Love Lies Bleeding

[…] La cinéaste réussit à instiller la sensualité et la violence dans toutes les facettes de son film, et la puissance de ces sentiments repose largement sur les épaules des actrices principales qui incarnent différentes sensibilités de l'identité queer.

[…] Le film frôle presque le caricatural ou le fantastique, avec la malléabilité de son registre allant du gore extrême jusqu'à l'humour frivole.

Dans Love Lies Bleeding, il y a ces moments surprenants où notre héroïne culturiste, Jackie, sous l'emprise des stéroïdes auxquels elle est rapidement devenue accro, déborde d'énergie ; avec des pulsations qui semblent presque saillir de ses veines, ses muscles qui gonflent et s'agrandissent, tout son corps crie : « Attention, ça va exploser ! » Pas loin du registre d'une She-Hulk tout droit sortie des comics Marvel, la figure de Jackie condense tous les mérites de Love Lies Bleeding. Impulsif, imprévisible et plein de rage et de passion, le film, comme son héroïne, ne prend jamais de routes sûres et fonce dans la frénésie, au détriment des adeptes de cohérence narrative.

Rose Glass, qui a fait ses premières preuves dans le cinéma de genre avec Saint-Maud (2019), change de vitesse et se tourne vers le néo-noir aux allures des années quatre-vingt avec Love Lies Bleeding. Glass et sa co-scénariste Weronika Tofilska placent leur récit dans l'archétype même des thrillers américains : une petite ville sinistre et désertique, imprégnée de crimes et de meurtres sous un soleil de plomb. Kristen Stewart incarne Lou, une gérante de salle de sport qui passe ses journées monotones à déboucher les toilettes et à effectuer des tâches banales jusqu'à ce que Jackie débarque dans le salon, baignée de confiance et de charisme. Nul besoin de mots de courtoisie préambulaire : au moment où les regards de Lou et de Jackie se croisent, leur passion électrifiante est déjà en route au grand galop – ce qui est certainement l'un des enjeux de la narration de Glass. Autant dans le sexe que dans le récit, Love Lies Bleeding passe vite les préliminaires. Le récit avance, le temps file, et Lou et Jackie finissent par être à court de temps face aux gangsters vétérans et aux meurtres impulsifs.

La cinéaste réussit à instiller la sensualité et la violence dans toutes les facettes de son film, et la puissance de ces sentiments repose largement sur les épaules des actrices principales qui incarnent différentes sensibilités de l'identité queer. Sous la peau de Jackie, Katy O'Brian se démarque par sa présence singulière, jouant avec les stéréotypes de la sexualité queer que l'on retrouve notamment dans les classiques du cinéma de genre. Son visage doux, souriant, et son regard parfois presque infantile créent un contraste avec son corps athlétique et intimidant. Le personnage de Jackie, femme d'action par excellence, souvent imprudente et inconsidérée, est complété par Lou qui, bien que tout aussi combustible, se montre plus cérébrale et timide. Kristen Stewart a depuis longtemps prouvé l'étendue de ses capacités performatives, mais avec Lou, son jeu atteint un niveau supérieur de maturité et de finesse, s'inscrivant dans la continuité de sa performance en tant que Timlin dans Crimes of the Future (2022). Appuyé par ses tics et ses expressions faciales caractéristiques, le personnage de Lou se présente comme le malaise incarné. Toujours dans un état d'alerte et aux augets, Lou ressemble à un petit rongeur malin qui sait bien comment sauver sa peau.

Bientôt participante à un concours de bodybuilding, apprend-on, Jackie veut gagner un peu d'argent. Avant de rencontrer Lou, elle croise un homme qui lui conseille d'essayer le club de tir de la ville, ignorant que cet homme est en réalité le beau-frère de Lou et que le club est géré par son père. Avec des traits de visage dignes des films des frères Coen, Lou Sr. et JJ, les deux figures masculines du film, chacun épouvantable à leur manière, brillent dans leur méchanceté. Très curieusement, il y a quelque chose d'excessif et de fluctuant dans les caractérisations de Love Lies Bleeding. Pas seulement dans la méchanceté pure de ces deux hommes, mais aussi avec Jackie, sur qui les injections de stéroïdes agissent comme une potion magique. Le film frôle presque le caricatural ou le fantastique, avec la malléabilité de son registre allant du gore extrême jusqu'à l'humour frivole.

Les liens émotionnels entre les personnages n'en sont pas exempts non plus. La relation entre Lou et sa sœur Beth, qui veut continuer à rester avec son mari qui la bat ; celle de Lou et Daisy, une jeune femme éprise de Lou dont l'amour est sans contrepartie ; celle de Lou et Jackie, un couple à fleur de peau, susceptible de se dissoudre soit par la jalousie, soit par la colère – toute interaction que Love Lies Bleeding met en scène est d'une intensité et d'une instabilité si puissantes, comme une bombe prête à exploser. Inutile de dire que ça explose, laissant derrière des coulées de sang, de pleurs et de sueur.

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Screenings in Swiss cinema theatres 

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Love Lies Bleeding | Film | Rose Glass | UK 2024 | 104’ | Berlinale 2024 | CH-Distribution : Ascot Elite

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First published: May 22, 2024