Naturales Historiae

Le dernier film de Pauline Julier est un film de parole, illuminé entre autres par le discours de Bruno Latour sur l’anthropocène, ce qui donne une profondeur spéciale aux différents témoignages, par ailleurs considérables comme éléments d’information. Et malgré l’image apparemment démodée d’un professeur pontifiant sur son sofa au milieu d’un musée, il est rafraîchissant de donner une tridimensionnalité conceptuelle aux discours souvent alarmistes ou apocalyptiques concernant l’anthropocène. Plus précisément, il s’agit ici de reconsidérer le concept de nature dans une perspective historique et de reconnaître les limites « modernes » d’une nature posée en opposition à l’activité de l’homme. La récente capacité de l’homme de modifier la nature à un niveau global et structurel permet donc de fermer l’histoire moderne du concept de nature et de nous pousser à repenser l’entrelacs indissoluble de la nature et de l’activité humaine. Faire une histoire de la nature, aujourd’hui, signifiera ainsi acquérir la conscience de la dissolution d’une notion de nature comme royaume indépendant par rapport à l’homme.

À partir de ce noyau conceptuel, il est intéressant de réviser le regard de la géologie, de la géographie, de l’histoire. À ce propos, Pauline Julier choisit avec intelligence de donner une importance spéciale à la vulcanologie, non seulement pour son décisif apport à l’histoire (traditionnelle) de la terre, mais aussi parce que le volcan a toujours constitué l’expression de l’accident, du désastre, donc des limites auxquelles l’anthropocène elle-même devrait faire face. Pour cette raison, il est fort sensé de faire commencer l’histoire de la notion moderne de nature comme opposée à l’homme par le récit de Pline l’Ancien de l’éruption du Vésuve en l’an 79.

Ce dernier choix est également l’expression d’une attention particulière que Julier accorde à l’image filmique — élément décisif de Naturales Historiae, qui autrement aurait pu se noyer dans un discours savant, les images ne jouant alors qu’un rôle accessoire et/ou descriptif. Au contraire, Julier alterne dans ce film de belles images à fort impact et une absence de l’image elle-même, symptôme d’un statut justement problématique d’une nature qui, si elle n’est plus simplement opposée à l’activité de l’homme, semble échapper à la saisie frontale du regard, en cédant plus facilement la place aux mots. Si la nature n’est plus ce que l’on a « en face », quelle sera sa possible mise en image ? Ce défi dépasse certainement les limites du film de Pauline Julier, qui en a quoi qu’il en soit bien senti la force et l’urgence. Car le film arrive en effet après une exposition et un livre sur le même sujet, ce qui suggère un projet qu’on pourrait qualifier de transmédial. Le destin des histoires (au pluriel) de la nature — naturales historiae — dépasse justement le cadre du format « image en mouvement ».

 

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Naturales Historiae | Film | Pauline Julier | CH 2019 | 56’ | Visions du Réel Nyon 2019, Solothurner Filmtage 2020

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First published: April 17, 2019