Godland

Text: Emilien Gür

Prenez un prêtre danois et envoyez-le en Islande. À une époque où rares sont ceux qui ont vu un appareil photo. Par bateau, donc. Faites-le traverser l’île. À pied, à cheval. Qu’il ait le temps de sentir les paysages. Une fois arrivé à destination, qu’il supervise la construction d’une église, rencontre des hommes et des femmes, éprouve la douleur de ne pas être chez soi, sente grandir en lui des passions humaines, trop humaines. Et voilà, vous aurez du cinéma. Vraiment ?

Je n’ai rien contre Godland. C’est même un beau film ou, plus exactement, un film avec de belles images. Des vignettes soignées, tournées en 16 mm. Non par afféterie, mais parce que le seul « sujet » qui intéresse vraiment Hlynur Pálmason, c’est la mémoire des images. Au début, un carton nous avertit : le film que vous allez voir s’inspire des premières photographies connues de la côte sud islandaise, réalisées par un prêtre danois à l’aube du siècle dernier. Mais le film que nous voyons appartient, lui aussi, au passé. Celui du cinéma lorsqu’il racontait, l’air de rien, des histoires d’hommes en prise avec des paysages, la tension jamais résolue entre l’individu et la communauté, le conflit entre le désir et la loi. Godland renoue avec cette fibre, mais aujourd’hui il est difficile d’avoir l’air de rien, et Hlynur Pálmason doit partir des débuts de la photographie pour retrouver le cinéma classique. Détour postmoderne, dont certains, Wim Wenders en tête, ont fait leur recette jusqu’à l’épuisement. Du cinéma.

De Godland, le cinéma sort toutefois en meilleur état que des derniers pensums du cinéaste-allemand-devenu-mondial. Non pas moribond, certes pétrifié dans une forme muséale, mais vivant, encore vivant. À la fin pointe même un germe d’émotion, lorsque la jeune Ida (Ída Mekkín Hlynsdóttir, dont il faut saluer le talent et la vitalité) découvre le squelette du prêtre au milieu d’une lande aride et lui adresse, les larmes aux yeux, ces quelques mots : « vous serez bientôt recouvert par les fleurs, ce sera beau ». Ce plan en contreplongée sur un visage d’enfant en pleurs sauve le film qui, jusque-là, n’avait fait que raconter une histoire possible de la réalisation des premières photographies de la côte sud islandaise, leur ôtant par là leur insondable mystère (je ne les ai pas vues, mais les imagine opaques, radicalement étrangères, comme l’est, pour nous, cette fin de siècle qui ne connaissait pas encore le cinéma). Un plan désarticulé du récit, épilogue qui ne conclut rien, mais ouvre l’image à l’émotion. Alors, le film appartient au présent.

 

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Screenings in February 2023 at Cinéma CityClub Pully and Les cinémas du Grütli Genève

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Godland | Film | Hlynur Pálmason | ISL 2022 | 143’ | Black Movie Genève 2023

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First published: February 11, 2023