Medea

[…] « Je ne voulais pas parler du contexte de mon pays, mais avoir juste la perspective de ce personnage là, à partir du corps », souligne la réalisatrice.

[…] Le quotidien de Maria est rythmé par des expériences physiques réparties dans des blocs d’espace-temps à l’intérieur desquels le personnage porte un rôle d’observatrice.

Pas dans son propre corps

Projeté dans le cadre du Festival Filmar à Genève, Medea d’Alexandra Latishev est un film radical qui se concentre sur un seul personnage. Maria José, jeune femme de vingt-cinq ans, fait un déni de grossesse ; entre ses cours à l’université au Costa Rica, ses parties de rugby entre filles et ses amours, sa grossesse apparaît comme un événement qui lui est extérieur.

Le film évolue par petites touches : le premier plan dévoile le ventre de la jeune femme, couchée sur un lit, le visage encore caché par les courbes de son corps. Puis elle apparaît debout dans sa chambre avec une serviette sur la tête ; son ventre est relâché, prédomine dans le plan et confirme un état proche de l’accouchement. Dès lors la caméra, caressant celle qu’on ne quittera désormais plus, accorde au spectateur un rapport sensoriel avec Maria. « Je ne voulais pas parler du contexte de mon pays, mais avoir juste la perspective de ce personnage là, à partir du corps », souligne dans ce sens la réalisatrice, avant d’ajouter que si le tabou de l’avortement est certes préoccupant au Costa Rica, elle a choisi de ne dénoncer frontalement aucune ligne politique du pays ; d’ailleurs l’origine géographique du film n’est même jamais explicitement dévoilée.

Séparation du corps et de l’esprit

Alors qu’au début ce ventre est largement exposé, il est par la suite vite refoulé. Le cadrage ne lui octroie que rarement la place des premiers plans, s’accordant alors parfaitement au personnage qui ne vit jamais au rythme de l’être qui grandit en elle. La ceinture gainante enfilée dans les vestiaires après les parties de rugby et les vêtements larges portés au quotidien sont alors les seuls indices qui rattachent encore Maria à sa grossesse ; le corps et la psychologie du personnage deviennent parfaitement indépendants, détachés de toute relation de cause à effet. Rien chez elle ne paraît perturber sa routine, jusqu’au dernier moment qui la délivrera douloureusement et par un long plan séquence — d’une frontalité extrêmement brutale — de l’être qu’elle n’osait considérer.  

Le quotidien de Maria est rythmé par des expériences physiques réparties dans des blocs d’espace-temps à l’intérieur desquels le personnage porte un rôle d’observatrice. Il y a le corps en mouvement, en recherche de sensations : Maria se retrouve dans des boîtes de nuit aux rythmes effrénés, son regard est perdu dans la foule, puis elle s’agrippe au bar pour consommer de l’alcool jusqu’à n’en plus pouvoir. Les fêtes s’enchaînent et se terminent dans tous les excès de la jeunesse ; le temps est suspendu et seuls comptent les mouvements d’une liberté éphémère. Lors des parties de rugby, Maria se heurte aux autres joueuses et s’écrase violemment au sol. Qui est-elle en train de tuer ? Alors qu’elle rencontre son nouvel amour, les deux s’embrassent et se serrent comme si rien d’autre n’existait : le déni est partout, dans toutes les strates de la vie du personnage. C’est pour elle le seul moyen de survivre à une grossesse qu’elle ne désire pas.

Cette dernière est bien présente, physiquement, malgré les subterfuges déployés par le personnage et le déni étendu à tout son entourage : « J’ai pensé à un personnage qui n’était pas dans son propre corps, Maria est dans un rejet total de son propre corps » déclare encore la réalisatrice. De là découle une profonde désincarnation du personnage ; par un enchaînement d’actions, Maria en vient à oublier que son corps pourrait donner la vie, détruisant malgré elle cette possibilité.

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Medea | Film | Alexandra Latishev | CRC-CHL-ARG 2017 | 70’ | Filmar en América Latina Festival Genève 2017

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First published: December 05, 2017