Giulia Goy | Casting di un padre
« Là, il y a la tombe de mon père qui est décédé il n’y a pas longtemps. On va faire le casting à côté. Je vous laisse prendre place. »
Text: Morgane Frund
Rose veut boire un café avec son père, qu’elle a perdu avant d’avoir une dernière discussion avec lui. Elle cherche un acteur pour jouer son rôle.
Réalisé dans le cadre d’un atelier documentaire de l’écal dirigé par Milo Rau, Casting di un padre est un film difficile à classer. « L’hybridité, le film dans le film, le docu-fiction et leurs frontières ténues m’intéressent », raconte la réalisatrice Giulia Goy. Elle aime travailler avec différents régimes d’images, et voulait s’approprier ce mélange de matières pour son film.
« Milo Rau, venant du monde du théâtre, m’a donné envie de penser le film en trois actes. Mais je l’ai aussi imaginé comme un objet qui pourrait être une installation vidéo et être regardée à n’importe quel moment », poursuit-elle. Une première séquence montre le casting, une deuxième les discussions de Rose avec son assistante Pauline, et une dernière le moment du café.
Les scènes sont souvent tournées à deux voire trois caméras pour garder la spontanéité de l’instant, mais aussi pour renforcer cette impression de « film dans le film ». Des bribes comiques émergent du décalage de ces situations et se révèlent au montage. La réalisatrice raconte qu’il y a rapidement eu des rires dans la salle lors des premières projections à l’écal, puis à Visions du Réel en 2022. Cependant, le cœur du film reste très intime. Giulia Goy a choisi d’écrire un scénario pour ne pas s’égarer dans un sujet encore sensible : « Je l’ai également fait très vite car je savais où je voulais aller avec ce film et quel style je voulais qu’il adopte ».
- Les rôles s’inversaient. Je devenais le Papa de mon Papa.
L’annonce pour le casting rencontre un succès surprenant. « J’avais demandé aux hommes qu’ils me fassent parvenir une vidéo où ils se présentaient brièvement et ils m’expliquaient en quelques mots leur relation à l’idée du père ». Elle s’inspire ensuite de leurs histoires pour aiguiller les récits de leurs personnages fictifs. La première rencontre en face à face se déroule dans la séquence qu’on voit dans le film. Une collection d’histoires de pères se présentent à nous, esquissant aussi un portrait collectif d’hommes de cette génération.
- Maintenant on va faire une action. Moi j’ai les clefs de chez mon père. Je n’en ai plus besoin donc je vais vous les donner. Et vous, vous devez tout faire pour que je change d’avis et que je les garde.
Quand la réalisatrice propose cette improvisation, le système du film change. Giulia Goy, qui avait très efficacement écrit un scénario pour son film, quitte le terrain de la préparation et se met en jeu elle-même dans le dispositif. « Ils ne pouvaient pas en parler avec moi. S’ils avaient des questions, ils devaient en parler avec la pseudo-assistante du film, Pauline ». À l’issue des auditions, Rose choisit Daniel pour ce qu’il a dégagé pendant le casting.
- J’ai rêvé de toi et de l’appartement et il n’y avait plus ton nom sur la boite…
La séquence finale dans le café est également troublante : nous voyons Rose et Daniel filmés par une équipe de tournage. Mais Rose filme aussi Daniel avec son téléphone.
- Tu veux pas arrêter avec ça s’il te plait ?
En tant que spectateur·ice·x·s, rien ne nous permet de démêler intégralement le réel de la fiction. « Le personnage s’appelle Rose, j’ai souhaité changer de nom afin de différencier le moi réalisatrice et le moi personnage », explique Giulia Goy. Mais en dehors de quelques pseudonymes, on ne sait jamais si les personnages s’adressent à la fiction ou réel. On a parfois l’impression que Daniel parle à son propre père, et on ne sait jamais exactement où se situe la limite entre Giulia et Rose.
Mais ce qui est le plus intéressant dans le film, ce n’est pas tellement de jouer aux devinettes pour démêler le « faux » du « vrai ». L’hybridité révèle aussi une tension entre l’extrême maîtrise du dispositif et une vulnérabilité qui émerge des moments improvisés. Peut-être que faire un deuil, c’est aussi tenter sans cesse de réécrire une histoire, tout en faisant face à des émotions inattendues qui surgissent de cette histoire. Casting di un padre révèle cette tension et en joue avec humour et tendresse.
- Sono contenta di averti visto.
Giulia Goy vient de terminer « Rose à la ferme ». Docu-fiction co-produit par l’ ÉCAL et Take Time Films, le film suit Rose, cette fois jeune cinéaste en recherche d’emploi, qui décide d’entreprendre un stage de reconversion comme agricultrice. Le film a eu sa première à Visions du Réel 2024.
Giulia a maintenant commencé un master en arts visuels « dans l’optique de continuer le cinéma et de continuer sa pratique avec de nouvelles perspectives.
Info
Casting di un padre | Giulia Goy | CH 2022 | 15’ | écal | Visions du Réel Nyon 2022
First published: May 22, 2024