L'image qu'on s'en fait

[…] Dans un mot, la recherche de Seb Coupy croise sémiologie et sociologie. À une réflexion esthétique sur le signe et sa force de représentation se superpose, très puissante, l’enquête sur le processus de « fabrication » des images.

[…] Il s’agit d’une narration collective qui prône la fragmentation, aussi grâce à une alliance efficace avec une piste musicale fascinante, au style souvent brisé, ouvert, laquelle sert de pôle de contraste par rapport au réalisme documentaire de l’enquête sociale.

Text: Giuseppe Di Salvatore | Audio/Video: Jorge Cadena

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Text: Giuseppe Di Salvatore | Reading: Luna Schmid | Editing: Jorge Cadena

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L’IMAGE qu’on s’en fait

On dit « image », mais il s’agit à proprement parler de « représentation », représentation par l’image. L’enquête que Seb Coupy mène sur, mais aussi à partir des, grands « panneaux routiers de signalisation d’intérêt culturel et touristique » ou « d’animation culturelle et touristique » — pour employer les expressions officielles en France — transforme un objet de curiosité, et souvent curieux lui-même, en lieu de réflexion sur l’autoreprésentation de la France et de ses régions. Nés dans les années 70 comme outils de détournement pour combattre la somnolence au volant, ils ont été vite appropriés par les besoins d’autopromotion des différentes régions, devenant ainsi de véritables lieux d’autoreprésentation. Le vide apparent de la campagne française ou des infrastructures routières a donc constitué l’occasion d’une confrontation collective avec l’image qu’on a et/ou celle qu’on veut donner, entre histoire et opportunités économiques. Épinal n’est pas parmi les panneaux répertoriés, mais ce qu’on appelle « image d’Épinal » se révélera être le puissant aimant qui, par son magnétisme, attire les représentations identitaires choisies par les différentes communautés. Or, si les images des panneaux ne réserveront pas de grandes surprises, sauf pour nous l’étonnant renouvellement du banal, quelle est donc l’image, ou la représentation, que Coupy choisit lui-même pour son film (qui relève bien de la représentation de la représentation) ?

L’image qu’on S’en FAIT

Dans un mot, la recherche de Seb Coupy croise sémiologie et sociologie. À une réflexion esthétique sur le signe et sa force de représentation se superpose, très puissante, l’enquête sur le processus de « fabrication » des images. Nous abandonnons vite les soucis formels du dessinateur-inventeur des panneaux, le suisse Jean Widmer, pour plonger dans les discussions politiquement orientées qui régissent les choix les concernant. Nous assistons ainsi à la formation ou transformation des identités, pour lesquelles le poids invisible et écrasant du patrimoine finit par dominer. L’image qu’on s’en fait montre alors comment les images semblent émerger presque toutes seules, par inertie, selon un genius loci qui exprime plus une logique des attractions que l’« esprit du lieu », correcte traduction de l’expression latine.

L’image qu’ON s’en fait

Cette inertie de l’attraction touristique nous donne l’occasion de répondre à la question : qui sont en réalité (au-delà des dessinateurs) les faiseurs de ces images ? Dans la polyphonie variée et curieuse rassemblée non sans une bonne dose d’humour par Seb Coupy, nous sentons émerger le puissant « on » d’une société assez aplatie sur un patriotisme français fort anachronique. Mais sur la toile de fond d’un nationalisme ambiant, le magnifique travail de montage réalisé par Coupy lui-même parcourt la route d’une autre narration, faite d’hésitations, d’interrogations, de détours imaginatifs, de particularités individuelles. Il s’agit d’une narration collective qui prône la fragmentation, aussi grâce à une alliance efficace avec une piste musicale fascinante, au style souvent brisé, ouvert, laquelle sert de pôle de contraste par rapport au réalisme documentaire de l’enquête sociale.

L’image qu’on s’EN fait

La superposition musicale et la construction non linéaire de la narration constituent une véritable réouverture du discours sur la représentation, renvoyant de nouveau vers le vide du paysage qui a été à l’origine de l’histoire récente des panneaux d’animation. De la représentation à la présentation tout court, présentation d’un paysage nu, et d’individus seuls face à leur territoire sans identité définie. Voilà le caractère de complexité, parfois de désorientation, qui enrichit le survol souvent amusé à travers les témoignages sur un phénomène que l’on pourrait qualifier de géopolitique. De quoi vraiment se fait-on l’image, quand on s’en fait une ? Le voyage sur et autour des autoroutes françaises de L’image qu’on s’en fait, alors, sait relier la curiosité et le curieux à une interrogation même existentielle, qui ne manquera pas de dérouter. Aussi dérouter, et donc libérer, d’une France qui se veut à tout prix française.

 

Info

L’image qu’on s’en fait | Film | Seb Coupy | CH-FR 2019 | 75’ | Solothurner Filmtage 2020

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First published: February 09, 2020