sud et en Namibie, berceau des géniteurs de «Pepe», et s’achève là où se termine brusquement la vie de l’animal, après avoir fait défiler quelques fragments de l’existence de ce dernier, de ses ancêtres et de ceux que la voix de l’hippopotame désigne comme «eux», à savoir les humains, dont les actions déterminèrent le lieu de sa naissance et les conditions de son trépas.
Biopic animalier
À destinée improbable, film inclassable. Curieux objet que Pepe, qui multiple les propositions esthétiques et formelles – de son hippopotamesque voix over alignant, tantôt en afrikaans, tantôt en espagnol, faits biographiques et considérations théoriques à son enchevêtrement d’images de factures et d’origines diverses – pour rester jusqu’au bout non identifiable, au prix d’un esthétisme un brin tapageur et d’un formalisme appuyé, Charybde et Scilla d’un cinéma dont la radicalité n’est pas moins conforme aux tendances arty du moment. Vrai-faux biopic d’un animal, sans doute le premier du genre, le film cherche sa voie entre plusieurs pistes, du manifeste anticolonial au pur délire visuel, ménageant au cours de sa durée de plus de deux heures quelques fulgurances – à l’exemple de cette scène à la violence implacable où un guide de safari somme un indigène de partager à un groupe de touristes quelques récits locaux sur les hippopotames, parmi lesquels il fait ensuite le tri entre ce qui relève de la légende et du savoir –, mais aussi son lot d’égarements, noyant pour finir sa narration dans la peinture d’une communauté de pêcheurs colombiens.
L’hippopotame dans la pièce
Accueilli avec enthousiasme lors de sa présentation à la Berlinale, le long métrage de Nelson Carlos De Los Santos Arias appartient à cette classe de films qu’on a envie d’aimer et défendre coûte que coûte – pour la beauté du geste et l’audace de faire des films qui en sont plusieurs à la fois – en dépit du flou qu’il entretient, non sans complaisance, sur ses intentions. Point de départ prometteur, le personnage de «Pepe» ne mène à aucune destination précise, lui-même perdu en cours de route par une narration qui préfère s’attarder sur les disputes d’un couple de pêcheurs plutôt que sur le quotidien de l’hippopotame, au risque de faire de celui-ci le prétexte d’une fable géopolitique sur un pays, la Colombie, où aux rêves de changement et de réalisation personnelle exprimés par les candidates d’un concours de beauté répondent les tirs des militaires, mais aussi de l’état du monde des quarante dernières années, qui vit la marche de la mondialisation faire vaciller bien des repères et des têtes. L’éléphant dans la pièce, c’est qu’au terme du voyage, c’est-à-dire du film, il n’y a plus d’hippopotame.
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Info
Pepe | Film | Nelson Carlos De Los Santos Arias | DOM-NAB-FR-DE 2024 | 122’ | Berlinale 2024, Bildrausch Filmfest Basel 2024
First published: May 31, 2024