L'enlèvement de Michel Houellebecq

Le distributeur Xenix saisit l’occasion de ces temps incertains, entre le Corona et la « pause » estivale, pour proposer un vieux film de Guillaume Nicloux, présenté au Forum de la Berlinale en 2014. Il s’agit de l’enlèvement de Michel Houellebecq par trois « bandits gentilshommes », qui est mis en scène avec goût pour le théâtre et prétention au réalisme en même temps — ce qui résume l’ambiguïté fondamentale qui hante la rumeur (?) d’un réel enlèvement de l’écrivain en 2011. Michel Houellebecq a fait de ses jeux avec le scandale et de son potentiel d’attraction populaire sa marque de fabrique, et le dispositif du film ne fait que magnifier ce trait facile propre à l’écrivain. Non seulement car l’enlèvement d’un auteur très discuté et donc aussi (en partie) non aimé rend paradoxale l’initiative d’un enlèvement dont le payement de la rançon apparaît loin d’être acquis, mais aussi parce que Houellebecq se plaît à scandaliser ses propres enleveurs, en jouant avec sa drôle bonhomie pour établir avec eux une véritable relation de (encore une fois) paradoxale solidarité. Un renversement paradigmatique et fort classique de la relation maître-servant, qui démontre l’interdépendance de toute relation de pouvoir, même là où elle semble (devoir) frotter la violence.

La vertu de ce qui se présente comme un « petit film » de Guillaume Nicloux, surtout pour la qualité modeste de l’image et un montage fort abrupte, est que ce style correspond parfaitement au caractère nonchalant et cynique, mais aussi apparemment fragile, du protagoniste. Houellebecq exploite la force d’une réalité irréductible, les besoins primaires d’un homme : quoiqu’il soit capable de s’entêter sur des questions de littérature, la monnaie d’échange dans les négociations continuelles avec ses enleveurs/partenaires relève toujours du factuel. L’évidence des faits primitifs — manger, dormir, mais aussi fumer et boire — devient la base pour neutraliser les différences de pouvoir. Voilà pourquoi l’aspect primitif, voire amateur, du film de Nicloux s’avère être la solution esthétique la plus appropriée pour incarner l’esprit de l’écrivain, en faisant de L’enlèvement de Michel Houellebecq non pas un film sur lui — un portrait — mais un film avec lui, voire de lui — presque un autoportrait.

Et ici on trouve également la limite de cette opération cinématographique : Michel Houellebecq est le protagoniste absolu du film, qu’il finit pour saturer, en asservissant tous ses éléments et ses personnages dans un jeu de subordination littéralement monarchique — c’est-à-dire qui a « un seul principe » (mone archè). Cela est confirmé aussi par la structure du film, qui ne vit aucune évolution par rapport au principe du renversement de la relation de pouvoir : ce dispositif devient tout simplement le récipient d’une série d’occasions, pour l’écrivain, d’enchaîner gags amusants et divagations — sous forme de monologue dissimulé — sur la littérature, la vie, la politique, etc. En cela, les autres protagonistes s’effacent graduellement, à la gauche du roi, quelquefois presque humiliés dans leur rôle de gens quelconques. Le fait qu’ils représentent le bon peuple ignorant exprime le classisme paternaliste d’un écrivain qui, par ailleurs, réussit à peine  à se soulever d’un marécage des platitudes.

À ce propos, moins qu’avec le film actuellement sorti Thalasso, toujours de Guillaume Nicloux — occasion de confronter Houellebecq et Gérard Depardieu comme acteurs et personnalités —, son précédent film se prête à un rapprochement avec le récent Braquer Poitiers, du jeune Claude Schmitz, avec lequel il partage l’idée de la mise en scène d’un enlèvement paradoxal et drôle. Mais cette dernière œuvre se révèle aux antipodes du film de Nicloux, car elle prend bien au sérieux le dispositif lui-même en le faisant évoluer pendant le film, en gardant toute l’ambivalence de fictionnel et de réel, en donnant de la profondeur à la tension entre culture populaire et intelligence littéraire (sans la bienveillance paternaliste pour le bon et simple peuple du film de Nicloux), et en osant aller au-delà du simple divertissement plus ou moins intellectuel pour mettre en image la poésie, voire la grâce.

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L’enlèvement de Michel Houellebecq | Film | Guillaume Nicloux | FR 2014 | 96’

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First published: July 01, 2020