Maya Kosa & Sergio da Costa | L'Île aux oiseaux

[…] La présence des animaux et de leurs exigences, renforcée par la réduction au minimum des dialogues, prend corps pendant le film, et résonne avec les exigences et le soin des humains à tel point que nous ne pouvons que faire l’expérience d’une effective horizontalité entre animaux et humains.

Filmexplorer a pu rencontrer Maya Kosa et Sergio da Costa à Locarno, pour discuter avec eux les enjeux thématiques et formels de leur dernier film.

Text: Giuseppe Di Salvatore | Audio/Video: Ruth Baettig

Podcast

Interview with Maya Kosa and Sergio da Costa

Interview: Giuseppe Di Salvatore | Concept & Editing: Ruth Baettig

Sound excerpts from the film

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Une île à côté de l’aéroport. Et ne s’agit-il pas, alors, d’une île à côté d’une autre île ? Car l’aéroport est conçu comme une île. Ce qui compte autour d’un aéroport n’est pas la terre, ce sont les cieux que les avions ont traversés ou traverseront. Pour les avions, un aéroport pourrait être entouré d’eau, comme une île. Mais l’aéroport-île n’a pas de consistance au présent, il est un lieu de passage, une escale, un pont, une promesse de l’ailleurs ; tandis que l’île aux oiseaux que Maya Kosa et Sergio da Costa filment est un lieu du présent, où les oiseaux peuvent se poser, faire une halte, demeurer — et l’aéroport restera presque toujours hors cadre, présent uniquement par le vrombissement des avions. L’île aux oiseaux est un lieu de soin, de récupération, d’arrêt dans la course de leur vie. Il y a donc la justesse du genius loci dans le fait que L’île aux oiseaux soit plongé dans une atmosphère de suspension — et de suspense, lequel ne sera jamais complètement levé.

Cette atmosphère est incarnée par l’apprenti Antonin, personnage qui amplifie la sensation du présent par le fait de sembler constamment perdu dans le présent, souvent absent, ou bien endormi. Son apprentissage se configure comme une sorte d’ergothérapie après maladie, où soigner et se soigner se mélangent parfaitement. Par ses gestes hésitants, il s’exerce à redonner de la structure à son présent. Dans ce défi de travail, les échecs rivalisent avec les succès, voire semblent l’emporter. Mais ce sont les relations sociales qu’il peut tisser avec le personnel de l’« île » qui donneront du sens à ses journées, de la consistance à son présent.

Toujours sur le fil entre documentaire fictionnalisé et fiction documentée, L’île aux oiseaux n’est pourtant pas (seulement) un conte humaniste sur la solidarité. On ne pourrait autrement pas expliquer les très longues scènes dédiées aux animaux, à leurs maladies, déformations, convalescences. En outre, le premier travail d’Antonin nous met face à la réalité la plus crue de l’écosystème animal : le jeune apprenti doit apprendre à élever et tuer en masse des rats, nourriture des oiseaux à soigner. La présence des animaux et de leurs exigences, renforcée par la réduction au minimum des dialogues — et, certes, rendue moins radicale par la présence de la voix off d’Antonin —, prend corps pendant le film, et résonne avec les exigences et le soin des humains à tel point que nous ne pouvons que faire l’expérience d’une effective horizontalité entre animaux et humains. Le rythme lent et méditatif du film contribue à cette sensation de continuité entre homme et animal, véritable trait de caractère du film.

Cette continuité entre homme et animal fournit au film une tonalité métaphysique, qui s’exprime également par le choix de couleurs tièdes et claires, dans laquelle prime l’idée d’une communauté souffrante et gentille à la fois. L’île aux oiseaux devient une véritable oasis en retraite d’un monde extérieur menaçant et inhospitalier. Mais le duo Kosa-da Costa ne fait pas pour autant de cette œuvre un j’accuse écologiste, bien qu’il en effleure le thème. S’il y a des fuites en avant par rapport à l’horizontalité qui demeure au cœur du film, c’est par des élans que j’appellerais spirituels, lesquels prennent forme explicite au moins dans trois incursions musicales, plus précisément chorales. Elles sont placées au début, au milieu et à la fin de L’île aux oiseaux (Georg Philipp Telemann, Dietrich Buxtehude, Sergueï Rachmaninov) comme pour donner à son atmosphère de suspension une structure ultime ; une structure qui est capable de sublimer les silences qui soudent hommes et animaux dans le lyrisme de la voix.

Info

L’île aux oiseaux | Film | Maya Kosa, Sergio da Costa | CH 2019 | 60’ | Locarno Film Festival 2019, Solothurner Filmtage 2020

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First published: August 22, 2019